Un doudou à Paris Chapitre 3
Disclaimer : Les personnages de Largo Winch ne m'appartiennent
pas. Je ne tire aucun bénéfice si ce n'est de faire plaisir
aux autres fans de la série. *** Valérie écoutait avec ravissement la discussion entre les deux frères. Elle était à l'arrière avec Cassy qui jouait avec l'ours en peluche que son nouveau tonton lui avait offert. Jamais elle n'avait vu son mari parler avec autant d'animation. Depuis qu'elle le connaissait, c'est-à-dire près de six ans, il avait toujours fait preuve d'une certaine réserve en toute occasion. Quand ils entrèrent dans l'appartement, ils eurent la surprise de voir toutes les lumières éteintes. Val alla jusqu'à la chambre de son amie et la trouva en plein cauchemar. Elle se débattait et gémissait comme si elle avait été envahie par la douleur. Une fine couche de sueur couvrait son front, elle prononçait sans cesse un prénom qu'elle reconnut immédiatement : Daniel. Son cur se serra. Elle s'approcha doucement du lit et réveilla Raf qui poussa un cri détresse. Elle mit un temps à comprendre que tout ce qu'elle venait de vivre n'était qu'un sombre cauchemar. Elle fondit en larmes dans les bras de sa meilleure amie qui fit signe aux deux hommes, restés sur le pas de la porte, que tout allait bien. - Je suis désolée, murmura Rafaela en reniflant. Raf sourit tristement, Val avait raison. Combien de fois lui avait-elle reprochée de rentrer dans sa coquille dès que les problèmes pointaient le bout de leur nez ? Et voilà que maintenant elle faisait comme elle. Quelle bonne paire elles faisaient ! - Allez viens, on a commandé à manger au restaurant chinois
d'à coté, on va se régaler. Elles sortirent de la pièce et allèrent rejoindre le reste de la petite famille qui déballaient les plats qu'ils venaient de remonter. Après avoir mangé et couché la petite, ils passèrent le reste de la soirée à parler de choses et d'autres tandis que Raf, assise sur le canapé, contemplait avec envie cette famille où elle ne sentait toujours pas à sa place. Elle avait un poids sur la poitrine, elle aurait mieux préféré être chez elle mais elle ne voulait pas fâcher Val qui faisait tant pour elle. Kerensky la regardait du coin de l'il se demandant à quel moment elle allait céder à son envie de prendre la fuite. Vers 23h, Raf ne tint plus et alla se coucher, elle se sentait vidée et les mots, que Largo lui avait dit au téléphone dans l'après-midi, se répétaient en boucle dans sa tête. La jeune femme se mit au lit et observa un instant le mince faisceau lumineux qui passait sous sa porte. Et si Largo avait raison ? Les doutes ne la laissaient pas sombrer dans un sommeil qu'elle souhaitait à tout prix. Elle soupira et ferma les yeux. Elle ferait donc un dernier effort et parlerait à Daniel le lendemain. *** Après une journée de travail bien chargée, Raf alla à l'hôpital pour parler à Daniel. Elle savait que le milliardaire avait raison. Après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble, elle ne pouvait pas partir en catimini. Elle soupira et s'engagea dans le couloir qui menait à la chambre du Suisse. Cela faisait trois jours que celui-ci était sorti du coma. D'après le médecin, auprès de qui elle prenait des nouvelles tous les jours, s'il continuait ainsi il pourrait quitter l'hôpital au début de la semaine suivante. La porte de la chambre était entrouverte, elle entendit des voix à l'intérieur. L'une d'elle était celle de Daniel, l'autre celle du président du groupe W, la troisième était celle d'une femme, elle en conclut donc que c'était la femme ou la fiancée de Winch. Elle ne savait pas s'ils étaient mariés ou non et, à ce moment-là, elle s'en fichait comme de sa première chemise. - Je veux que tu reviennes à New York, disait Largo, tu y as ta
place. Raf sentit son cur se serrer, elle avait suivit la conversation derrière la porte, ayant trop peur de les interrompre. Au fond d'elle-même, elle sentait que Daniel avait déjà fait son choix, elle n'allait pas l'empêcher de faire ce qu'il avait décidé. - Présenté sous cet angle je n'ai pas vraiment le choix, non ? Répliqua une voix que Raf ne connaissait que trop bien. D'accord, vous avez gagné, vous allez avoir un passager supplémentaire mais Rafaela tourna les talons, elle en avait assez entendu. Elle se sentait en colère, comment pouvait-il faire un tel choix sans même le lui dire ? Ah quoi bon lui parler si de toute manière il avait pris la même décision qu'elle : laisser mourir le peu qui restait encore de leur relation. Elle fut prise d'un vertige et s'appuya contre le mur. Pourquoi fallait-il que toutes ses histoires d'amour se terminent en catastrophe ? Pourquoi finissait-elle toujours seule ? Elle sortit le pas lourd et alla rejoindre l'arrêt de bus pour rentrer chez Valérie. Une heure après, Raf franchissait la porte de l'appartement de sa meilleure amie. Elle entendit des voix venant du salon. Nicky le Yorkshire de Val vint l'accueillir en aboyant furieusement et en entamant une danse joyeuse. Tant pis pour l'arrivée discrète, se dit-elle, en se dirigeant vers le salon. - Je suis sûr que c'est une occasion en or. Bien sûr, vous
allez nous manquer mais une chance comme ça cela ne se refuse pas.
Les Etats-Unis, tu te rends compte ? Et vous déménageriez
quand ? Raf pâlit. Elle devait rêver toute éveillée ! Cela ne pouvait pas être possible. Sa meilleure amie s'en allait aussi ! Elle sentit une forte douleur lui enserrer la poitrine, sa vue se voila et elle vacilla. Elle se tint au mur un instant, il ne fallait pas que les autres remarquent son état d'esprit. Elle sentit la colère la submerger, s'ils devaient s'en aller qu'ils s'en aillent, elle n'avait besoin de personne. Elle avait toujours été seule et elle savait que son destin était de le rester. De toute manière, elle savait très bien que quoi qu'elle puisse dire cela ne changerait strictement rien aux choses, la décision avait déjà été prise. Quand elle entra dans le salon, tous les regards se posèrent sur elle. Elle embrassa Ilia et Val et salua les parents de celle-ci qui étaient venus dîner chez leur fille, comme si elle n'avait rien entendu. - Ca va ? Demanda Val avec inquiétude en voyant le regard hagard
de son amie. Valérie regarda son mari interloquée. Le comportement de Raf avait quelque chose de bizarre. Elle avait l'impression d'être revenue au début de leur amitié où la jeune femme, qui manquait d'assurance et de confiance, avait peur continuellement de déranger. Rafaela entra dans la cuisine et se dirigea vers l'évier où elle prit un verre. Elle avait soif, la tête lui tournait et elle se sentait nauséeuse. Elle savait qu'elle n'avait pas été raisonnable en ne déjeunant pas, mais elle avait beaucoup trop de travail et elle s'était contentée de quelques gâteaux. Elle ne savait même pas si elle aurait le courage de se faire quoi que soit à manger, tant sa fatigue et son malaise étaient grands. - Raf ? Entendit-elle depuis le couloir. La jeune femme savait très bien que Valérie viendrait la voir. Il n'y avait que peu de choses qu'elle arrivait à lui cacher en temps normal alors dans son état. La pièce se mit à tourner et Rafaela voulut se rattraper au plan de travail. Elle sentit le verre éclater en touchant le sol, elle sentit aussi quelque chose de visqueux et de chaud couler de sa main. Elle baissa les yeux et vit une belle entaille dans sa paume. Sans en avoir conscience, elle glissa sur le sol et l'obscurité bienfaitrice étendit son voile sur elle. Valérie sursauta en entendant le verre se briser sur le carrelage de la cuisine qu'elle atteignit rapidement. La vue de son amie sur le sol, la main ensanglantée, la laissa un moment interdite. Elle hurla à Ilia d'appeler une ambulance et tenta de réveiller Raf. Un peu de sang coulait de l'arrière du crâne où la jeune femme s'était cogné contre le buffet en tombant. *** Simon était inquiet. Rafaela n'était pas encore passé le voir depuis qu'il avait repris connaissance deux jours auparavant. Il savait qu'elle était restée près de lui jusqu'à ce qu'il soit hors de danger, Largo le lui avait dit. Ses souvenirs étaient encore vagues sur ce qui c'était passé avant qu'il ne se retrouve à l'hôpital. Il se souvenait de la visite du milliardaire, d'une dispute mais rien de plus. Sa surprise avait été de taille quand il avait retrouvé ses vieux amis regroupés au pied de son lit, attendant avec appréhension qu'il revienne du pays des songes. Largo avait tenté de lui expliquer que la jeune femme était épuisée et que maintenant qu'il était hors de danger, elle devait récupérer sous l'il bienveillant de Val et Ilia. Pourtant il sentait comme un malaise quand ils parlaient de Raf. Aucun de ses amis ne voulait aborder la raison pour laquelle il se retrouvait à l'hôpital. Le médecin l'avait autorisé à se lever et l'encourageait à faire de petites promenade dans les couloirs. Ils étaient assis à la cafétéria et discutaient à voix basse, quand Georgi aperçut son frère. - Ilia ? Que fais-tu là ? S'enquit-il en s'approchant. Il est
arrivé quelque chose à Valérie ou à Cassy
? Simon, Joy et Largo s'approchèrent. Simon vit avec ravissement que les deux frères s'entendaient à merveille. - Alors grand chef, qu'est-ce que tu fais là ? Demanda le Suisse
au mari de Val. Ne me dit pas qu'il est arrivé malheur à
un des tiens ? Continua-t-il inquiet. Ils y allèrent au plus vite. Quand Simon entra dans la pièce, Valérie lui décocha un regard meurtrier. Pour elle, c'était lui le responsable de toute cette situation. - Val ? Demanda-t-il en s'approchant de la jeune femme, du nouveau ? Elle laissa sa phrase en suspens tant sa colère était forte. Pourtant elle voyait dans les yeux de Simon l'horreur et l'implication de ce qu'elle venait de lui révéler. Des larmes coulait sur son visage, et tout revint d'un coup. Les cris, le regard empli de peur après qu'il l'eut frappée. - Val, je
Elle fut interrompue par le médecin qui entra dans la pièce. Il reconnut immédiatement le petit groupe, tout comme il avait reconnu la jeune femme qu'il venait de traiter. - Comment va-t-elle ? Demanda Valérie en se détournant
de Simon. Valérie et Simon suivirent le médecin à travers un dédale de couloirs. Il s'arrêta devant la porte de la chambre 087 et l'ouvrit. Val s'avança et avec douceur prit la main de son amie. Elle se sentait coupable de ne pas avoir vu venir la crise. - Raf ? Val et Simon restèrent interdits un instant. Comment Raf pouvait-elle être au courant de leurs projets respectifs ? Ils se regardèrent puis en silence quittèrent la chambre, tête basse. - Alors ? Firent les autres quand ils pénétrèrent
dans la salle d'attente. Ilia s'attendait à ce que sa femme et Simon protestent mais il n'en fut rien. Il regarda Valérie se diriger vers la sortie sans rien dire. Il regarda un instant son frère, qui haussa les épaules d'un geste d'ignorance, et accompagna le petit groupe vers le troisième étage. - Val ? Demanda Ilia en décochant un regard interrogateur à
sa femme avant de mettre la voiture en marche. Qu'est-ce qu'il y a ? Sur ces mots, il démarra la voiture et rentrèrent chez eux, dans leur appartement du front de Seine où Cassandra les attendait en compagnie de ses grand-parents. Après avoir couché la petite et dit bonsoir aux parents de Val, qui avaient décidé de finir la soirée dans un petit bar où un groupe celte jouait des airs rappelant les légendes anciennes comme celle d'Arthur et de ses chevaliers, de Merlin et de la Dame du Lac, Ilia et Val se mirent au lit et discutèrent encore pendant un long moment de la situation. Ils savaient tous les deux que Raf allait très mal réagir à la nouvelle de leur départ prochain, plus encore de la manière dont elle l'avait apprise, mais ils avaient pensé que Daniel, ou plutôt Simon, pourrait les aider à lui faire accepter la situation mais maintenant ils en doutaient. Les mots de Raf avaient blessé Val, jamais elle n'abandonnerait sa meilleure amie même si elle se trouvait à l'autre bout du monde. Elle ne voulait pas partir, elle se sentait bien à Paris dans leur bel appartement qui avait une vue sur le fleuve à couper le souffle, mais elle savait que c'était une opportunité unique qui ne se représenterait peut-être pas. Elle aimait trop son mari pour vivre loin de lui et Ilia était d'autant plus enthousiaste que cela le rapprochaient de son frère. Valérie avait peur que ce déménagement ne mette un terme à son amitié avec Raf si celle-ci s'entêtait dans son attitude de rejet. *** Raf était allongée, le dos tourné à la porte. Elle ignorait totalement le personnel de l'hôpital qui allait et venait et avait à peine touché à son petit déjeuner. Le regard rivé sur la fenêtre, elle essayait de comprendre comment sa vie avait pu basculer de la joie la plus totale au désespoir le plus complet. Daniel allait partir sans se retourner et Valérie allait s'en aller aussi. Les deux piliers sur lesquels elle avait basée sa vie l'abandonnaient. Elle se sentait tour à tour en colère, frustrée et au bord du gouffre. Elle avait été blessée d'apprendre le départ de Val par hasard, elle lui en voulait de son silence. Elle pensait pouvoir lui faire confiance, elle pensait que quoi qu'il puisse se passer, Val serait toujours honnête avec elle mais elle avait préféré se taire et ne rien dire jusqu'à que plus rien ne puisse faire changer les choses. Il était sûr que si Raf avait su, elle aurait peut-être essayé de raisonner son amie, elle l'aurait peut-être dissuadée de commettre cette folie. Mais on ne lui avait pas laissé le choix et on la mettait devant le fait accompli, si c'était cela faire partie d'une famille comme le lui avait assuré tant de fois Ilia, elle n'en voulait pas. Pour elle qui avait été rejetée tour à tour par son frère et sa sur aînée, ou sa famille de sang se réduisait à un membre, sa mère, le dialogue constituait une chose essentielle tout comme les marques d'affection qu'elles soient petites ou grande. Le fil de ses pensée fut interrompu par le médecin. - Bonjour, fit-il avec un léger sourire, je vois que vous avez
meilleure mine que quand on vous a amené hier soir. Comment vous
sentez-vous ? Le médecin sortit de la chambre en secouant la tête. Comment pouvait-on être désespérée au point de ne pas vouloir d'un enfant qui, en temps normal, aurait été désiré ? Raf se tourna de nouveau vers la fenêtre. Elle avait toujours espéré avoir un enfant mais pas comme cela, pas seule. Le médecin revint deux heures plus tard avec tous les papiers pour lui rendre sa liberté. Elle s'habilla avec l'aide d'une infirmière, la paume de sa main étant un peu douloureuse, puis prit un taxi pour rentrer chez elle. Elle était assez contente de n'avoir vu ni Valérie, ni Daniel. Elle ne souhaitait pas les voir en ce moment. Elle prépara un petit sac de voyage et se rendit à la gare. Elle appela son patron et lui expliqua la situation. Celui-ci n'était pas enchanté qu'elle s'en aille comme cela, en plein milieu du bilan, mais il pouvait comprendre que sa santé passait avant tout, puisque avec sa main droite bandée, elle était incapable de tenir un stylo. Elle avait devant elle quinze jours d'arrêt maladie. Elle avait décidé de passer au moins une bonne semaine chez sa mère pour se faire dorloter, même si les questions ne manqueraient pas de pleuvoir. *** Quand Val vint rendre visite à son amie dans l'après-midi, elle trouva la chambre vide. Paniquée, elle alla voir une infirmière qui lui affirma que son amie avait quitté l'hôpital. Simon arriva devant la chambre, accompagné de Largo, quand il vit Valérie revenir du bureau des infirmières. - Ce n'est pas la peine de te fatiguer, elle est partie. Tous deux acquiescèrent. Ils montèrent dans le 4X4 de Largo. Dans un silence pesant, ils se dirigèrent vers Bois Colombes où ils espéraient bien raisonner et sermonner Raf. Le milliardaire gara sa voiture sur la place de l'hôtel de ville où, par miracle, il y avait une place de libre. D'un pas pressé, ils passèrent devant la boutique d'électroménager, le petit square et la Poste avant d'arriver devant la porte de l'immeuble nouvellement repeinte en vert foncé. Simon fit le code et ils entrèrent, traversèrent la cour où des ouvriers aménageaient une sorte de local à poubelle, et montèrent directement au deuxième. Val sonna mais personne ne répondit, elle insista et comme elle n'obtenait toujours aucune réponse, elle sortit son trousseau de clés. Quand ils entrèrent Simon et Valérie surent qu'elle était passé par-là, une veste traînait sur le canapé, un sac à main vide reposait abandonné sur le lit et sur le haut de l'armoire, il manquait la petite valise à roulettes qu'elle emportait quand elle voulait voyager léger. - A tous les coups, elle est allée se réfugier chez sa
mère, murmura Val. Val referma la porte à clé, non sans avoir auparavant jeté un coup d'il aux messages sur le répondeur mais il n'en affichait aucun. Elle rejoignit les deux hommes et se laissa tomber sur le fauteuil à coté du lit tandis que le milliardaire prenait place sur celui d'en face. Simon revint avec un plateau que Val reconnu comme appartenant à Raf chargé de tasses pleines de café. Il posa le tout sur la table basse. - Tu n'as pas répondu à ma question Val, pourquoi Raf a
l'air de nous fuir ? En ce qui me concerne, je la comprends tout à
fait, mais toi ? Largo regard tour à tour son meilleur ami et Valérie, ils semblaient tous deux perdus. Il commençait à comprendre pourquoi Simon était aussi réticent à repartir. Celui-ci se sentait déchiré entre l'Intel Unit, qui avait tenu une grande place dans vie, et sa nouvelle famille avec des gens simples et sans problèmes, mais peut-être que s'ils réussissaient à convaincre Raf, Simon et Val auraient leur famille au grand complet dans la grande pomme. *** Dans le train, Raf regardait le paysage sans vraiment le voir. Les mots du médecin se mélangeaient avec ceux de Daniel et des parents de Val. Pourquoi fallait-il toujours que tous ceux qui l'aiment l'abandonnent un jour ? Elle avait presque 34 ans, n'avait jamais vraiment eu d'histoires sérieuses, ou si peu, des histoires qui n'avaient duré que le temps d'un rêve et qui, tôt ou tard, se transformaient en cauchemars. Le contrôleur annonça Strasbourg et la jeune femme se prépara à descendre. Une fois n'était pas coutume, sa mère venait la chercher à la gare, elle devait avoir senti la détresse de sa fille. Etrangement elle ne dit rien, elle se contenta de prendre Rafaela dans ses bras et de la serrer très fort. Pendant toute cette semaine là, elle ne desserra pas les dents, ne répondant pas aux questions insistantes de sa mère. Elle passa son temps seule, à se balader dans la forêt ou à regarder les enfants jouer au bord de la gravière. Elle alla visiter la tombe de son père, mort quand elle était enfant. Elle y cherchait des réponses aux questions qui ne cessaient de la tourmenter et qui ne lui laissaient aucun repos. Le reste du temps, elle s'enfermait dans sa chambre, elle ne voulait voir personne. Valérie et Simon avaient tenté tous deux de la joindre par téléphone mais ils s'étaient vertement fait éconduire par la mère de la jeune femme qui les considérait comme responsable de l'état dépressif de sa fille. Finalement, Raf prit le combiné et leur demanda de la laisser tranquille et surtout de ne plus l'appeler. De plus, elle ajouta à l'intention de Daniel qu'elle ne comptait de toute manière plus le revoir, quoiqu'il arrive et que rien de ce qu'il pourrait dire, ou faire, ne changerait cet état de fait. *** Simon ne se faisait plus d'illusions. Raf ne changerait pas d'avis, elle n'accordait que très peu sa confiance et une fois celle-ci rompue, il était plus qu'improbable qu'elle la lui redonne un jour. Elle avait été très claire avec lui, disant les choses avec autant de force qu'elle le pouvait, le blessant avec ses paroles aussi froides que de la glace, effaçant d'un coup dix-huit mois de bonheur. Ce fut dans un état proche de la désespérance qu'il prit le jet qui le ramena à New York. Il se raccrochait à la vague promesse de Val de tenter de raisonner celle qui avait été sa fiancée. S'il y avait un espoir pour si ténu qu'il fut, il s'y accrochait comme à un canot de sauvetage. A son arrivée au groupe W, il s'installa dans ses anciens appartements à coté du penthouse. Appartement dans lequel rien n'avait bougé depuis son départ, toutes ses affaires étaient à l'endroit où il les avait laissées. Seul le ménage avait été fait sans rien déranger du joyeux désordre qui y régnait. Après avoir dormi tout son saoul, il entreprit de remettre de l'ordre dans sa vie. Il commença par ranger et nettoyer son appartement à fond. Il fit le tri dans ses affaires, empaqueta les vêtements trop voyant pour les donner à une association de bienfaisance, fit une liste de tout ce dont il avait besoin. Puis il prit l'une des voitures du groupe pour se rendre à une réunion des Alcooliques Anonymes. Il savait qu'il avait tout à refaire mais il s'en sentait le courage. Il le devait à Raf, pour lui prouver qu'elle n'avait pas fait confiance à un vaurien. Il le devait à ses amis qui avaient de nouveau décidé de l'admettre dans leur univers et il se le devait à lui-même, s'il voulait continuer de se regarder dans une glace. Il prit aussi rendez-vous avec un thérapeute pour l'aider à surmonter ses idées noires qui refaisaient surface en l'absence de celle qui lui avait donné tout son appui. Il reprit son travail en tant que Chef de la Sécurité du Secteur International. Toutes ces activités l'occupaient pendant la journée et l'empêchaient de penser à ce qu'il avait perdu par sa seule faute. La nuit était plus difficile car les insomnies étaient nombreuses, les cauchemars fréquents et les appels à l'aide restaient sans réponses. Malgré cela, il tenait bon grâce, en partie, à Joy qui veillait à ce qu'il ne reste jamais seul très longtemps, à Largo qui prenait soin de ne jamais l'exclure du groupe comme il l'avait fait dans le passé. Même Kerensky y mettait du sien en se montrant moins impersonnel et froid quand le Suisse descendait au bunker pour faire une recherche. *** Valérie était en colère. Non seulement son amie était revenue mais celle-ci continuait à jouer les fantômes. Elle ne répondait pas au téléphone que ce soit le fixe ou le portable, et ne se connectait plus sur Internet. Simon était parti quelques jours plus tôt, la mort dans l'âme. Elle l'avait accompagné à l'aéroport où, avant de monter dans l'avion, il lui avait fait promettre de veiller sur Raf. Cette après-midi là, il pleuvait des cordes et l'eau ruisselait sur les plantes fraîchement semées dans la cour intérieure de l'immeuble où Rafaela continuait à se cacher. M. Alfredo avait bien essayé de la faire parler mais celle-ci s'obstinait à rester enfermée toute la journée sans vouloir voir personne. Valérie monta avec précaution l'escalier nouvellement verni et s'arrêta devant la porte de son amie. Aucun bruit ne provenait de l'appartement et elle se demanda si le voisin ne s'était pas trompé en déclarant que celle-ci était à l'intérieur. Elle sonna et attendit. Au bout d'un petit moment elle entendit des pas, un bruit sourd et quelques jurons. - Qui est là ? Demanda-t-elle à travers la porte. Elle entendit un soupir, une succession de cliquetis et la porte s'ouvrit enfin sur Raf. Valérie faillit ne pas la reconnaître. Elle était pâle, avait les traits tirés et les yeux hagards, signe qu'elle l'avait tirée d'une petite sieste improvisée. - Salut. Devant le silence de son amie, Val la fixa avec un il surpris. Elle ne pouvait croire que celle-ci se laisse aller à ce point. - Ok, je vais aller faire des courses. Je t'interdis de te lever de ce
lit, je n'ai pas très envie de devoir faire un autre tour aux urgences. Valérie partit inquiète, elle aurait préféré que Raf vienne chez elle quelques jours, elle avait peur que celle-ci ne plonge dans la dépression la plus totale. Elle savait que malgré sa colère elle se sentait désespérée. Après avoir trouvé tout ce dont elle avait besoin, elle retourna chez son amie qui s'était rendormie. Visiblement, la grossesse avait chez elle un effet sédatif. Elle prépara rapidement une soupe ainsi que quelques biscottes et un peu de jambon. Quand elle la quitta ce soir là, elle ne sentait pas plus avancée. Elle espérait qu'elle réussirait à la faire doucement accepter la situation. Mais Val devait avouer que ce qui la préoccupait le plus était la grossesse de Raf et son intention d'y mettre un terme dans les plus brefs délais. Celle-ci lui avait fait promettre le secret mais elle ne savait pas si elle pourrait tenir sa promesse. Son cur lui disait de tout raconter à Simon pour qu'il revienne prendre la situation en main mais, d'un autre coté, elle avait peur de la réaction de Raf. Si jamais elle prévenait le Suisse et que celui-ci ne réussisse pas à la dissuader de commettre une bêtise, leur amitié pourrait bien ne jamais s'en relever. *** La semaine suivante se passa quasiment en silence pour les deux amies. Elles, qui avaient l'habitude de se parler tout le temps, ne se disaient plus que des banalités et restaient silencieuses la plupart du temps. Val avait de plus un surcroît de travail à cause de son futur déménagement, il fallait qu'elle termine des projets et qu'elle en transmette certains à des collègues compétents. Elle pensait aussi que si elle laissait son amie tranquille peut-être que celle-ci reviendrait à la raison. De son coté, Raf avait repris le travail et supposait que le silence de son amie était dû à leur dispute et que, pour une raison ou une autre, celle-ci lui en voulait. Raf jura entre ses dents ce soir-là en regardant son écran rester muet à ses tentatives de discussions, cela faisait trois soirs de suite qu'elle avait l'impression de parler dans le vide. Elle l'éteignit et alla se coucher le cur lourd. Elle avait besoin ses petites discussions anodines pour laisser échapper la pression de la journée mais visiblement son amie ne le voyait pas comme cela. Elle se sentit triste, elle soupira espérant ne pas faire tomber les larmes qu'elle retenait depuis qu'elle était rentrée. La journée avait été mauvaise, sa supérieure lui avait reproché son absence et le retard pris dans le travail. Raf n'avait rien dit, se contentant de hocher la tête et de partir tête basse après l'entretien. Elle s'était remise au travail, sachant qu'elle ne pourrait pas rentrer chez elle tôt comme elle l'avait prévu. Elle était dans le collimateur de sa hiérarchie et ce n'était pas le moment pour elle de perdre son travail, du moins pas avant d'avoir réuni l'argent pour retourner s'installer chez sa mère. Quand elle éteignit la lumière, le repos tant souhaité ne vint pas. Elle rejouait sans cesse la scène qui avait fait basculer sa vie. Elle essaya une fois de plus de se convaincre qu'être seule n'était pas une tragédie mais le cur n'y était pas. Elle avait besoin de Val, elle avait besoin de Daniel. Chaque jour qui passait, elle sombrait de plus en plus dans une déprime que personne ne semblait remarquer. *** Ilia regardait sa femme qui nettoyait sa cuisine de fond en comble. Il se doutait bien que quelque chose n'allait pas, Valérie détestait les tâches ménagères. Il savait que Raf et elle s'était disputées mais Val n'avait pas voulu lui en parler. - Chérie ? Ils étaient seuls tous les deux dans l'appartement, il avait emmené Cassandra au centre aéré pour la journée. Il était bien déterminé à venir à bout de l'affaire qui préoccupait sa femme. - J'ai encore pleins de choses à faire, fit celle-ci en faisant
mine de reprendre son chiffon. Il l'enlaça tendrement et l'embrassa d'un baiser empli de passion. Avec un geste sûr, il passa sa main sous le tee-shirt de sa femme et dégrafa son soutien gorge. Ses mains couraient sur sa peau laiteuse. - Je t'aime, lui susurra-t-il à l'oreille tout en l'entraînant dans la chambre. Les vêtements volèrent et ils se retrouvèrent face à face, nus. Ilia avait le souffle coupé en voyait le corps parfait de son épouse. Avec une douceur exagérée, il l'allongea sur le lit et s'unit à elle jusqu'à ce que le feu qui brûlait en lui ne s'apaise. Ils s'endormirent, leurs corps repus de caresses. Quand ils se réveillèrent de cette sieste crapuleuse, midi était passé depuis longtemps. Tous deux avait faim et Ilia, une fois n'est pas coutume, prit le téléphone et commanda une pizza. Il mangèrent tous deux assis dans le lit, une douce musique emplissait l'atmosphère puis, comme la nourriture terrestre ne leur était pas suffisante, ils refirent l'amour à nouveau. Un peu plus tard, ils étaient allongés l'un contre l'autre. Val avait posé sa tête sur la poitrine de son mari et celui-ci caressait ses boucles rousses. - Qu'est-ce qui ne va pas Val ? Val se mordit la lèvre inférieure, elle en avait trop dit. Elle ne pouvait plus faire machine arrière. - Raf est enceinte et
Ilia regarda sa femme, celle-ci avait l'air inquiète, très inquiète même. Le téléphone sonna. C'était Georgi qui venait aux nouvelles. - Ca va petit frère ? Demanda-t-il avec enthousiasme, il se sentait
heureux quand il pouvait parler à son jumeau, c'était une
des raisons qui faisait qu'il était ravi que celui-ci vienne s'installer
à New York. Je te dérange peut-être
. Ilia hésita, Val était en train de lui faire des signes pour qu'il se taise mais son cur lui disait qu'il devait à tout prix sauver ce couple. - Simon est dans le coin ? Quelques secondes passèrent avant qu'il n'entende la voix de Simon, de Largo et Joy le saluer. Il brancha le haut-parleur pour que Val puisse suivre la conversation. - Salut grand chef ! Alors qu'est-ce qui ne va pas ? Je parie que vous
vous ennuyez déjà de moi, dit-il d'une voix qu'il voulait
enjouée mais qui ne trompa personne. Le silence retomba dans l'appartement d'Ilia et de Val. Celui-ci reposa le combiné sur sa base et prit sa femme dans ses bras. - Que crois-tu qu'il va faire ? *** Simon ressemblait à un lion en cage. Depuis qu'il avait appris les intentions de Raf, il ne pouvait penser à autre chose. Il faisait les cent pas dans la penthouse sous les yeux inquiets de Joy. - Simon, je t'en prie, assieds-toi, tu es entrain de me donner le tournis. Flash-back Largo était frustré, non il était en colère ! Cela faisait maintenant presque trois mois que Joy refusait tout contact avec lui. Il avait tout tenté, mais rien n'y avait fait. Il regarda sa bouteille de scotch qui était presque vide et en but encore une gorgée. Peut-être que s'il se soûlait assez, il pourrait oublier Oublier que la femme de sa vie ne voulait plus entendre parler de lui Oublier qu'il avait accusé son meilleur ami Oublier le regard plein de reproches de Kerensky Oublier Tout simplement oublier Mais à quoi bon puisque même dans son ivresse le visage des deux personnes qui comptait le plus pour lui se chevauchaient dans son esprit jusqu'à le rendre malade de frustration. Il entra alors dans une rage folle et commença à tout détruire dans le penthouse. Les quelques pots de fleurs se retrouvèrent par terre réduits en mille morceaux, les verres et les boissons qui se trouvait sur une desserte subirent le même sort. Les livres de la bibliothèque volèrent à travers la pièce, il débarrassa d'un coup de bras la table basse qu'il retourna, une chaise alla s'écraser contre le mur. Le Russe entra au moment où une deuxième suivait le chemin de la première. Largo avait une troisième chaise dans la main quand il sentit quelque chose retenir son bras. Il se retourna et vit Georgi qui le regardait avec inquiétude. - Ca suffit, murmura-t-il, mettre en pièce le penthouse ne
la fera pas changer d'avis, ni ne fera sortir Simon de sa cachette. Avec une douceur peu coutumière, il emmena le milliardaire vers la chambre et le mit au lit, le bordant qu'il fut été un enfant malade. - Elle ne m'aime pas, dit Largo alors que Kerensky s'asseyait dans
un fauteuil près du lit. Kerensky soupira. Depuis le départ du Suisse trois mois plus tôt, il avait décidé de mener sa petite enquête en solo et le peu qu'il avait appris le mettait mal à l'aise. Lui qui se targuait de ne pas pouvoir être manipulé facilement, l'avait été avec une facilité déconcertante. - Je ne sais pas, mentit-il, mais je vais le découvrir, je
t'en fais la promesse. Maintenant dors, et ne t'inquiètes de rien.
Je demanderais à ta secrétaire demain matin d'annuler tes
rendez-vous, avec la tête que tu as, tu risques de faire peur à
tes interlocuteurs, fit-il en se levant. Largo s'endormit enfin d'un sommeil agité et le Russe soupira. Si son enquête n'aboutissait pas bientôt, et si Joy continuait à jouer les têtes de mule, il y avait fort à parier que Largo ne craquerait sous le poids de la culpabilité qui le rongeait. Fin flash-back - Largo, tu es sûr que ca va ? Demanda Simon inquiet du silence
de celui-ci. Le téléphone sonna interrompant leur discussion. Kerensky leur demandait de descendre au bunker, il avait peut-être trouvé une solution pour qu'ils puissent arriver à temps. *** Le jour J était arrivé. Le réveil sonna tirant Raf d'un sommeil agité. Elle ne dormait pas bien depuis quelques jours, faisant cauchemar sur cauchemar. Des crises d'angoisses la tenaient éveillée une bonne partie de la nuit pendant lesquelles elle entendait son cur marteler à ses oreilles. Elle faisait d'interminables heures au bureau pour ne pas à avoir à entrer dans un appartement vide, sans personne à qui parler même par Internet. La situation avec Valérie en restait au même stade. Les soirées se passaient sans que l'une ou l'autre ne parle, chacune pensant que l'autre était fâchée. Avec difficulté, Raf se leva et se tint à l'armoire jusqu'à ce que la pièce finisse de jouer les manèges de chevaux de bois. Elle alla s'enfermer dans la salle de bain, fit une toilette rapide et s'habilla. Elle regarda avec envie son téléphone. Elle avait pensé que Val viendrait avec elle, qu'elle ne la laisserait pas affronter cette épreuve seule. Mais il était dit que la solitude serait sa seule compagne. Ses sentiments envers l'enfant qu'elle portait étaient forts, très forts, et elle savait pertinemment que jamais elle ne se remettrait de ce qu'elle allait faire. Mais elle ne savait que trop ce que c'était de grandir sans un père et avec une mère amère et rongée par des dépressions successives. Elle ne voulait pas que son enfant ait à subir ce par quoi elle était passé étant enfant. Et puis jamais elle ne pourrait oublier Daniel, si elle avait son portrait vivant jour après jour auprès d'elle, mais d'ailleurs voulait-elle vraiment l'oublier ? Avec soupir de frustration, elle prit son sac, ferma la porte à clé et se rendit à la gare. *** Val de son coté était prête et terminait de préparer Cassandra. Ilia devait la laisser à l'hôpital avant de déposer leur fille chez la nourrice. Il était hors de question que Raf fasse face seule à cette épreuve. Elle se sentait frustrée par leur manque de communication de ces dernières semaines mais, depuis leur dispute, elle ne savait plus comment faire pour aborder un sujet quel qu'il soit sans que son amie ne prenne la mouche alors elle préférait se taire. De plus, elle essayait encore de digérer le fait que Raf ne lui ait pas parlé de sa grossesse, ni de ses intentions. Si elle n'avait pas trouvé le carton de rendez-vous, elle n'en aurait jamais rien su. Comment son amie pouvait-elle bien lui mentir sur une chose si importante ? Quand enfin son mari la déposa, il était presque 9h30. Connaissant son amie, celle-ci devait déjà être en salle d'attente. Elle n'avait eu aucune nouvelle de Simon, elle ne savait donc pas si celui-ci allait venir ou pas. Elle traversa divers couloirs, suivit les indications données par la personne peu aimable à l'accueil et entra dans la salle d'attente du service de gynécologie. Quelques femmes enceintes attendaient leurs tours pour une consultation ou une échographie. Celle-ci parlaient à voix basse à leurs compagnons qui les avait accompagnés. Dans un coin, elle vit Raf assise les yeux dans le vide. Elle était d'une pâleur à faire peur et malgré le fait qu'elle soit enceinte, elle la trouvait amaigrie. - Salut ma puce, dit-elle s'asseyant à coté de la jeune
femme qui sursauta. Elles attendirent encore de longues minutes en silence. Elles n'avaient pas besoin de mots, le seul contact de leurs mains suffisait à la rassurer. *** Largo regardait Simon s'agiter sur la banquette arrière du taxi qui devait les emmener à l'hôpital. Ils avaient eu beaucoup de mal à relayer New York à Paris. Aussi curieux que cela puisse paraître, ils avaient été obligés d'aller jusqu'à Los Angeles. Ils avaient pris un petit avion pour Washington et ils avaient eu la frayeur de leur vie quand le pilote avait dû se poser en plein orage. L'avion était ballotté par les vents violents comme un fétu de paille. Les aéroports avaient alors été fermés pour quelques heures. Quand enfin le temps se fut levé, ils apprirent qu'aucun jet n'était disponible à la location et qu'aucune place de libre ne restait pour la France, les trois vols ayant été pris d'assaut par des français bloqués à New York depuis une semaine. Ils sont prioritaires, leur avait dit l'hôtesse avec un sourire gêné. Elle avait reconnu Largo d'après des photos dans la presse. Le milliardaire avait alors joué de tout son charme pour que la jeune femme essaye toutes les compagnies et au bout d'une interminable attente, ils avaient eu un vol pour Los Angeles, de là ils prendraient un vol pour Paris. Le vol pour l'Europe avait été, lui aussi, retardé de plusieurs heures pour cause de sécurité. De nouvelles menaces d'attentats flottaient dans l'air et la police ne voulait prendre aucun risque. Quand enfin ils arrivèrent à Paris le vendredi, il était plus de 8h00. Ils prirent directement un taxi à l'aéroport de Roissy pour aller à l'hôpital mais ils étaient dans les embouteillages jusqu'au cou. - On va jamais y arriver, murmura Simon en regardant pour la centième
fois sa montre Les rues défilaient grises et mornes. Il pleuvait des cordes et le Suisse pensa que cela allait de pair avec son humeur plus que morose. Il ne savait s'ils allaient arriver à temps pour empêcher Raf de commettre la plus grosse bêtise de sa vie. Il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir lui dire pour lui faire entendre raison, un " Je t'aime " ne serait sans doute pas suffisant. Le taxi s'arrêta enfin devant l'entrée de l'hôpital. Ils en sortirent en trombe et se précipitèrent à l'intérieur. *** Raf regarda l'horloge qui trônait au-dessus du secrétariat, il était presque dix heures. Son cur battait la chamade et elle avait peur. Son estomac grogna. Elle n'avait rien avalé depuis le jour antérieur et seulement la moitié d'un sandwich à midi. Le soir elle était rentrée trop tard et trop fatiguée pour ne penser à autre chose que son lit. - Mlle Sanchez ? Demanda un médecin qu'elle ne connaissait pas. Raf se leva et se dirigea vers l'homme en blouse blanche. Il avait une quarantaine d'années, il était grand, le visage émacié et son crâne chauve luisait à la lumière des néons. Ils se dirigèrent sans mot dire vers le fond du couloir où se trouvait le bloc opératoire. Il la laissa se préparer dans la salle attenante avec l'aide d'une infirmière et lui-même alla se préparer de l'autre côté du couloir. Quand elle fut prête, l'infirmière la dirigea vers le bloc et en ferma la porte derrière elle. *** Simon arriva en trombe dans la salle d'attente. Il examina avec attention les personnes présentes et se dirigea vers Val qui était entrain de massacrer un mouchoir en papier, tout en essayant de retenir ses larmes de frustration. - Val ? Quand il revint auprès de ses amis, il avait le visage défait. D'après l'infirmière qui avait eu la gentillesse de se renseigner, Raf était déjà au bloc. L'intervention allait commencer d'un instant à l'autre et on ne pouvait plus rien faire, sinon attendre un miracle. Il se laissa tomber auprès de Largo qui lui posa une main sur l'épaule pour le soutenir en silence. Il savait que toute parole serait veine face à la douleur de celui-ci. *** Raf était au bord de la crise panique, elle regardait avec horreur la salle d'opération, et mit une main devant son ventre d'un geste protecteur. Elle ne pouvait pas faire cela ! Cet enfant était l'enfant de l'amour, il ne pouvait pas finir comme cela. L'infirmière regardait avec intérêt la bataille d'émotions sur le visage de la jeune femme. Elle fit signe au chirurgien d'attendre encore un peu avant de pénétrer dans la salle. Ils n'aimaient pas faire des avortements, ils le faisaient seulement pour ne pas se retrouver dans la situation d'avant. Celle où les femmes en détresse allait voir les faiseuses d'anges. Même si beaucoup étaient expérimentées, trop de femmes mouraient suite à des infections ou restaient mutilées à vie. Alors chaque enfant qu'ils pouvaient sauver, était une victoire sur le désespoir. - Ca va, mademoiselle ? Demanda l'infirmière en s'approchant.
Raf hocha la tête silencieusement. L'infirmière la prit alors par le bras et l'emmena vers la salle où elle avait laissé ses affaires. Elle la fit asseoir sur une chaise, lui donna un verre d'eau et attendit que la crise de larmes de la jeune femme passe. Puis, avec une douceur infinie, elle l'aida à s'habiller et la raccompagna en salle d'attente. Trois paires d'yeux se posèrent sur elles. Un petit homme brun se précipita pour prendre sa patiente dans ses bras, ce devait être le père de l'enfant en déduisit-elle par les paroles de réconfort qu'il lui prodiguait. - J'ai pas pu, murmura Raf, j'ai pas pu faire cela à notre enfant. Je La pièce se mit à tourner et, si Simon ne l'avait pas tenu dans ses bras, elle se serait effondrée au sol. L'infirmière qui était prête à se retirer intervint aussitôt. Un brancard fut amené et une autre infirmière vint l'aider et ils emmenèrent Rafaela vers une salle de soin. Elles en interdirent l'accès à Simon, Largo et Val qui étaient morts d'inquiétude. Une heure plus tard, le même médecin qui était venue la chercher entra dans la salle d'attente en se grattant la tête. - Vous êtes des amis de Mlle Sanchez ? Le petit groupe se leva comme un seul homme. - Comment va-t-elle docteur ? Le médecin accompagna le petit groupe jusqu'à une chambre du troisième étage. Il ouvrit la porte et tous trois virent une forme pâle allongée sur un lit trop grand pour elle. Simon entra et alla s'asseoir sur son bord. - Salut ma puce Il n'obtint aucune réponse. Raf gardait obstinément le visage tourné vers la fenêtre. - Je t'en prie Raf, regarde-moi. Celle-ci tourna enfin son regard azur vers lui. La souffrance qu'il pouvait voir dans ses yeux lui vrilla le cur. Dieu qu'il pouvait l'aimer ! Dieu qu'elle lui avait manqué ! - Je t'aime, murmura-t-il en capturant ses lèvres d'un doux baiser. Il la prit dans ses bras et laissa couler des larmes de bonheur, quand enfin il la relâcha contre l'oreiller, il s'aperçut qu'elle s'était endormie le sourire aux lèvres. Il sortit en silence de la chambre pour permettre à Valérie de veiller elle aussi sur son amie. Largo le regarda et fut étonné de voir briller dans ses yeux une joie sans borne. - Ca va ? Demanda le milliardaire Il s'éloigna laissant Simon seul avec ses pensée. Quelques minutes plus tard, Valérie sortit de la chambre. Son amie dormait toujours. Elle regarda le Suisse et lui sourit. Ils allèrent jusqu'au petit salon réservé aux visiteurs au bout du couloir. Simon alla jusqu'au distributeur d'eau et ramena deux gobelets. Ils restèrent assit en silence pendant un long moment. - Merci, dit Valérie en déposant un baiser sur le front
du Suisse. Largo revint un sourire aux lèvres. Il avait dans ses mains un sac plein de croissants qu'il avait acheté à la boulangerie au coin de la rue. - Tenez, j'ai pensé que vous auriez faim. Ils explosèrent de rire en imaginant Simon dans une telle tenue. - Eh bien, je vois qu'on s'amuse bien ici. Valérie raconta à son mari les événements de la matinée. - Et quand saurons-nous ? Ils se rassirent dans le petit salon discutant à voix basse. Les minutes se transformèrent en heures et ils ne savaient toujours rien. De temps à autre, l'un d'entre eux allait voir dans la chambre de Raf si celle-ci s'était réveillée mais elle continuait à dormir avec un sourire angélique aux lèvres. Apres les heures de visites, Val et Ilia rentrèrent chez eux mais Simon ne voulait pas quitter sa fiancée. Le médecin autorisa exceptionnellement les deux hommes à rester dans le petit salon. *** Le lendemain Valérie revint accompagnée de son mari. Ils retrouvèrent Simon et Largo qui faisaient les cent pas dans le petit salon. - Que se passe-t-il ? Demanda Valérie soudain inquiète. Le médecin arriva une heure après, il avait l'air d'avoir mené une dure bataille. - Alors ? Le médecin les quitta en leur conseillant d'aller manger un morceau et de se reposer un peu. Ilia leur proposa de venir prendre un café à l'appartement. Simon allait refuser mais un regard de Valérie le fit renoncer. Il avait besoin de quelque chose de beaucoup fort que le jus de chaussette qu'ils trouvaient à la cafétéria de l'hôpital. *** Deux jours. Cela faisait deux jours qu'ils attendaient que le médecin leur dise que tout allait s'arranger mais chaque fois c'était la même réponse : il fallait attendre. Simon était en train de devenir dingue et il commençait à exaspérer ses compagnons. Il ne dormait que très peu, et passait une partie de ses nuits à faire les cent pas, dans le salon de Valérie, qui les avait invités à rester chez eux jusqu'à la fin de la crise. - Simon ? Fit Largo en entrant dans la pièce. Celui-ci était
face à la baie vitrée et semblait perdu dans ses pensées.
Simon ? Ils rejoignirent leur chambre et Simon, malgré la fatigue qu'il ressentait, ne put penser à autre chose que Raf et leur enfant. Mille et une questions virevoltaient dans sa tête. Qu'allait-il faire si jamais la jeune femme le perdait ? Comment allait-il pouvoir l'aider ? Comment, lui, allait-il pouvoir surmonter cette douleur ? Et si le bébé venait à terme, serait-il un bon père ? L'aimerait-il sans condition aucune ? Il soupira en retournant pour ce qui lui semblait être la centième fois dans son lit. *** Le lendemain, ils retournèrent à l'hôpital. Le médecin les attendait dans son bureau. Une infirmière les y conduisit avec un sourire poli aux lèvres. - Bonjour, les salua le médecin en se levant et en serrant la
main de Simon, Largo, Valérie et Ilia. Ils prirent congés et allèrent rejoindre Raf qui avait été installée dans une chambre individuelle. - Salut ma puce, fit Simon en entrant. Le visage de la jeune femme se fendit d'un grand sourire. Elle avait passé ces derniers jours à dormir et malgré cela son visage portait encore les marques d'une fatigue prononcée. Raf avait eu tout le temps pour réfléchir . Réfléchir à ce qu'elle allait faire de sa vie. Elle ne voulait pas perdre Daniel. Décidément elle ne pouvait se résoudre à l'appeler d'une autre manière que par ce prénom qu'elle aimait tant. Elle savait qu'il voulait qu'elle rentre avec lui aux Etat Unis, qu'il voulait qu'ils ne remettent en rien leurs projets de mariage, mais elle avait peur de commettre une autre erreur. Et puis il y avait sa mère. Elle était âgée de soixante-quinze ans et sa santé était chancelante. Elle s'en voulait déjà beaucoup d'avoir dû partir et la laisser à Strasbourg jusqu'à ce qu'elle trouve une situation stable. Elle en avait parlé avec celle-ci qui lui avait soutenu qu'il était temps qu'elle fasse sa vie et qu'elle se sentait trop vieille pour changer de domicile. Mais elle savait parfaitement que la vieille dame se sentait très seule et ne reprenait vie que lorsqu'elle rentrait à la maison. Cela faisait un an qu'elle bataillait dur pour la convaincre de venir s'installer avec elle, dans la capitale, et elle n'avait pas réussit alors comment allait-elle lui faire accepter l'idée de d'aller vivre dans un pays étranger, dont elle ne parlait pas du tout la langue, ni ne comprenait les coutumes ? Pour la vieille dame, c'était un pays de fous où régnait la violence, le crime et l'hypocrisie. Une caresse de Daniel sur la joue la fit revenir à la réalité. - Ca ne va pas ? Demanda celui-ci inquiet. Valérie vit le visage de son amie se fermer. Elle poussa un soupir de frustration. Raf continuait de ne rien lui dire à part les banalités d'usage. Elle savait que la jeune femme avait des choses en tête qui l'ennuyaient mais il semblait qu'elle ne lui faisait plus assez confiance pour lui en parler. - Comment te sens-tu, jeune fille ? Demanda Ilia sur un ton paternel. Il lui semblait qu'Ilia pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert et elle ne voulait pas qu'il voit son trouble. Elle aurait bien voulu en parler à Val mais elle ne savait plus comment faire. Elle avait peur de froisser son amie après les mots amères qu'elle lui avait lancé à la figure. Pourtant il fallait bien qu'elle en parle à quelqu'un. Daniel voulait qu'elle rentre à New York avec lui mais elle ne pouvait s'y résoudre. Elle ne pouvait pas imaginer sa vie sans mère. Il existait un lien entre elles qui, malgré les hauts et les bas dans leur relation, paraissait indestructible. Elle savait que c'était stupide de se sentir ainsi coupable de faire sa vie en tant qu'adulte mais elle ne pouvait s'en empêcher. Son frère et sa sur ne se préoccupaient pas du sort de leur mère. Elle était la petite dernière, un accident. Sa mère s'était retrouvée, à sa grande surprise, enceinte à quarante et un ans. Carmen, la sur de Raf qui était alors âgée de dix-neuf ans et qui habitait encore à l'époque la France avait été heureuse de cette nouvelle. Mais son frère, Felipe, d'un an son aîné, n'avait jamais pardonné à ses parents cet écart de conduite. Il trouvait que cette grossesse était une folie, cela mettait selon lui inutilement la santé de leur mère en danger. Il aurait voulu que sa mère avorte mais celle-ci s'y était fortement opposé. Il avait pris le parti d'ignorer l'enfant autant que possible. Il ne s'était jamais intéressé à sa scolarité sauf pour imposer des décisions arbitraires. Il n'avait jamais, durant la longue maladie de leur père, donner un coup de main à sa mère sauf quand il y était obligé. A la mort de celui-ci, il tolérait la présence de sa génitrice uniquement parce qu'elle lui était utile en tant que nourrice pour ses enfants. Quant à sa sur, il ne s'était jamais demandé si elle allait bien ou mal. Il n'avait jamais eu la curiosité de demander à la jeune fille ce qu'elle aimait, ce qu'elle détestait, si elle avait un petit ami ou si sa scolarité se passait bien. Les seules fois ou il lui avait parlé, c'était pour lui faire la leçon sur un ton qui n'admettait aucun commentaire. Carmen, elle, avait déménagé en Espagne quand Raf avait à peine cinq ans. Quand leur père était tombé très gravement malade, elle ne s'était jamais déplacée pour lui rendre visite. Elle s'excusait en disant que ce n'était pas simple avec quatre enfants, dont un en bas âge, et surtout que le voyage coûtait trop cher. Même quand son père était mort, elle n'était pas venue à l'enterrement. Raf ne gardait que très peu de souvenirs de cette époque, sa mémoire s'étant effacé pour lui permettre de grandir normalement. Elle ne gardait que des images, quelques odeurs et des scènes mais rien de très précis. Quand sa mère avait exprimé son envie de prendre sa retraite auprès de sa fille aînée quelques années auparavant, celle-ci avait été ravie au premier abord. Mais elle s'était bien vite rendue compte qu'elle ne pourrait pas manipuler sa mère comme elle le souhaitait. Elle avait tenue bon, jusqu'à ce que sa mère ne menace de dénoncer l'un de ses fils pour lui avoir volé de l'argent. Elle avait alors appelé Rafaela en catastrophe pour que celle-ci la récupère. Malheureusement, Raf qui passait ses fêtes chez Val s'était fait une entorse à Noël et elle ne pouvait pas marcher. Sa sur avait alors accompagné sa mère jusqu'à la frontière et l'avait mis dans un train vers Strasbourg un trente-un décembre, sans aucuns remords. Rafaela avait fait des pieds et des mains pour que sa mère puisse la rejoindre à Paris mais elle n'avait pas réussi, il n'y avait pas de correspondance compatible. Simon regarda sa dulcinée et put voir la bataille de sentiments qui se livraient en elle. - Ne t'inquiète pas ma chérie, nous allons trouver une
solution. Ils sortirent tous à l'exception de Valérie qui saisit cette occasion pour mettre les choses au clair avec son amie. - Je crois que nous avons à parler. Raf retomba épuisée sur l'oreiller, ce long discours avait pompé le peu d'énergie qu'elle avait, mais elle se sentait plus légère maintenant qu'elle avait dit ce qu'elle avait sur le cur. - Je ne te demande pas grand chose, juste de me faire confiance en retour, est-ce trop te demander ? Val ne savait que répondre. Elle avait confiance en son amie. Elle lui avait confié des choses qu'elle n'avait même pas dites à son mari. Mais il est vrai que lorsque les choses allaient mal, elle préférait se confier à quelqu'un d'autre, quelqu'un de moins proche, quelqu'un qui la connaissait moins bien que son amie. Elle n'en comprenait pas la raison, peut-être avait-elle peur de la décevoir ou de l'ennuyer avec ses problèmes. Elle n'avait jamais vraiment pris le temps d'y réfléchir. Elle pensait surtout que celle-ci n'en avait rien remarqué. - J'ai confiance en toi, ma puce. Tu connais tout de moi ou presque.
Le silence retomba entre les deux amies. Val s'assit près de Raf et attendit qu'elle s'endorme, ce qui ne tarda pas. Quand elle sortit, elle retrouva Ilia qui l'attendait dans le couloir. Elle se glissa entre ses bras pour reprendre des forces. Elle avait besoin de réconfort et d'amour. Elle avait peur, peur que sa relation avec Rafaela n'ait atteint un point de non retour même si cette conversation était un premier pas vers la " guérison ". - Elle t'en fait voir de toutes les couleurs, n'est-ce pas ? Ils sortirent de l'hôpital main dans la main, amoureux comme au premier jour. Les aléas de la vie quotidienne n'avaient en rien émoussé leur passion, au contraire, et si tout allait bien Val pensait pouvoir donner à Ilia ce fils qu'il désirait tant en secret. *** Joy faisait les cent pas dans le bunker sous les yeux d'un Kerensky excédé. Elle se sentait frustrée d'être aussi loin de l'action. Elle aurait voulu être là pour aider et soutenir Simon. Elle savait, même si Largo ne lui disait pas tout, que la situation était grave. - Joy, je vais finir par t'attacher sur une chaise si tu continues à
tourner comme un lion en cage. Tu es en train de me donner le tournis. Ils éclatèrent de rire à l'unisson. Joy se sentait mieux, plus légère mais elle aurait quand même préféré aller avec son compagnon. Elle tourna un instant son regard vers le Russe qui avait repris son travail. Comme il avait changé en quelques semaines ! Il avait presque l'air heureux et les démons qui l'assaillaient en temps normal, et qui lui donnaient un air si terrible et froid, semblaient n'être qu'un cauchemar que l'on oublie au réveil. Il souriait, sortait plus souvent de son antre et plaisantait davantage. Il en devenait même plus séduisant et sexy selon les filles de certains bureaux qu'elle avait entendu piailler dans les toilettes du service juridique. *** Enfin le danger était passé. Quand le médecin avait annoncé la nouvelle, Simon avait pris Valérie dans ses bras et l'avait étreinte avec des larmes dans les yeux. Qui mieux que la meilleure amie de sa fiancée pouvait apprécier cette joie, et cette nouvelle chance que la vie lui offrait de nouveau ? Raf, toujours extrêmement fatiguée malgré un traitement fortifiant, avait laissé couler des larmes de soulagement et de bonheur. Leur enfant allait vivre, à condition, d'après le médecin, de faire très attention. Rafaela se devait d'éviter toute fatigue ce qui voulait dire pas de travail, pas de grosses émotions, du repos, rien que du repos et beaucoup de tendresse avait conclut le médecin d'un sourire taquin. Il avait pris en affection cette bande d'amis qui semblaient si unis et qui, malgré cette situation, critique au départ, était restée soudée jusqu'au bout. Raf était venue s'installer chez Val pendant quelques jours tandis que Simon était en train de tout régler pour leur prochain départ. Elle se sentait heureuse de ne finalement pas être obligée de quitter sa meilleure amie, qui était comme sa sur siamoise, mais d'un autre coté, elle était inquiète pour sa mère et ceci gâchait la joie qu'elle se faisait d'emménager enfin avec l'homme qu'elle aimait. De son coté, Largo était en train de concocter une petite surprise à son meilleur ami et la femme de sa vie avec l'aide de Joy et Kerensky. Il espérait que cela leur plairait à tous les deux. C'était lui aussi qui se chargeait, à la demande du Suisse, de tout le coté pratique de ce déménagement pendant que celui-ci allait tenter de convaincre sa future belle-mère que sa fille ne serait heureuse que si elle consentait à les accompagner. Il prit donc l'avion pour Strasbourg en priant tous les saints qu'il connaissait, de lui donner le courage et la force, ainsi que les bons mots, pour que celle-ci accepte de quitter son domicile et vienne dans un pays étranger dont elle ne parlait pas la langue. - Bonjour, fit-il timidement en pénétrant dans l'appartement
qui avait vu grandir sa fiancée. Simon repartit dépité. Il n'avait pas obtenu ce qu'il voulait. Il soupira, au moins elle a dit qu'elle y réfléchirait, pensa-t-il en attendant le taxi qui devait le ramener à l'aéroport. Il se félicitait de ne rien avoir dit à Raf, cela aurait été cruel de lui donner des faux espoirs. Il commençait à comprendre d'où la jeune femme tenait son côté tête de mule. Le Suisse rentra tête basse de Strasbourg. Il aurait préféré avoir de bonnes nouvelles à annoncer à sa fiancée. Sa fiancée comme cela sonnait bien à ses oreilles. Il était loin le temps où il draguait tout ce qui portait une jupe et passait à moins de cinquante centimètres de lui. Il se sentait heureux et il lui semblait que plus rien ne pourrait venir obscurcir ce bonheur pour lequel ils s'étaient battus, lui et Raf. Il se faisait du souci pour la jeune femme. Cette grossesse avait bien mal débuté et il craignait qu'elle ne se finisse mal. Quand il revint chez Valérie, il la trouva dans le salon entrain de déguster un cappuccino. - Bonjour
Simon lui lança un regard incertain. Sa séparation d'avec Raf l'avait bouleversé plus qu'il n'avait voulu l'admettre. Il savait que même si elle lui avait pardonné son incartade, elle ne lui avait pas rendu toute sa confiance. Il la sentait méfiante par moments, mal assurée. Ils n'avaient pas reparlé de l'incident, ni de ses conséquences. Pourtant il leur faudrait un jour ou l'autre aborder ce sujet, aussi douloureux fut-il, pour pouvoir avancer dans leur relation. - Va la retrouver, dit Val en souriant. Et profite de tous les instants
que la vie t'offre. Il alla rejoindre Rafaela dans la chambre d'ami où elle avait été provisoirement installée. Couchée sur le coté, un bras sous le bord de l'oreiller, la couette était remontée jusqu'au menton de la jeune femme. La tête du chien en peluche, qui ne la quittait jamais, dépassait de celle-ci, jouant son rôle " d'attrape angoisse " comme elle disait. Il ne savait pas si c'était efficace pour tenir éloigné tous les mauvais rêves et les soucis qui agitaient souvent son sommeil mais elle ne pouvait pas dormir sans. Au départ, il avait trouvé stupide l'idée qu'une femme de plus de trente ans dorme encore avec un " doudou ", mais il avait dû se rendre à l'évidence, les deux seules fois où elle était restée dormir chez lui, et n'avait pas eu la peluche avec elle, Rafaela avait pratiquement passé toute la nuit à se tourner et se retourner dans tous les sens sans pouvoir trouver un sommeil réparateur. Nicky, le chien de Val, était couché de tout son long de l'autre coté du lit, comme s'il veillait sur le sommeil de Raf. Il leva la tête et, jugeant sa protégée en de bonnes mains, descendit gracieusement du lit et sortit de la chambre. Simon alla s'asseoir dans le fauteuil près de la fenêtre tout en ne quittant pas des yeux sa dulcinée. Il aurait voulu l'embrasser avec tendresse et s'allonger près d'elle mais la jeune femme avait un sommeil tellement léger que cela aurait suffit à le réveiller. Et il voulait qu'elle se repose, qu'elle dorme d'un sommeil réparateur, chose qui lui avait manqué ces derniers temps, et qui avait failli causer tant de malheur. Il soupira, il ne pouvait pas comprendre pourquoi elle avait délibérément mis sa vie en danger en ne prenant pas soin d'elle et en travaillant plus que de raison. Il pensa au patron de la jeune femme qui n'avait pas été ravi d'apprendre que celle-ci était hors course pour plusieurs mois et que, de plus, il se retrouvait à nouveau sans chef de la sécurité. - Daniel ? Fit un petite voix timide qui le tira de ses pensées. Il soupira, le moment de vérité était là. Il fallait qu'il saisisse sa chance. C'était comme un examen de passage, si jamais il le ratait, il ne donnait pas cher de leur couple. - Mon père est mort quand j'étais très jeune, puis ma mère nous a quittés, me laissant seul avec ma sur. Il a fallu que j'apprenne très vite à me débrouiller. J'ai abandonné l'école et j'ai fait des petits boulots mais comme cela ne rapportait pas assez, je me suis mis à " prendre " ce dont j'avais besoin pour nous faire vivre. J'étais très doué comme voleur, si, si je t'assure. Dès que ma sur a pu voler de ses propres ailes, elle a pris son envol. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à voyager de part le monde, ne m'attachant à rien, ni à personne. Jusqu'au jour où j'ai rencontré Largo dans une prison turque. Y avait ce type qui voulait lui voler ses bottes et je ne pouvais franchement pas le laisser faire. Nous sommes devenus des amis à la vie, à la mort, partageant tout. Nous n'avions rien mais nous étions heureux comme ça. Et puis le père de Largo est mort, lui laissant la moitié du globe à diriger. Je peux te dire que ça été une sacrée prise de tête mais finalement il a accepté son héritage. Au départ, je n'avais pas vraiment de place attitrée sinon celle d'être le meilleur ami du patron, ce qui m'a valu quelques quolibets. Je n'avais pas de but, je ne me sentais pas à ma place mais peu à peu j'ai commencé à m'occuper de la sécurité. Qui mieux qu'un voleur peut voir les défaut d'un système ? Nous avons formé une équipe de choc avec Joy, qui était le garde du corps de Largo, et le frère d'Ilia, qui est un véritable génie de l'informatique. Tu sais, diriger une telle entreprise n'est pas facile tous les jours et les ennemis sont nombreux, puissants et dangereux. J'avais enfin trouvé ma place, un but dans ma vie, tu comprends ? Simon soupira et se passa la main dans les cheveux. Ce n'était pas une chose aisée ce qu'il était en train de faire, se mettre ainsi à nu devant la personne qu'il aimait en courant le risque que ce qu'elle découvre ne lui plaise pas. - Et l'alcool ? Il s'allongea à ses cotés, et la prit contre lui. Elle nicha sa tête contre son épaule et poussa un soupir d'aise. Il pouvait sentir la douceur de sa peau, la chaleur de son corps et la caresse de ses cheveux. Elle ne tarda pas à rejoindre le pays des songes et dormi d'un sommeil tranquille et réparateur dans les bras de celui qu'elle aimait. *** Ilia descendit de l'avion deux jours plus tard. Il avait hâte de retrouver son frère. Celui-ci l'attendait appuyé nonchalamment contre l'un des piliers du hall d'arrivée, le sourire aux lèvres .Ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre, heureux de se retrouver. - Comment ça va, petit frère ? Demanda Georgi tout en le
guidant vers le parking souterrain où il avait garé sa voiture. Ils se regardèrent un instant avant de secouer la tête. - Nannnnnnnn, s'écrièrent-ils à l'unisson tout en
éclatant de rire. Dans l'ombre, une silhouette fixait les deux hommes. Parfait, c'était parfait. Qui aurait imaginé que Kerensky avait un frère jumeau ? Il fit signe aux hommes de se mettre en position. Georgi leva la tête alors qu'il était en train d'ouvrir la portière de la voiture. Tous ses signaux d'alerte s'étaient déclenchés. Il observa les alentours et vit des ombres bouger dans le garage faiblement éclairé. Il mit la main dans son veston et prit l'arme qui ne le quittait jamais. - Qu'est-ce qu'il y a ? S'enquit Ilia en remarquant le changement de
comportement de son frère. La riposte fut rapide. Ce n'était pas de simples pistolets qu'avaient leurs adversaires mais des pistolets mitrailleurs qui crachaient leurs balles à une cadence infernale. Kerensky se mit à l'abri derrière une colonne tandis qu'Ilia tentait de se frayer un passage vers la sortie sans se faire remarquer. Soudain il sentit une présence derrière lui mais il n'eut pas le temps de voir de qui il s'agissait, un coup à la tête l'étourdit suffisamment pour permettre à son adversaire de prendre l'avantage sur lui. Ses mains furent amenées brusquement en arrière et il sentit des menottes encercler ses poignets et le réduire à l'impuissance. D'un geste rude, son agresseur le mit debout. Ilia se dit que son assaillant n'aurait sûrement pas à le tuer parce que son mal de tête le ferait à sa place. Il secoua la tête pour tenter de dissiper le brouillard qui dansait devant ses yeux. Il fut emmené près d'un homme qui portait une gabardine noire et chapeau en feutre de la même couleur, le portrait type d'un mafioso tiré d'un film des années cinquante. Il ne manquait que Boggart pour compléter le tableau. Une balafre courait tout le long de sa joue gauche tandis qu'une autre cicatrice lui coupait le sourcil en deux. - Cessez le feu, cria-t-il en jetant sa cigarette à peine entamée sur le sol de béton. Un silence retomba telle une chape de plomb étouffante. Ilia regarda autour de lui, deux malabars se tenaient à ses côtés. Il pouvait voir les silhouettes des hommes de mains visant son frère, prêts à faire feu, dès que l'ordre leur serait donné. - Sors de là Kerensky ! Ou je fais abattre ton frère comme un chien, cria-t-il avec un fort accent russe. L'un des hommes poussa Ilia en avant jusqu'à ce qu'il fut à découvert. Il le força à s'agenouiller puis appuya le canon de son pistolet mitrailleur contre son crâne. Il ne put s'empêcher de frissonner en sentant le métal froid contre sa tête. Georgi reconnut la voix de son adversaire. Il s'agissait de l'ex général Mikhail Antonov, ex agent du KGB, tueur à la solde du plus offrant et trafiquant d'armes à ses heures perdues. - Je te croyais mort, camarade ! Répondit Kerensky d'une vois
glaciale, décidément les prisons ne sont plus ce qu'elles
étaient. Antonov fit un signe à l'un des gardes et celui-ci donna un coup de pied dans l'abdomen d'Ilia qui s'effondra sur le sol, le souffle coupé. Un deuxième coup le frappa dans les côtes et une douleur intense envahit sa cage thoracique. Il ne put s'empêcher de laisser échapper un gémissement tant la douleur était forte. Les coups pleuvaient et Ilia se recroquevilla sur lui-même essayant de leur échapper de son mieux. - Arrêtez ! Cria Kerensky en lançant son arme au sol et
en sortant les mains en l'air. Georgi avança jusqu'à Antonov et se retrouva bientôt entouré par deux hommes qui lui attachèrent les mains dans le dos et le fouillèrent consciencieusement. Kerensky lança un regard inquiet à son frère, celui-ci releva la tête un air de défi dans le regard. - Quoi qu'il arrive ne fait rien de ce qu'il te demandera, lâcha-t-il tout en grimaçant, il nous tuera de toute manière. Un coup de pied le fit se plier de nouveau en deux sur le sol. Il avait soudainement du mal à respirer. Il comprit immédiatement, une de ses côtes cassées avait dû lui perforer un poumon, dieu que ca faisait mal ! - Police ! On ne bouge plus ! Hurla une voix qui venait de leur droite.
Lâchez vos armes et mettez les mains en l'air. Un van noir aux vitres teintées vint s'arrêter devant eux. Kerensky fut poussé à l'intérieur tandis que deux hommes de main y balancèrent Ilia sans ménagement, tel un sac de pomme de terre. La porte se referma et le van démarra en trombe, sous le feu nourri de la police, projetant les deux frères contre la parois métallique. Le mari de Val laissa échapper un nouveau gémissement de douleur. - Ca va petit frère ? Ilia hocha la tête et ferma les yeux. Il pouvait sentir le regard de son frère posé sur lui et, quelque part, cela le réconforta de ne pas être seul. Le van fila dans la nuit vers une destination connue d'Antonov seul. Celui-ci avait hâte d'arriver en lieu sûr pour s'occuper de sa petite affaire. Il allait faire souffrir Kerensky. Oh oui, il allait le faire souffrir jusqu'à ce qu'il supplie qu'on l'achève. Il allait se faire un plaisir d'exécuter son frère sous ses yeux après l'avoir quelque peu malmené, cela devrait être suffisant pour le faire plier et le rendre plus malléable. Il en ferait son jouet pour son plus grand plaisir. Ensuite Ensuite, quand l'exaltation serait passée, il l'abattrait comme un chien et jetterait son corps en pâture aux poissons du fleuve. Cette seule perpective le faisait sourire. Il imaginait sans peine les hurlements de rage et d'impuissance de son ennemi et cela le mettait en joie. Bientôt, très bientôt, le légendaire Kerensky aurait fini d'exister pour toujours et lui, Antonov, retrouverait sa place dans les hautes sphères du pouvoir et du crime. *** Largo leva un il de ses dossiers quand le téléphone sonna. Le garde de la réception lui apprit que la police voulait le voir. Il jeta un regard inquiet à Joy qui s'était endormie sur le canapé du salon. Quelques minutes plus tard on frappait à la porte du penthouse. Il ouvrit et vit deux policiers en civil le détailler du regard. - M Winch ? Demanda le plus jeune des deux inspecteurs. Ils se rendirent au domicile de Kerensky et, comme Largo s'y attendait, ils ne trouvèrent rien d'intéressant. L'appartement était meublé de façon spartiate et fonctionnelle, il n'y venait que pour dormir quand ses recherches au bunker le lui permettaient. En fait, songea Largo, c'est le bunker sa maison. Il prit son portable et demanda à Joy d'aller y jeter un coup d'il. Avec un peu de chance, elle y trouverait quelque chose. *** Simon était en train de jouer avec Cassandra, sous l'il bienveillant de Raf et de Valérie qui discutaient tranquillement sur le canapé. Le téléphone sonna et Val tendit la main pour prendre le combiné. - Allô ? Joy lui raconta le peu qu'elle savait et lui demanda de redoubler de vigilance et de ne surtout pas prévenir Valérie. Simon protesta pour la forme tout en faisant promettre à Joy que ce serait elle qui expliquerait tout à Val. Il n'avait franchement pas envie de se retrouver en face d'elle au moment de vérité, la gifle que lui avait administré la jeune femme à l'hôpital était encore très claire dans son esprit. - Tout va bien ? Demanda Raf qui avait remarqué l'air soucieux
de son compagnon. Les deux jeunes femmes se mirent à rire tandis que Val se rendait à la cuisine pour mijoter un bon petit plat. Cassandra la suivit pour l'aider. Elle sourit à sa fille avec bienveillance. Elle avait hâte de retrouver son mari, il lui manquait terriblement. Elle soupira en espérant qu'il allait appeler, elle avait très envie d'entendre sa voix grave et sensuelle lui murmurer des mots d'amour qui la ferait fondre, mais elle ne s'inquiétait pas trop, entre le décalage horaire et les retrouvailles avec son frère et ses amis, il devait être fort occupé.
Le van s'arrêta enfin. La porte sur le coté s'ouvrit et un garde fit signe à Kerensky de descendre. Celui-ci jeta un il à son frère qui semblait inconscient. Il sortit du véhicule et regarda autour de lui. Dans l'obscurité de la nuit, il ne reconnut pas exactement l'endroit mais savait qu'ils étaient près de la mer, l'air avait ce parfum iodé caractéristique et il pouvait entendre une corne de brume au large. Il fut poussé sans ménagement à l'intérieur d'un entrepôt qui avait connu des jours meilleurs et enfermé avec Ilia dans une pièce qui avait dû servir de bureau dans le temps. Il n'y avait, en tout et pour tout, qu'un seul matelas crasseux, qui avait vu des jours meilleurs, et une cruche d'eau dans un coin. Ce qui, dans leur cas, ne leur servirait à rien avec les mains attachées dans le dos. Il fit le tour du propriétaire et ne trouva rien qui put les aider à se tirer de ce mauvais pas. Il s'assit en soupirant près d'Ilia qui respirait de plus en plus mal. Jamais il n'aurait du permettre à son frère de se rapprocher de lui. Pourtant il pouvait l'entendre dans sa tête lui disant que tout cela n'était pas de sa faute mais il ne pouvait s'empêcher de le penser. Si jamais ils s'en sortaient, il ferait en sorte que cela ne se reproduise plus. Il donnerait sa démission à Largo et irait loin, là où les personnes qui l'aimaient ne pourraient être blessées. - Arrête ton char, Ben Hur ! Murmura Ilia en voyant le regard le
regard empli de culpabilité que son frère lui portait. La porte s'ouvrit sur deux hommes habillés en noir. L'un d'eux avait une arme à la main et l'autre prit Kerensky par le bras, le mit debout sans ménagement et l'emmena voir son patron. Il traversèrent l'entrepôt puis, passant dans un couloir sombre, il arrivèrent à une pièce située à l'arrière du bâtiment. La lumière lui fit mal aux yeux quand il fut jeté rudement à genoux devant un bureau en bois massif. Antonov, qui se trouvait là, regarda le Russe tenter de se relever mais il en fut empêché par un de ses sbires. - Bien, bien, bien, nous revoilà face à face, mon vieil
ami, dit Antonov d'une voix calme. Je suis désolé du peu
de confort de vos appartements mais je n'ai pas encore eu le temps de
tout aménager. Cependant, si tu restes assez longtemps avec nous,
tu constateras que je peux être très hospitalier. L'un des gardes le frappa à l'estomac d'un coup pied qui le fit vaciller et lui coupa la respiration. Il grimaça de douleur mais aucun son ne s'échappa de sa bouche. - Allons messieurs, un peu de calme. Vladimir, détache-le et laisse-nous. L'homme en question le releva brusquement et lui défit ses menottes. D'un geste, Antonov fit signe au Russe de s'asseoir sur le fauteuil en velours qui faisait face au bureau. Kerensky se frotta les poignets tout en regardant autour de lui. Il n'y avait aucune fenêtre, aucun autre moyen de sortir si ce n'était par la porte qui était très fortement gardée. Il lui faudrait patienter encore avant de pouvoir sortir son frère de là. Mais il devait faire vite parce que si la pression dans son poumon n'était pas bientôt relâchée, celui-ci cesserait de fonctionner et si celui-ci lâchait, il y avait peu de chance qu'Ilia s'en sorte. - Bien, maintenant que nous sommes confortablement installés,
nous allons pouvoir discuter sérieusement. Kerensky gardait son visage impassible mais intérieurement il avait peur, peur de ce que ce fou pourrait faire. - Mais je vais être clément, reprit Antonov, ton frère
sera exécuté d'une balle dans la tête au lever du
jour. Toi, tu subiras tout ce que j'ai du subir dans ce goulag puant et
sale avant de le rejoindre dans des souffrances atroces. Le gorille entra les menottes à la main. Il allait les passer aux poignets du Russe quand Antonov l'arrêta d'un signe de la main. - Ce n'est pas la peine. Avec son frère dans cet état, il n'ira nulle part, n'est-ce pas ? Ils marchèrent en silence, Vladimir enfonçant le canon de son arme dans le dos de Kerensky. Traversant de nouveau l'entrepôt, il fut jeté sans ménagement dans leur prison. Georgi s'agenouilla près de son frère et tâta sa gorge à la recherche d'un pouls. Il le trouva finalement faible et filant. Il fallait qu'il agisse et vite sinon Ilia ne s'en sortirait pas. Antonov avait commis sa première erreur en lui laissant les mains libres. Il se leva rapidement, un plan se dessinant dans sa tête. S'il pouvait attirer les deux gardes à l'intérieur, il aurait une chance de les désarmer et de " négocier " le problème Antonov à la manière de Bruce Willis dans " Le cinquième élément ". Personne n'avait le droit de s'en prendre à sa famille. Il savait que s'il le laissait en vie celui-ci reviendrait à la charge, encore et encore, jusqu'à ce qu'il réussisse à les détruire. - Hey ! J'ai besoin d'aide ! Vous m'entendez ? J'ai besoin d'un médecin
tout de suite ! S'écria-t-il en s'accroupissant près de
son frère. Avant qu'il ne puisse réagir Georgi, qui s'était caché derrière la porte, l'attrapa et l'assomma puis s'occupa de son collègue avant qu'il ne puisse donner l'alerte. Le Russe les traîna hors de vue et les délesta de leurs armes automatiques. Il vérifia une dernière fois l'état d'Ilia avant de l'enfermer dans le bureau. Puis il traversa l'entrepôt, se cachant derrière les quelques caisses et piliers qui se trouvaient là. Il semblait qu'une partie des hommes de mains n'avaient été engagés que pour leur capture. Il ne restait à présent qu'une dizaine d'hommes armés, dont la majorité étaient en train de jouer une partie de poker dans une petite cuisine aménagée, pas très loin de leur lieu de détention. Il compta cinq personne autour de la table deux ainsi qu'un spectateur qui semblait hypnotisé par le jeu. Il continua d'avancer toujours dans le plus grand silence jusqu'à arriver aux abords du couloir qu'il lui faudrait traverser pour rejoindre le bureau d'Antonov. Deux gardes fumaient appuyés contre le mur tout en discutant à voix basse. Sans laisser aux deux hommes le temps de réagir, il les assomma d'un coup de crosse pour l'un, et d'un coup de pied pour l'autre. Il prit leurs armes, les déchargea et rangea les munitions dans la poche de son pantalon. Il traversa le couloir avec de longues enjambées et ouvrit la porte d'un coup de pied. Antonov, qui venait de raccrocher d'avec ses commanditaires, avait le sourire aux lèvres. Tout se passait comme il l'avait prévu et demain serait son grand jour. Kerensky ne serait plus de ce monde et il pourrait à nouveau jouir des faveurs du Milieu. Il releva la tête et vit son ennemi juré le mettre en joue. Son sourire s'effaça tandis que la peur le tenaillait au ventre. Dans les yeux de Kerensky, on pouvait lire une haine sans borne qui donnait froid dans le dos. - Non, murmura Antonov sachant qu'il allait mourir. Georgi sentit une présence derrière lui et se retourna pour mettre son poing dans la figure d'un des gardes qui avait espéré le surprendre. Antonov profita de ce moment d'inattention pour ouvrir le tiroir de son bureau et y prendre son revolver. Il mit le Russe en joue mais avant qu'il ne puisse tirer, Kerensky l'avait de nouveau pris pour cible. - Si tu tires, je tire et nous mourrons tous les deux. Les mains d'Antonov tremblaient de colère, imperceptiblement il ajusta son tir mais il ne put tirer, Kerensky l'avait abattu avant qu'il ait eu une chance de toucher la gâchette. Il tomba à la renverse sur son siège en cuir, le visage crispé en une horrible grimace d'incompréhension et de douleur. Le Russe ne s'attarda pas et alla retrouver son frère. Les hommes de mains le regardèrent traverser l'entrepôt d'un pas rapide avec surprise mais aucun ne tenta de l'arrêter, puis comprenant la situation chacun pris ses jambes à son cou et ils disparurent à toute vitesse. Georgi entra dans la pièce qui leur avait servi de geôle et s'accroupit près de son frère qui avait apparemment reprit connaissance. - Comment te sens-tu ? Il retourna dans le bureau et forma le numéro du penthouse. Après quelques sonneries, il entendit le bruit caractéristique d'un transfert de poste. - Allô ? Fit une voix féminine qu'il connaissait bien. Il raccrocha et alla retrouver son Ilia qui avait de nouveau sombré dans l'inconscience. Il le souleva avec beaucoup de douceur et se dirigea vers l'entrée du bâtiment. Puis, une fois à l'extérieur, il le déposa à même le sol et le recouvrit de sa veste pour qu'il n'ait pas froid. *** Au bunker, Joy avait appelé une ambulance puis Largo qui était toujours avec les inspecteurs. - Joy ? Du nouveau ? Instinctivement, l'inspecteur Giambonne lui tendit son calepin et son stylo. Il vit le milliardaire griffonner une adresse rapidement. - J'ai déjà envoyé les secours là-bas, continua
Joy. Largo raccrocha et informa les policiers des derniers développements de l'affaire. L'inspecteur O'Brian, qui était au volant, mit le gyrophare en marche et fit un demi-tour des plus brusques. Largo jura entre ses dents tandis que l'autre inspecteur se tenait au tableau de bord. Quand ils arrivèrent quelques minutes plus tard, des infirmiers chargeaient Ilia dans l'ambulance et Kerensky répondait aux questions des policiers en uniforme. La voiture à peine arrêtée, Largo sauta à terre et se dirigea presque en courant vers son ami. Celui-ci avait les trait tirés, son visage était sale, ses cheveux emmêlés et sa chemise portait des traces de sang. - Ca va ? Demanda-t-il en détaillant le Russe du regard. Largo jeta un coup d'il au policier qui acquiesça, ils auraient tout le temps de prendre sa déposition le lendemain. Georgi monta à bord de l'ambulance qui s'élança dans la nuit, toutes sirènes hurlantes, en direction de l'hôpital le plus proche. Les deux infirmiers s'affairaient autour d'Ilia essayant de le stabiliser tandis que, pour la première fois depuis de longues années, le Russe se mettait à prier. *** Le portable de Simon sonna alors qu'il préparait un déjeuner pantagruélique pour Valérie, Raf et Cassy qui riaient aux éclats dans la chambre. Val avait passé la matinée à faire les boutiques de gadgets en tout genre et les deux amies hurlaient de rire chaque fois que celle-ci montrait un autre de ses achats. Depuis l'appel de Joy, il se sentait inquiet. Il savait que Georgi avait des ennemis. C'était le lot de toute personne ayant travaillée sur le terrain pour des agences gouvernementales mais jamais il n'aurait pensé que cela pourrait, un jour ou l'autre, les mettre en danger. Il espérait de tout cur qu'ils allaient retrouver les deux frères en vie et en un seul morceau. - Allô ? Le Suisse raccrocha et se dirigea vers la chambre. Raf était allongée sur le lit en train d'admirer la couverture d'un DVD qu'elles allaient se faire un plaisir de " déguster " tout en déjeunant. Valérie rangeait dans la penderie, le nouvel ensemble couleur rouge vif qu'elle s'était acheté pour se consoler du silence d'Ilia. - Les filles, fit-il gravement en entrant dans la chambre. Il faut que
je vous parle. Valérie ne répondit, elle avait envie de fondre en larmes mais elle ne pouvait pas se le permettre, pas maintenant. Plus tard peut-être, quand son mari serait sortit d'affaire. Elle alla chercher une valise du réduit qui jouxtait la chambre et y entassa quelques affaires. Elle prit son passeport ainsi qu'un peu de liquide dans la boite de secours où ils gardaient toujours un peu d'argent pour les cas d'urgence. Elle avait à peine fini qu'on sonnait à la porte. Simon alla ouvrir tandis que Val expliquait à Cassandra qu'elle allait voir son papa qui était malade et qu'elle devait être bien sage avec tonton Simon et tata Raf jusqu'à ce que mamish ou papou vienne la chercher. Sullivan fut content de retrouver le Suisse, il trouvait le penthouse beaucoup trop calme depuis son départ. Simon présenta sa fiancée, puis Val, à l'homme d'affaire qui aurait mille fois préféré les rencontrer dans des circonstances moins dramatiques. Après avoir rapidement embrassé Raf qui lui murmura à l'oreille des paroles de réconfort, fait un câlin à sa fille et dit au revoir à Simon, qui la prit dans ses bras pour lui transmettre un peu de sa force, elle s'en alla avec John qui tenta par tous les moyens de la rassurer. *** A New York, Kerensky attendait en compagnie de Largo et Joy qu'Ilia sorte de la salle d'opération. Les médecins aux urgences avaient réussi à le stabiliser suffisamment pour qu'il puisse être emmené en salle d'opération où le chirurgien se battait comme un beau diable pour le maintenir en vie. Il avait du mal à arrêter l'hémorragie. Ils avaient réussi à remettre le poumon en état de marche mais l'une des veines avait été déchirée par la côte fracturée. Il surveillait le rythme cardiaque tout en travaillant rapidement. Soudain les bips s'accélèrent et le cur flancha. Avec une dextérité toute professionnelle, il entreprit un massage en attendant que l'adrénaline injectée par son assistant fasse effet. Comme le tracé était toujours plat, il fit signe à une infirmière de lui passer les palettes du défibrillateur, il allait tenter de le choquer. Il essaya une première fois sans aucun effet, puis seconde fois en augmentant la puissance. Ce ne fut qu'au troisième choc électrique qu'enfin ils obtinrent un rythme cardiaque presque normal. Le chirurgien poussa un soupir de soulagement et recommença à travailler avant de le refermer et d'aller rejoindre sa famille qui l'attendait sans aucun doute en salle d'attente. C'était la partie de son travail qu'il aimait le moins, surtout dans les cas où le patient était dans un état très instable et risquait de mourir à n'importe quel moment. Il sortit du bloc et se dirigea vers la salle d'attente. Il n'eut aucun mal à reconnaître la famille de son patient. - Vous êtes de la famille de M Kerensky ? Demanda le médecin
pour la forme en scrutant des yeux le visage défait du frère
jumeau de son malade. Le médecin retourna vers les blocs, d'autres patients attendaient de lui qu'il leur sauve la vie. Kerensky se laissa tomber sur une chaise et se prit la tête entre les mains pendant un instant. Puis, parvenant à retrouver un semblant de calme, il se dirigea vers la machine à café, il regarda par la fenêtre l'aube qui pointait. Sans l'ombre d'un doute, la journée allait être longue et il aurait besoin d'énergie pour affronter sa belle-sur qui serait là dans quelques heures. *** Valérie était furieuse. L'inquiétude qui l'avait submergée lorsque le Suisse lui avait annoncé la nouvelle avait fait place à la colère. Celle-ci n'avait fait qu'augmenter tout au long du voyage pour se rendre au chevet de son mari. Elle regrettait que sa meilleure amie n'ait pu venir avec elle se serait sentie moins seule et plus rassurée. Largo l'attendait à sa descente d'avion, il l'embrassa sur la joue puis sans perdre de temps ils se dirigèrent vers l'hôpital. Le trajet se passa dans un silence pesant. La jeune femme s'inquiétait pour son mari et aucun des mots prononcés par le milliardaire ne l'apaisèrent. Vingt minutes plus tard, les pas de Valérie résonnaient sur le carrelage qui avait connu des jours meilleurs du couloir menant au service de chirurgie. Joy était assise dans la salle d'attente, au coté de Kerensky qui n'avait pas décroché un mot depuis le départ du médecin quelques heures plus tôt. Ils avaient tenté de la convaincre de rentrer au groupe W mais elle avait refusé, arguant qu'un hôpital était le meilleur endroit où elle pouvait se trouver si jamais le bébé décidait de se manifester. Largo, qui trottait près de Val, se cogna dans son dos quand elle s'arrêta brusquement pour lancer un regard noir à Georgi. Le Russe se leva en l'apercevant, son visage n'exprimait aucune émotion particulière ce qui décupla la colère de sa belle-sur. Elle fut devant lui en quelques pas et, malgré les quelques centimètres en moins qu'elle avait sur lui, lui donna une gifle magistrale qui retentit dans la pièce. Une marque rouge apparut aussitôt sur la joue de Georgi qui ne fit rien pour répliquer. Il méritait cette gifle et bien plus encore. Il n'avait pas su protéger son frère, à l'instar des quelques femmes qui avaient traversé sa vie ces dernières années. Largo avait regardé la scène incrédule. Joy s'était levée à leur arrivée et lui fit un signe discret. - On ne peut pas les laisser seuls, protesta à mi-voix le milliardaire
quand elle lui indiqua la sortie. Ni Valérie, ni Georgi n'avaient fait attention au couple. Ils se dévisageaient gravement. L'un bouillant de colère, l'autre aussi stoïque en apparence qu'à son habitude. - Comment as-tu pu ! As-tu seulement pensé une seule minute à
nous ? S'écria Val en pointant un doigt accusateur sur le torse
de son beau-frère. Elle avait raison. Il n'avait rien à répondre à cela. Il ne pouvait quand même pas traquer tous les gens à qui il avait fait du tort pour les liquider froidement ! Son silence n'apaisa pas la jeune femme. - Réponds-moi, merde ! Explosa Valérie en frappant de ses poings sur le torse du Russe. A cause de toi, mon mari se trouve au soin intensif de ce putain d'hôpital en plein cur de New York ! Dis-moi ce que je vais dire à Cassy si jamais Avant même qu'il n'ait eu le temps de réaliser qu'il ne l'avait jamais entendue parler aussi crûment, elle fondit en larmes dans ses bras. Elle se serait laissée glisser sur le sol s'il ne l'avait pas rattrapée. - Je ne peux pas vivre sans lui, déclara-t-elle entre deux sanglots. Je ne peux pas Pour la première fois de sa vie, les mots restèrent bloqués
dans la gorge de Georgi. Il avait passé des années à
se blinder pour éviter toutes émotions mais, cette fois,
c'était son frère qui était allongé sur un
lit en réanimation. Un frère qu'il venait à peine
de retrouver, qui avait une famille et dont la femme lui faisait des reproches
à juste titre. Il se contenta de la serrer contre lui, espérant
que le médecin leur donnerait de meilleures nouvelles bientôt.
Une infirmière entra quelques minutes plus tard pour les prévenir
qu'Ilia était enfin installé et que s'ils le voulaient,
ils pouvaient aller le voir, mais une seule personne à la fois
et pas plus de dix minutes toutes les heures. Valérie, qui avait
enfin réussi à se ressaisir un peu, la suivit sans un regard
pour Georgi qui était mortifié. S'il avait eu des doutes,
maintenant il n'en avait plus. Il devait, pour le bien de sa famille,
disparaître à tout prix. Il emprunta le couloir menant aux
chambres de réanimation, regarda à travers la glace son
frère qui semblait dormir paisiblement. Valérie était
assise et lui tenait la main tout en lui parlant doucement. Il mit la
main sur le panneau de verre glacé, ferma les yeux un instant comme
pour donner un peu de son énergie à son frère puis
regarda une dernière fois le couple en silence. Il se tourna et
sortit du service, repassa par la salle d'attente déserte, fit
une légère halte puis repartit le visage n'exprimant aucun
sentiment même si son cur était en miettes. Il passa
devant le bureau des infirmières puis prit l'ascenseur. Chaque
pas qui l'éloignait de sa famille lui laissait une marque au fer
rouge dans le cur. Un nud envahi sa gorge, son estomac se
noua mais il n'en tint pas compte. Il savait qu'il avait raison. Il n'y
avait aucune autre solution, aucun autre espoir de réconcilier
son passé, son présent et son futur. Il avait été
un loup solitaire pendant presque toute sa vie, il avait fait l'erreur
de laisser ses sentiments prendre le pas sur la logique. Il était
temps de remettre les pendules à l'heure et de s'éloigner
de ceux qui comptaient pour. Il fit signe à un taxi et s'éloigna
dans le soleil couchant. |