Un doudou à Paris

Chapitre 3

 

Disclaimer : Les personnages de Largo Winch ne m'appartiennent pas. Je ne tire aucun bénéfice si ce n'est de faire plaisir aux autres fans de la série.
Style : Gen/ romance/nc17/lemon/action
Résumé : Simon tente de refaire sa vie après avoir été renvoyé du groupe W....
Auteur : Un commentaire ? Vous pouvez les adresser à Lady Heather
Note de l'auteur : Cette histoire c'est un peu moi.... Non c'est beaucoup moi.... L'idée de base m'est venue quand j'ai emmenagé dans mon appartement.... L'appartement en dessous du mien etait inoccupé à cette époque et je me suis posé la question suivante : que se passerait-il si mon voisin n'etait autre que Simon ? Ca a donné cette saga qui est loin d'etre fin

***

Valérie écoutait avec ravissement la discussion entre les deux frères. Elle était à l'arrière avec Cassy qui jouait avec l'ours en peluche que son nouveau tonton lui avait offert. Jamais elle n'avait vu son mari parler avec autant d'animation. Depuis qu'elle le connaissait, c'est-à-dire près de six ans, il avait toujours fait preuve d'une certaine réserve en toute occasion. Quand ils entrèrent dans l'appartement, ils eurent la surprise de voir toutes les lumières éteintes. Val alla jusqu'à la chambre de son amie et la trouva en plein cauchemar. Elle se débattait et gémissait comme si elle avait été envahie par la douleur. Une fine couche de sueur couvrait son front, elle prononçait sans cesse un prénom qu'elle reconnut immédiatement : Daniel. Son cœur se serra. Elle s'approcha doucement du lit et réveilla Raf qui poussa un cri détresse. Elle mit un temps à comprendre que tout ce qu'elle venait de vivre n'était qu'un sombre cauchemar. Elle fondit en larmes dans les bras de sa meilleure amie qui fit signe aux deux hommes, restés sur le pas de la porte, que tout allait bien.

- Je suis désolée, murmura Rafaela en reniflant.
- Et de quoi ?
- De tout cela. Tu n'as vraiment pas besoin de cela en ce moment, tu as…
- Arrêtes tout de suite ! Tu es ma meilleure amie. Et il est hors de question que tu restes seule dans ces conditions ! Alors arrêtes de t'excuser !
- Mais je…
- Tu, rien du tout, bon sang de bois. Tu es humaine ! Tu as le droit d'avoir mal, de ne pas être bien, d'être furieuse, triste ou d'avoir envie de hurler sur tout le monde ! Et le montrer ne t'en rends pas moins forte pour autant. Tu n'as pas besoin de faire semblant ici.
- Je sais mais je me sens coupable de t'embêter avec tous mes problèmes.
- Les amies servent aussi bien quand tout va bien que quand tout va mal. On est là pour épauler, câliner, écouter et mettre du plomb dans la tête de ceux qui sont trop têtus pour le comprendre !

Raf sourit tristement, Val avait raison. Combien de fois lui avait-elle reprochée de rentrer dans sa coquille dès que les problèmes pointaient le bout de leur nez ? Et voilà que maintenant elle faisait comme elle. Quelle bonne paire elles faisaient !

- Allez viens, on a commandé à manger au restaurant chinois d'à coté, on va se régaler.
- Tu sais, j'ai pas très faim.
- C'est pas grave, je mangerais ta part comme ca rien ne sera perdu.

Elles sortirent de la pièce et allèrent rejoindre le reste de la petite famille qui déballaient les plats qu'ils venaient de remonter. Après avoir mangé et couché la petite, ils passèrent le reste de la soirée à parler de choses et d'autres tandis que Raf, assise sur le canapé, contemplait avec envie cette famille où elle ne sentait toujours pas à sa place. Elle avait un poids sur la poitrine, elle aurait mieux préféré être chez elle mais elle ne voulait pas fâcher Val qui faisait tant pour elle. Kerensky la regardait du coin de l'œil se demandant à quel moment elle allait céder à son envie de prendre la fuite. Vers 23h, Raf ne tint plus et alla se coucher, elle se sentait vidée et les mots, que Largo lui avait dit au téléphone dans l'après-midi, se répétaient en boucle dans sa tête. La jeune femme se mit au lit et observa un instant le mince faisceau lumineux qui passait sous sa porte. Et si Largo avait raison ? Les doutes ne la laissaient pas sombrer dans un sommeil qu'elle souhaitait à tout prix. Elle soupira et ferma les yeux. Elle ferait donc un dernier effort et parlerait à Daniel le lendemain.

***

Après une journée de travail bien chargée, Raf alla à l'hôpital pour parler à Daniel. Elle savait que le milliardaire avait raison. Après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble, elle ne pouvait pas partir en catimini. Elle soupira et s'engagea dans le couloir qui menait à la chambre du Suisse. Cela faisait trois jours que celui-ci était sorti du coma. D'après le médecin, auprès de qui elle prenait des nouvelles tous les jours, s'il continuait ainsi il pourrait quitter l'hôpital au début de la semaine suivante. La porte de la chambre était entrouverte, elle entendit des voix à l'intérieur. L'une d'elle était celle de Daniel, l'autre celle du président du groupe W, la troisième était celle d'une femme, elle en conclut donc que c'était la femme ou la fiancée de Winch. Elle ne savait pas s'ils étaient mariés ou non et, à ce moment-là, elle s'en fichait comme de sa première chemise.

- Je veux que tu reviennes à New York, disait Largo, tu y as ta place.
- Je ne crois pas que… commença Simon.
- Ecoute, fit la voix féminine, je sais que tu sens coupable de ce qui s'est passé à l'entrepôt il y a plus de deux ans, mais je t'assure que tu n'y es pour rien.
- Si, j'aurais dû écouter Largo, j'aurais dû savoir…
- Quoi ? Tu aurais dû savoir quoi ? Que l'entrepôt était piégé ? Que j'étais enceinte ? Que tout un complot avait été monté pour te discréditer et te faire expulser du groupe W ? Aurais-tu, par le plus grand des hasards, la science infuse ? Finit Joy exaspérée, cela faisait presque une heure qu'ils essayaient de convaincre Simon de rentrer avec eux, et elle commençait à être à bout d'arguments.
- Et puis il y une autre raison pour laquelle je veux que tu reviennes, expliqua Largo.
- Ah bon ? Laquelle ? Demanda Simon avec curiosité.
- J'ai besoin d'un témoin.
- Un témoin ? Pourquoi faire ? Répliqua le Suisse qui avait du mal à comprendre.
- A ton avis, grand bêta ? Dit Joy avec un sourire coquin en montrant sa bague de fiançailles.
- Je… Vous… Enfin ! C'est pas trop tôt !
- Alors ? Tu veux bien être mon témoin et revenir à New York ?

Raf sentit son cœur se serrer, elle avait suivit la conversation derrière la porte, ayant trop peur de les interrompre. Au fond d'elle-même, elle sentait que Daniel avait déjà fait son choix, elle n'allait pas l'empêcher de faire ce qu'il avait décidé.

- Présenté sous cet angle je n'ai pas vraiment le choix, non ? Répliqua une voix que Raf ne connaissait que trop bien. D'accord, vous avez gagné, vous allez avoir un passager supplémentaire mais…

Rafaela tourna les talons, elle en avait assez entendu. Elle se sentait en colère, comment pouvait-il faire un tel choix sans même le lui dire ? Ah quoi bon lui parler si de toute manière il avait pris la même décision qu'elle : laisser mourir le peu qui restait encore de leur relation. Elle fut prise d'un vertige et s'appuya contre le mur. Pourquoi fallait-il que toutes ses histoires d'amour se terminent en catastrophe ? Pourquoi finissait-elle toujours seule ? Elle sortit le pas lourd et alla rejoindre l'arrêt de bus pour rentrer chez Valérie. Une heure après, Raf franchissait la porte de l'appartement de sa meilleure amie. Elle entendit des voix venant du salon. Nicky le Yorkshire de Val vint l'accueillir en aboyant furieusement et en entamant une danse joyeuse. Tant pis pour l'arrivée discrète, se dit-elle, en se dirigeant vers le salon.

- Je suis sûr que c'est une occasion en or. Bien sûr, vous allez nous manquer mais une chance comme ça cela ne se refuse pas. Les Etats-Unis, tu te rends compte ? Et vous déménageriez quand ?
- Oh dans deux à trois mois. Ce n'est pas aussi simple que cela y paraît, dit Ilia

Raf pâlit. Elle devait rêver toute éveillée ! Cela ne pouvait pas être possible. Sa meilleure amie s'en allait aussi ! Elle sentit une forte douleur lui enserrer la poitrine, sa vue se voila et elle vacilla. Elle se tint au mur un instant, il ne fallait pas que les autres remarquent son état d'esprit. Elle sentit la colère la submerger, s'ils devaient s'en aller qu'ils s'en aillent, elle n'avait besoin de personne. Elle avait toujours été seule et elle savait que son destin était de le rester. De toute manière, elle savait très bien que quoi qu'elle puisse dire cela ne changerait strictement rien aux choses, la décision avait déjà été prise. Quand elle entra dans le salon, tous les regards se posèrent sur elle. Elle embrassa Ilia et Val et salua les parents de celle-ci qui étaient venus dîner chez leur fille, comme si elle n'avait rien entendu.

- Ca va ? Demanda Val avec inquiétude en voyant le regard hagard de son amie.
- Oui, oui, juste un peu fatiguée, la journée a été longue. D'ailleurs, si cela ne vous dérange pas, je vais juste manger quelque chose de léger et aller m'allonger. Vous n'avez qu'à vous passer de moi pour le dîner.
- Tu es sûre que ça va ? Insista Val.
- Oui, ne t'inquiète pas.
- Vous n'allez pas nous quitter tout de suite ? Demanda la mère de Valérie. Prenez au moins l'apéritif avec nous.
- Pas cette fois, je suis debout depuis six heures ce matin, je crois qu'il vaut mieux que j'aille me coucher.
- Je passerais tout à l'heure, dit Val en regardant son amie tourner les talons.
- Pas la peine, laissa-t-elle échapper.

Valérie regarda son mari interloquée. Le comportement de Raf avait quelque chose de bizarre. Elle avait l'impression d'être revenue au début de leur amitié où la jeune femme, qui manquait d'assurance et de confiance, avait peur continuellement de déranger. Rafaela entra dans la cuisine et se dirigea vers l'évier où elle prit un verre. Elle avait soif, la tête lui tournait et elle se sentait nauséeuse. Elle savait qu'elle n'avait pas été raisonnable en ne déjeunant pas, mais elle avait beaucoup trop de travail et elle s'était contentée de quelques gâteaux. Elle ne savait même pas si elle aurait le courage de se faire quoi que soit à manger, tant sa fatigue et son malaise étaient grands.

- Raf ? Entendit-elle depuis le couloir.

La jeune femme savait très bien que Valérie viendrait la voir. Il n'y avait que peu de choses qu'elle arrivait à lui cacher en temps normal alors dans son état. La pièce se mit à tourner et Rafaela voulut se rattraper au plan de travail. Elle sentit le verre éclater en touchant le sol, elle sentit aussi quelque chose de visqueux et de chaud couler de sa main. Elle baissa les yeux et vit une belle entaille dans sa paume. Sans en avoir conscience, elle glissa sur le sol et l'obscurité bienfaitrice étendit son voile sur elle. Valérie sursauta en entendant le verre se briser sur le carrelage de la cuisine qu'elle atteignit rapidement. La vue de son amie sur le sol, la main ensanglantée, la laissa un moment interdite. Elle hurla à Ilia d'appeler une ambulance et tenta de réveiller Raf. Un peu de sang coulait de l'arrière du crâne où la jeune femme s'était cogné contre le buffet en tombant.

***

Simon était inquiet. Rafaela n'était pas encore passé le voir depuis qu'il avait repris connaissance deux jours auparavant. Il savait qu'elle était restée près de lui jusqu'à ce qu'il soit hors de danger, Largo le lui avait dit. Ses souvenirs étaient encore vagues sur ce qui c'était passé avant qu'il ne se retrouve à l'hôpital. Il se souvenait de la visite du milliardaire, d'une dispute mais rien de plus. Sa surprise avait été de taille quand il avait retrouvé ses vieux amis regroupés au pied de son lit, attendant avec appréhension qu'il revienne du pays des songes. Largo avait tenté de lui expliquer que la jeune femme était épuisée et que maintenant qu'il était hors de danger, elle devait récupérer sous l'œil bienveillant de Val et Ilia. Pourtant il sentait comme un malaise quand ils parlaient de Raf. Aucun de ses amis ne voulait aborder la raison pour laquelle il se retrouvait à l'hôpital. Le médecin l'avait autorisé à se lever et l'encourageait à faire de petites promenade dans les couloirs. Ils étaient assis à la cafétéria et discutaient à voix basse, quand Georgi aperçut son frère.

- Ilia ? Que fais-tu là ? S'enquit-il en s'approchant. Il est arrivé quelque chose à Valérie ou à Cassy ?
- Non, c'est Raf, elle a eu un malaise dans notre cuisine. A mon avis, tout ceci l'a ébranlée plus qu'elle n'a voulu le dire.

Simon, Joy et Largo s'approchèrent. Simon vit avec ravissement que les deux frères s'entendaient à merveille.

- Alors grand chef, qu'est-ce que tu fais là ? Demanda le Suisse au mari de Val. Ne me dit pas qu'il est arrivé malheur à un des tiens ? Continua-t-il inquiet.
- On peut dire cela comme ça.
- Qui ? Val ? Cassy ?
- Non, Raf.
- Mon dieu ! Qu'est-ce qui c'est passé ? Elle va bien ? C'est grave ?
- Elle a eu un malaise dans notre cuisine, je ne sais rien de plus, le médecin est encore avec elle. Je venais chercher quelque chose à boire.
- Où est Val ?
- Dans la salle d'attente, vous passez cette porte et c'est au fond du couloir à droite.

Ils y allèrent au plus vite. Quand Simon entra dans la pièce, Valérie lui décocha un regard meurtrier. Pour elle, c'était lui le responsable de toute cette situation.

- Val ? Demanda-t-il en s'approchant de la jeune femme, du nouveau ?
- Non, pas encore. On peut dire que tu as fait fort, très fort même.
- Que veux-tu dire ? Ne me dis pas que c'est à cause de moi si…
- D'après toi ?
- Val, calme-toi s'il te plaît, murmura Ilia en s'asseyant à coté d'elle. Ce n'est pas vraiment le moment.
- Combien de temps vous allez encore le dorloter ? Fit-elle avec une fureur à peine contenue. Combien de temps encore ? Hein ? Et pendant ce temps, c'est Raf qui paye les pots cassés.
- Val, je t'en prie, tenta Ilia.
- Pourquoi devrais-je l'épargner ?
- M'épargner quoi ? Demanda Simon soudain nerveux.
- Ah parce que tes gentils amis, ici présent, ne t'ont rien dit ? Bravo !
- Valérie de quoi parles-tu? Et pourquoi es-tu en colère contre moi ?
- Ah parce que tu l'ignore en plus ! J'aurais tout entendu ! Tu ne te souviens plus que tu as tellement bu que tu as frappé Raf quand elle a tenté de t'en empêcher ? Que tu l'as frappé tellement fort qu'elle a un superbe bleu sur le visage ? Et qu'ensuite, pour couronner le tout, tu as tenté de fuir tes responsabilités en voulant mettre fin à ta misérable existence, cracha-t-elle en tremblant de colère.
- J'ai… J'ai frappé Raf…, murmura-t-il incrédule. C'est pas possible, fit-il au bord des larmes, je l'aime…
- Oui, c'est cela… Tu l'aimes tellement que tu as décidé d'en faire ton punching-ball. Quel amour vraiment ! Et tout cela parce qu'elle voulait t'empêcher de te détruire ! Elle est vraiment trop gentille, moi je t'aurais…

Elle laissa sa phrase en suspens tant sa colère était forte. Pourtant elle voyait dans les yeux de Simon l'horreur et l'implication de ce qu'elle venait de lui révéler. Des larmes coulait sur son visage, et tout revint d'un coup. Les cris, le regard empli de peur après qu'il l'eut frappée.

- Val, je…
- Tu quoi Daniel ?

Elle fut interrompue par le médecin qui entra dans la pièce. Il reconnut immédiatement le petit groupe, tout comme il avait reconnu la jeune femme qu'il venait de traiter.

- Comment va-t-elle ? Demanda Valérie en se détournant de Simon.
- Bien, si on considère les circonstances. Elle est épuisée et déshydratée. Sa coupure à la main droite lui a valu quelques points de suture, quant à sa tête, ce n'est pas grand chose. Nous allons la garder pendant au moins 24 heures pour nous assurer que tout va bien et faire un petit check-up.
- On peut la voir ?
- Oui, bien sûr, mais pas tous à la fois. Une ou deux personnes maximum, il ne faut pas la fatiguer pas. De toute manière, je lui ai donné un léger sédatif qui ne devrait pas tarder à faire effet.

Valérie et Simon suivirent le médecin à travers un dédale de couloirs. Il s'arrêta devant la porte de la chambre 087 et l'ouvrit. Val s'avança et avec douceur prit la main de son amie. Elle se sentait coupable de ne pas avoir vu venir la crise.

- Raf ?
- Laisse-moi tranquille, répondit-elle d'une voix groggy. Tu vas m'abandonner, vous allez tous m'abandonner, murmura-t-elle dans un demi sommeil. Alors va-t-en, finit-elle en plongeant dans le pays des songes.

Val et Simon restèrent interdits un instant. Comment Raf pouvait-elle être au courant de leurs projets respectifs ? Ils se regardèrent puis en silence quittèrent la chambre, tête basse.

- Alors ? Firent les autres quand ils pénétrèrent dans la salle d'attente.
- Elle dort, répondit Val.
- Ecoutez, dit Georgi, il ne sert à rien de rester ici. Elle dort et ne se réveillera pas avant une bonne douzaine d'heures. Le mieux serait de revenir demain. Nous sommes tous fatigués, surtout toi Simon.
- Il a raison, dit Joy doucement en prenant le Suisse par les épaules.

Ilia s'attendait à ce que sa femme et Simon protestent mais il n'en fut rien. Il regarda Valérie se diriger vers la sortie sans rien dire. Il regarda un instant son frère, qui haussa les épaules d'un geste d'ignorance, et accompagna le petit groupe vers le troisième étage.

- Val ? Demanda Ilia en décochant un regard interrogateur à sa femme avant de mettre la voiture en marche. Qu'est-ce qu'il y a ?
- Elle sait, murmura-t-elle.
- Qui sait quoi ?
- Raf sait pour le déménagement.
- Comment ? Je croyais pourtant qu'on avait décidé de ne rien lui dire tant qu'il n'y aurait rien de sûr.
- Elle a dû nous entendre en parler avec mes parents tout à l'heure.
- Ah… et comment le prend-elle ?
- Elle a murmuré que nous allions tous l'abandonner et de la laisser tranquille. Est-ce que, hésita-t-elle, est-ce que tu crois, que cette nouvelle aurait pu provoquer ce malaise… ?
- Oh ça et d'autres choses.
- Comme quoi par exemple ?
- J'ai parlé avec Largo, et il m'a dit que Raf avait l'intention de quitter Dan… Simon, je veux dire. Il a tenté de la convaincre d'au moins lui parler mais elle a refusé d'entendre raison. En plus, je ne sais pas si tu as remarqué mais elle n'a pratiquement rien mangé depuis qu'elle est à la maison et tu as vu le nombre d'heures qu'elle passe au bureau ?
- Quelle tête de mule. Faudra que je lui dise deux mots quand elle sera rétablie.
- Je crois que tu ne sera pas la seule à vouloir avoir une conversation avec elle. Moi aussi, je vais avoir deux mots à lui dire et je ne suis pas sûr qu'elle va apprécier, fit-il avec un sourire en coin.

Sur ces mots, il démarra la voiture et rentrèrent chez eux, dans leur appartement du front de Seine où Cassandra les attendait en compagnie de ses grand-parents. Après avoir couché la petite et dit bonsoir aux parents de Val, qui avaient décidé de finir la soirée dans un petit bar où un groupe celte jouait des airs rappelant les légendes anciennes comme celle d'Arthur et de ses chevaliers, de Merlin et de la Dame du Lac, Ilia et Val se mirent au lit et discutèrent encore pendant un long moment de la situation. Ils savaient tous les deux que Raf allait très mal réagir à la nouvelle de leur départ prochain, plus encore de la manière dont elle l'avait apprise, mais ils avaient pensé que Daniel, ou plutôt Simon, pourrait les aider à lui faire accepter la situation mais maintenant ils en doutaient. Les mots de Raf avaient blessé Val, jamais elle n'abandonnerait sa meilleure amie même si elle se trouvait à l'autre bout du monde. Elle ne voulait pas partir, elle se sentait bien à Paris dans leur bel appartement qui avait une vue sur le fleuve à couper le souffle, mais elle savait que c'était une opportunité unique qui ne se représenterait peut-être pas. Elle aimait trop son mari pour vivre loin de lui et Ilia était d'autant plus enthousiaste que cela le rapprochaient de son frère. Valérie avait peur que ce déménagement ne mette un terme à son amitié avec Raf si celle-ci s'entêtait dans son attitude de rejet.

***

Raf était allongée, le dos tourné à la porte. Elle ignorait totalement le personnel de l'hôpital qui allait et venait et avait à peine touché à son petit déjeuner. Le regard rivé sur la fenêtre, elle essayait de comprendre comment sa vie avait pu basculer de la joie la plus totale au désespoir le plus complet. Daniel allait partir sans se retourner et Valérie allait s'en aller aussi. Les deux piliers sur lesquels elle avait basée sa vie l'abandonnaient. Elle se sentait tour à tour en colère, frustrée et au bord du gouffre. Elle avait été blessée d'apprendre le départ de Val par hasard, elle lui en voulait de son silence. Elle pensait pouvoir lui faire confiance, elle pensait que quoi qu'il puisse se passer, Val serait toujours honnête avec elle mais elle avait préféré se taire et ne rien dire jusqu'à que plus rien ne puisse faire changer les choses. Il était sûr que si Raf avait su, elle aurait peut-être essayé de raisonner son amie, elle l'aurait peut-être dissuadée de commettre cette folie. Mais on ne lui avait pas laissé le choix et on la mettait devant le fait accompli, si c'était cela faire partie d'une famille comme le lui avait assuré tant de fois Ilia, elle n'en voulait pas. Pour elle qui avait été rejetée tour à tour par son frère et sa sœur aînée, ou sa famille de sang se réduisait à un membre, sa mère, le dialogue constituait une chose essentielle tout comme les marques d'affection qu'elles soient petites ou grande. Le fil de ses pensée fut interrompu par le médecin.

- Bonjour, fit-il avec un léger sourire, je vois que vous avez meilleure mine que quand on vous a amené hier soir. Comment vous sentez-vous ?
- Mieux je suppose. Quand est-ce que je pourrais rentrer chez moi ?
- Aujourd'hui même si vous me promettez de vous ménager et de prendre soin de vous. D'ailleurs, j'aimerais beaucoup que vous ne restiez pas seule, du moins pendant quelques jours.
- Je vais aller rendre visite à ma mère dès que je sortirais d'ici
- C'est une bonne idée, rien ne vaut la chaleur des bras d'une mère. J'ai reçu les résultats de vos examens sanguin.
- Et ?
- Votre taux de sucre est un peu bas… Est-ce que vous vous nourrissez correctement ?
- Pas vraiment, reconnu Raf. En ce moment la seule vue de la nourriture suffit à me donner des nausées.
- Vous avez des vertiges aussi ?
- Oui, comment le savez vous ?
- Ce n'est pas étonnant dans votre état.
- Mon état ? De quoi parlez vous docteur ?
- Vous êtes enceinte mademoiselle. Vous en êtes à six semaines
- Enceinte ? ? Murmura Rafaela abasourdie. Ce n'est pas possible , je prend la pilule et nous faisons toujours très attention.
- Cela n'a pas l'air de vous réjouir ?
- Vous m'auriez dit cela il y a un mois, vous auriez fait de moi la plus heureuse des femmes, mais là… Je ne peux pas le garder, je ne veux pas avoir un enfant sans père, je sais ce que cela fait de ne pas avoir une figure paternelle à ses cotés. Et puis comment je ferais toute seule ? Non, non, ce n'est pas possible.
- Ne hâtez pas votre décision, laissez vous le temps de réfléchir.
- Non, après il sera trop tard, est-ce que vous pourriez arranger un rendez vous pour…
- Une IVG ?
- Oui, s'il vous plaît. Je vous promet d'y réfléchir, j'annulerais même le rendez-vous si je change d'avis mais je vous en prie, supplia-t-elle, je ne peux pas garder cet enfant et je sais que si je le mets au monde, jamais je ne pourrais m'en séparer.
- D'accord, je vais voir ce que je peux faire, mais calmez-vous et reposez-vous. Je repasserais tout à l'heure, si vous avez besoin de quoi que ce soit appuyez sur le bouton.
- Docteur ?
- Oui ?
- Je vous en prie, ne parlez de ma grossesse à personne. Je veux pouvoir penser tranquillement sans que tout le monde ne chercher à " m'aider ".
- D'accord, si c'est ce que vous voulez.

Le médecin sortit de la chambre en secouant la tête. Comment pouvait-on être désespérée au point de ne pas vouloir d'un enfant qui, en temps normal, aurait été désiré ? Raf se tourna de nouveau vers la fenêtre. Elle avait toujours espéré avoir un enfant mais pas comme cela, pas seule. Le médecin revint deux heures plus tard avec tous les papiers pour lui rendre sa liberté. Elle s'habilla avec l'aide d'une infirmière, la paume de sa main étant un peu douloureuse, puis prit un taxi pour rentrer chez elle. Elle était assez contente de n'avoir vu ni Valérie, ni Daniel. Elle ne souhaitait pas les voir en ce moment. Elle prépara un petit sac de voyage et se rendit à la gare. Elle appela son patron et lui expliqua la situation. Celui-ci n'était pas enchanté qu'elle s'en aille comme cela, en plein milieu du bilan, mais il pouvait comprendre que sa santé passait avant tout, puisque avec sa main droite bandée, elle était incapable de tenir un stylo. Elle avait devant elle quinze jours d'arrêt maladie. Elle avait décidé de passer au moins une bonne semaine chez sa mère pour se faire dorloter, même si les questions ne manqueraient pas de pleuvoir.

***

Quand Val vint rendre visite à son amie dans l'après-midi, elle trouva la chambre vide. Paniquée, elle alla voir une infirmière qui lui affirma que son amie avait quitté l'hôpital. Simon arriva devant la chambre, accompagné de Largo, quand il vit Valérie revenir du bureau des infirmières.

- Ce n'est pas la peine de te fatiguer, elle est partie.
- Comment cela partie ?
- Le médecin l'a laissée rentrer chez elle ce midi.
- Et tu n'étais pas au courant ?
- Non, elle ne m'a rien dit. Mais qu'est-ce qu'elle a dans la tête, bon sang ! S'énerva Val.
- Eh si elle est rentrée, c'est qu'elle va mieux, non ? Intervint Largo. Elle a peut être juste eue envie d'être un peu seule. Le médecin vient de relâcher Simon, si nous allions lui rendre une petite visite chez elle ?

Tous deux acquiescèrent. Ils montèrent dans le 4X4 de Largo. Dans un silence pesant, ils se dirigèrent vers Bois Colombes où ils espéraient bien raisonner et sermonner Raf. Le milliardaire gara sa voiture sur la place de l'hôtel de ville où, par miracle, il y avait une place de libre. D'un pas pressé, ils passèrent devant la boutique d'électroménager, le petit square et la Poste avant d'arriver devant la porte de l'immeuble nouvellement repeinte en vert foncé. Simon fit le code et ils entrèrent, traversèrent la cour où des ouvriers aménageaient une sorte de local à poubelle, et montèrent directement au deuxième. Val sonna mais personne ne répondit, elle insista et comme elle n'obtenait toujours aucune réponse, elle sortit son trousseau de clés. Quand ils entrèrent Simon et Valérie surent qu'elle était passé par-là, une veste traînait sur le canapé, un sac à main vide reposait abandonné sur le lit et sur le haut de l'armoire, il manquait la petite valise à roulettes qu'elle emportait quand elle voulait voyager léger.

- A tous les coups, elle est allée se réfugier chez sa mère, murmura Val.
- Pourquoi se réfugier ? Et pourquoi elle a l'air de se cacher ?
- Simon, si on continuait cette conversation chez toi ? Dit Largo en voyant son ami pâlir.
- Oui, c'est une bonne idée, j'ai besoin d'un bon café.

Val referma la porte à clé, non sans avoir auparavant jeté un coup d'œil aux messages sur le répondeur mais il n'en affichait aucun. Elle rejoignit les deux hommes et se laissa tomber sur le fauteuil à coté du lit tandis que le milliardaire prenait place sur celui d'en face. Simon revint avec un plateau que Val reconnu comme appartenant à Raf chargé de tasses pleines de café. Il posa le tout sur la table basse.

- Tu n'as pas répondu à ma question Val, pourquoi Raf a l'air de nous fuir ? En ce qui me concerne, je la comprends tout à fait, mais toi ?
- Il se trouve que, soupira la jeune femme, je lui ai caché quelque chose et qu'elle l'a appris par le plus grand des hasards. Autant te dire qu'elle n'est pas contente du tout.
- Et qu'a-t-elle appris de si grave que cela provoque une telle crise ? Parce qu'il en faut quand même beaucoup pour vous fâcher. Depuis que je vous connais, cela n'est jamais arrivé.
- C'est vrai…. C'est la première fois qu'elle est à ce point en colère contre moi.
- Pourquoi ? Qu'est-ce qui peut être aussi grave pour qu'elle s'enfuie comme ca ! Je pensais qu'elle allait habiter chez vous pendant sa convalescence.
- Oui, et c'est ce qui aurait dû se passer si…
- Valérie ?
- Ok. Ilia a reçu une offre qu'il ne peut pas refuser. Son cabinet d'architecte s'est vu proposer une association avec un cabinet basé à New York, afin de développer une filiale commune qui se spécialiserait dans les bâtiments publics.
- Et vous n'avez rien dit à Raf ?
- Non, on s'est dit qu'il valait mieux attendre que cela soit sûr.
- Mauvais calcul, murmura Largo.
- Vous ne pensez pas si bien dire. Même si elle n'a rien dit, mis à part les quelques mots murmurés hier soir dans la chambre d'hôpital, je crains le pire.
- C'est pour cela qu'elle a dit que nous allions tous l'abandonner, ce qui veut dire que…, réalisa Simon.
- Que ?
- Qu'elle sait que Largo m'a demandé de revenir à New York et que j'ai accepté avec une condition.
- Comment le saurait-elle ? Demanda le milliardaire.
- Je suppose qu'elle a dû vous entendre parler, expliqua Val.
- Quand ? Elle n'est jamais venue à l'hôpital depuis que je suis sorti du coma.
- Si, elle devait y passer hier après son travail.
- Et tu crois que…
- Qu'elle vous a entendu ? Avec la chance que l'on a ? Oui, c'est certain.
- Alors elle a dû aussi entendre que je refusais de partir sans elle.
- Pas forcément, objecta Largo. Si elle t'a entendu dire que tu revenais, elle n'a peut-être pas voulu écouter la suite, se disant que cela ne servait à rien. J'imagine aisément le choc que cela a dû lui causer.
- Seigneur…. Je comprends maintenant son attitude quand elle est rentrée hier, on aurait dit qu'elle avait reçu un coup sur la tête, et je ne parle pas seulement de la nouvelle de notre déménagement.
- Pas étonnant qu'elle vous ait fui tous les deux, murmura Largo.
- Tu crois que si j'allais la voir et que je lui expliquais tout, cela changerait quelque chose, demanda Simon plein d'espoir.
- Je ne crois pas. A mon avis sa mère ne te laissera même pas entrer dans l'appartement, ni moi d'ailleurs. Il faut attendre qu'elle revienne, elle ne peut pas rester là-bas éternellement.
- Non, mais à mon avis, tête de mule comme elle est, cela ne va pas être facile de lui parler.

Largo regard tour à tour son meilleur ami et Valérie, ils semblaient tous deux perdus. Il commençait à comprendre pourquoi Simon était aussi réticent à repartir. Celui-ci se sentait déchiré entre l'Intel Unit, qui avait tenu une grande place dans vie, et sa nouvelle famille avec des gens simples et sans problèmes, mais peut-être que s'ils réussissaient à convaincre Raf, Simon et Val auraient leur famille au grand complet dans la grande pomme.

***

Dans le train, Raf regardait le paysage sans vraiment le voir. Les mots du médecin se mélangeaient avec ceux de Daniel et des parents de Val. Pourquoi fallait-il toujours que tous ceux qui l'aiment l'abandonnent un jour ? Elle avait presque 34 ans, n'avait jamais vraiment eu d'histoires sérieuses, ou si peu, des histoires qui n'avaient duré que le temps d'un rêve et qui, tôt ou tard, se transformaient en cauchemars. Le contrôleur annonça Strasbourg et la jeune femme se prépara à descendre. Une fois n'était pas coutume, sa mère venait la chercher à la gare, elle devait avoir senti la détresse de sa fille. Etrangement elle ne dit rien, elle se contenta de prendre Rafaela dans ses bras et de la serrer très fort. Pendant toute cette semaine là, elle ne desserra pas les dents, ne répondant pas aux questions insistantes de sa mère. Elle passa son temps seule, à se balader dans la forêt ou à regarder les enfants jouer au bord de la gravière. Elle alla visiter la tombe de son père, mort quand elle était enfant. Elle y cherchait des réponses aux questions qui ne cessaient de la tourmenter et qui ne lui laissaient aucun repos. Le reste du temps, elle s'enfermait dans sa chambre, elle ne voulait voir personne. Valérie et Simon avaient tenté tous deux de la joindre par téléphone mais ils s'étaient vertement fait éconduire par la mère de la jeune femme qui les considérait comme responsable de l'état dépressif de sa fille. Finalement, Raf prit le combiné et leur demanda de la laisser tranquille et surtout de ne plus l'appeler. De plus, elle ajouta à l'intention de Daniel qu'elle ne comptait de toute manière plus le revoir, quoiqu'il arrive et que rien de ce qu'il pourrait dire, ou faire, ne changerait cet état de fait.

***

Simon ne se faisait plus d'illusions. Raf ne changerait pas d'avis, elle n'accordait que très peu sa confiance et une fois celle-ci rompue, il était plus qu'improbable qu'elle la lui redonne un jour. Elle avait été très claire avec lui, disant les choses avec autant de force qu'elle le pouvait, le blessant avec ses paroles aussi froides que de la glace, effaçant d'un coup dix-huit mois de bonheur. Ce fut dans un état proche de la désespérance qu'il prit le jet qui le ramena à New York. Il se raccrochait à la vague promesse de Val de tenter de raisonner celle qui avait été sa fiancée. S'il y avait un espoir pour si ténu qu'il fut, il s'y accrochait comme à un canot de sauvetage. A son arrivée au groupe W, il s'installa dans ses anciens appartements à coté du penthouse. Appartement dans lequel rien n'avait bougé depuis son départ, toutes ses affaires étaient à l'endroit où il les avait laissées. Seul le ménage avait été fait sans rien déranger du joyeux désordre qui y régnait. Après avoir dormi tout son saoul, il entreprit de remettre de l'ordre dans sa vie. Il commença par ranger et nettoyer son appartement à fond. Il fit le tri dans ses affaires, empaqueta les vêtements trop voyant pour les donner à une association de bienfaisance, fit une liste de tout ce dont il avait besoin. Puis il prit l'une des voitures du groupe pour se rendre à une réunion des Alcooliques Anonymes. Il savait qu'il avait tout à refaire mais il s'en sentait le courage. Il le devait à Raf, pour lui prouver qu'elle n'avait pas fait confiance à un vaurien. Il le devait à ses amis qui avaient de nouveau décidé de l'admettre dans leur univers et il se le devait à lui-même, s'il voulait continuer de se regarder dans une glace. Il prit aussi rendez-vous avec un thérapeute pour l'aider à surmonter ses idées noires qui refaisaient surface en l'absence de celle qui lui avait donné tout son appui. Il reprit son travail en tant que Chef de la Sécurité du Secteur International. Toutes ces activités l'occupaient pendant la journée et l'empêchaient de penser à ce qu'il avait perdu par sa seule faute. La nuit était plus difficile car les insomnies étaient nombreuses, les cauchemars fréquents et les appels à l'aide restaient sans réponses. Malgré cela, il tenait bon grâce, en partie, à Joy qui veillait à ce qu'il ne reste jamais seul très longtemps, à Largo qui prenait soin de ne jamais l'exclure du groupe comme il l'avait fait dans le passé. Même Kerensky y mettait du sien en se montrant moins impersonnel et froid quand le Suisse descendait au bunker pour faire une recherche.

***

Valérie était en colère. Non seulement son amie était revenue mais celle-ci continuait à jouer les fantômes. Elle ne répondait pas au téléphone que ce soit le fixe ou le portable, et ne se connectait plus sur Internet. Simon était parti quelques jours plus tôt, la mort dans l'âme. Elle l'avait accompagné à l'aéroport où, avant de monter dans l'avion, il lui avait fait promettre de veiller sur Raf. Cette après-midi là, il pleuvait des cordes et l'eau ruisselait sur les plantes fraîchement semées dans la cour intérieure de l'immeuble où Rafaela continuait à se cacher. M. Alfredo avait bien essayé de la faire parler mais celle-ci s'obstinait à rester enfermée toute la journée sans vouloir voir personne. Valérie monta avec précaution l'escalier nouvellement verni et s'arrêta devant la porte de son amie. Aucun bruit ne provenait de l'appartement et elle se demanda si le voisin ne s'était pas trompé en déclarant que celle-ci était à l'intérieur. Elle sonna et attendit. Au bout d'un petit moment elle entendit des pas, un bruit sourd et quelques jurons.

- Qui est là ? Demanda-t-elle à travers la porte.
- A ton avis ? Lança Val.

Elle entendit un soupir, une succession de cliquetis et la porte s'ouvrit enfin sur Raf. Valérie faillit ne pas la reconnaître. Elle était pâle, avait les traits tirés et les yeux hagards, signe qu'elle l'avait tirée d'une petite sieste improvisée.

- Salut.
- Qu'est-ce que tu veux ? Demanda celle-ci d'une voix glaciale tout en tournant ses yeux azur vers elle.
- Je voulais voir comme tu allais puisque tu t'obstines à jouer les autruches.
- Tu as vu ? Je ne suis pas morte, alors tu peux aller retrouver ta petite famille, dit-elle en refermant le battant de la porte. Tu dois avoir une tonne de chose à préparer pour ton prochain départ.
- Arrête ! Fit-elle en la bloquant et en entrant. Je ne suis pas encore partie.
- Et cela change quoi ? Tu vas l'être dans pas longtemps alors autant m'habituer tout de suite.
- Je suis désolée, ma puce, je ne voulais pas que tu l'apprennes comme cela. On comptait tout te dire mais….
- Mais quoi ? Tu voulais être sûre que je ne te mettrais pas de bâtons dans les roues ? Que je n'aurais plus mon mot à dire et que tu pourrais partir en toute tranquillité en ayant bonne conscience, en te disant que tu as fait de ton mieux pour " m'épargner " ? Parce que c'est ce que tu sous-entends, n'est-ce pas ? Tu voulais ne rien me dire avant d'être sûre, pour ne pas faire de peine à cette pauvre petite Raf. Et bien, je vais t'en apprendre une bonne ! Je n'ai pas besoin d'être maternée. Je suis assez grande pour me débrouiller toute seule. Tu veux partir ? Alors pars ! Mais ne comptes pas sur moi pour partager ton enthousiasme.
- Je t'en prie. Tu sais très bien que ce n'est pas parce que je serais loin que nous ne serons plus amies. On continuera toujours à se parler par Internet. Je ne pars pas au bout du monde !
- Ah oui ?
- Tu ne me crois pas ? Je ne t'ai jamais menti que je sache ?
- Ah bon et ce que tu as fait pendant toutes ces semaines où tu savais que tu allais partir et que tu faisais comme si de rien n'était, tu appelles cela comment ?
- Arrêtes, tu déformes tout !
- Ah ben voilà, c'est encore moi qui fait une montagne pour rien du tout. OK, comme tu voudras, fit-elle en fermant les yeux. Elle se sentait si fatiguée.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire. Bon sang Raf, si on t'a rien dit, c'est justement parce que je savais bien que tu réagirais comme cela.
- Et tu comptais me le dire quand ? Quand tu aurais été confortablement installée dans ton nouvel appartement à New York ? Tu sais, tu es la première personne à qui j'ai autant fait confiance, tu es la raison première, avec l'espoir de trouver un boulot stable, pour laquelle je suis venue à Paris. J'avais enfin trouvé un peu de stabilité, de bonheur. Pour la première fois depuis longtemps, je commençais à me sentir bien avec moi-même, en sécurité. Mais c'est terminé tout cela, si j'avais su je serais restée à Strasbourg. J'aurais pas bougé de là-bas. D'ailleurs, c'est bien simple, je vais y retourner dès que j'aurais réuni l'argent nécessaire pour déménager.
- Et tu vas rester dans les jupons de ta mère advitam eternam ?
- Et alors quelle différence cela fera ? Je serais seule que je sois dans les jupons de maman ou pas alors ? On se tiendra compagnie.
- Tu dis des bêtises !
- Non, je ne dis que la stricte vérité parce que ce n'est pas toi qui va te retrouver seule, c'est moi ! Tu as TON mari, tu as TA fille, TON nouveau travail, et je te parie que tu m'annonceras dans pas longtemps un heureux événement, ben oui, faut bien pendre la crémaillère. Te connaissant, tu ne manqueras pas de te faire de nouveaux amis, à commencer par l'employeur de ton cher beau-frère, tu pourras même tenir compagnie à Daniel.
- Raf, je t'en prie, calme-toi ! S'exclama Val blessée par la vivacité des mots de son amie et étonnée par l'amertume qu'ils contenaient. Je suis ton amie, non, je suis même plus je suis ta SOIRA, je te considère comme cette sœur que je n'ai jamais eue. Tu ne comprends pas ? Tu crois que ça me fait plaisir de partir ? De tout quitter et de tout recommencer dans un pays dont je ne parle pratiquement pas la langue ? Qu'est-ce que je dois faire pour te faire comprendre que je t'aime, bon sang de bonsoir ! Que cette situation est entrain de me rendre folle ! Je t'en prie Raf, je ne veux pas que notre amitié soit gâchée par un malentendu.
- Un malentendu ? Tu appelles cela un malentendu ? Et je suis censée faire quoi ? Rester assise là, à attendre que tout s'en aille à vaux l'eau ? Applaudir bien fort à votre décision et vous dire que vous avez raison ? Ne comptes pas sur moi. Mais qui suis-je pour me permettre de te dire tout cela ? Personne…. Et comme la décision est déjà prise, pourquoi en discuter ? Alors pars la conscience tranquille, je m'en remettrais, un jour ou l'autre. Et ne t'inquiète pas pour notre amitié, elle mourra d'elle-même avec la distance.
- Tu dis des bêtises.
- Non, je dis la vérité et tu verras que j'aurais raison ! Dans un an tout au plus, tu verras que l'on aura plus rien à se dire. Combien de temps se passera-t-il avant que tu ne répondes même plus à mes appels ? Pas longtemps, je te l'assure. Alors tu vois, je prends les devants. Je me protège comme je peux.
- Bon tu as fini de jouer les victimes ! S'énerva Val.
- Victime ? Où tu vois une victime ?
- Juste devant moi. En tout cas si notre amitié s'arrête, ce ne sera pas à cause de moi parce que je n'ai pas l'intention de changer, ni de te laisser tomber. J'ai bien l'intention de continuer à te parler autant que possible même plus encore.
- C'est cela, l'interrompit-elle avec une moue dubitative.
- Tu ne me crois pas ?
- Si, si, mais je crois que tu as oublié une chose.
- Quoi ? Demanda Valérie curieuse.
- Le décalage horaire. Tu seras au travail quand il sera l'heure pour moi de te parler et je dormirais à point fermé quand il sera l'heure pour toi. Les conversations vont être géniales ! Ironisa-t-elle en s'asseyant sur le lit, la tête commençait à lui tourner, il était presque 16h et elle n'avait toujours rien mangé.
- Tu es sûre que ca va ? S'enquit Valérie en voyant son amie devenir encore plus blanche.
- Qu'est-ce que ca peut te faire ? Bon, maintenant que tu sais que je vais survivre au désastre qu'est ma vie, tu n'as pas autre chose à faire comme des cartons ou des valises ? Je voudrais bien prendre une douche !
- Qu'est-ce que c'est ? Demanda Val en prenant un petit carton sur la table basse.
- Laisse ça !
- Attends, pourquoi as-tu rendez-vous à l'hôpital dans quinze jours, si tu vas bien si bien que cela ? Et qui plus est au service obstétrique ! Attends, fit-elle réalisant ce qu'elle venait de dire. Tu es enceinte ? !
- Ca ne te regarde pas ! Cria-t-elle en lui arrachant le petit carton des mains.
- Simon le sait ? Raf ? Est-ce que Simon sait qu'il va être père ? Demanda Valérie en prenant son amie par les épaules.
- Non !
- Et tu comptes le lui dire quand ?
- Jamais parce que dans quinze jours, il n'y aura plus de bébé !
- Tu ne vas pas faire cela ?
- En quoi cela te regarde ? Ce n'est pas ton corps ! C'est déjà difficile d'élever un enfant à deux alors seule !
- Tu ne crois pas qu'il a son mot à dire ?
- Non, pas depuis qu'il a rompu sa promesse, pas depuis qu'il a décidé de repartir sans même m'en parler.
- Attends, c'est toi qui l'as exclu ! C'est toi qui as refusé tout dialogue avec lui alors que la seule chose qu'il voulait, c'était te demander pardon et de partir avec lui !
- Parce que tu crois cela aurait suffi ? Tu crois vraiment que ca aurait suffi à tout effacer ?
- Tu as bien effacé 18 mois de votre vie à tous les deux !
- Qui a dit que je les avais effacés ? Personne !
- Alors arrête de fuir !
- Fuir ? Qui a parlé de fuite ? Je ne fais que ce que je pense être la meilleure solution pour tous les deux.
- C'est cela et la marmotte…. Raf, tu vas faire une bêtise, une énorme bêtise.
- Et alors ? Il semblerait que c'est ce que je n'ai pas arrêté de faire ces dernières années alors une de plus ou de moins, répliqua la jeune femme en haussant les épaules, tout en se rallongeant.
- Tu es sûre que ça va ?
- C'est rien, juste un vertige, j'ai rien pu avaler aujourd'hui…
- Ne me dis pas que tu n'as rien mangé du tout.
- Juste quelques biscottes et du thé ce matin.
- Mais qu'est-ce que tu as donc dans la tête ! La gronda-t-elle. Bon, je vais te préparer une bricole à manger, j'espère qu'au moins tu as quelque chose dans tes placards.

Devant le silence de son amie, Val la fixa avec un œil surpris. Elle ne pouvait croire que celle-ci se laisse aller à ce point.

- Ok, je vais aller faire des courses. Je t'interdis de te lever de ce lit, je n'ai pas très envie de devoir faire un autre tour aux urgences.
- Mais je…
- Rien du tout. Je ferais peut-être mieux de t'installer carrément à la maison pour quelques jours.
- C'est hors de question ! Je veux rester ici…
- D'accord, ne t'énerve pas. Je reviens dans pas longtemps alors pas d'imprudence.

Valérie partit inquiète, elle aurait préféré que Raf vienne chez elle quelques jours, elle avait peur que celle-ci ne plonge dans la dépression la plus totale. Elle savait que malgré sa colère elle se sentait désespérée. Après avoir trouvé tout ce dont elle avait besoin, elle retourna chez son amie qui s'était rendormie. Visiblement, la grossesse avait chez elle un effet sédatif. Elle prépara rapidement une soupe ainsi que quelques biscottes et un peu de jambon. Quand elle la quitta ce soir là, elle ne sentait pas plus avancée. Elle espérait qu'elle réussirait à la faire doucement accepter la situation. Mais Val devait avouer que ce qui la préoccupait le plus était la grossesse de Raf et son intention d'y mettre un terme dans les plus brefs délais. Celle-ci lui avait fait promettre le secret mais elle ne savait pas si elle pourrait tenir sa promesse. Son cœur lui disait de tout raconter à Simon pour qu'il revienne prendre la situation en main mais, d'un autre coté, elle avait peur de la réaction de Raf. Si jamais elle prévenait le Suisse et que celui-ci ne réussisse pas à la dissuader de commettre une bêtise, leur amitié pourrait bien ne jamais s'en relever.

***

La semaine suivante se passa quasiment en silence pour les deux amies. Elles, qui avaient l'habitude de se parler tout le temps, ne se disaient plus que des banalités et restaient silencieuses la plupart du temps. Val avait de plus un surcroît de travail à cause de son futur déménagement, il fallait qu'elle termine des projets et qu'elle en transmette certains à des collègues compétents. Elle pensait aussi que si elle laissait son amie tranquille peut-être que celle-ci reviendrait à la raison. De son coté, Raf avait repris le travail et supposait que le silence de son amie était dû à leur dispute et que, pour une raison ou une autre, celle-ci lui en voulait. Raf jura entre ses dents ce soir-là en regardant son écran rester muet à ses tentatives de discussions, cela faisait trois soirs de suite qu'elle avait l'impression de parler dans le vide. Elle l'éteignit et alla se coucher le cœur lourd. Elle avait besoin ses petites discussions anodines pour laisser échapper la pression de la journée mais visiblement son amie ne le voyait pas comme cela. Elle se sentit triste, elle soupira espérant ne pas faire tomber les larmes qu'elle retenait depuis qu'elle était rentrée. La journée avait été mauvaise, sa supérieure lui avait reproché son absence et le retard pris dans le travail. Raf n'avait rien dit, se contentant de hocher la tête et de partir tête basse après l'entretien. Elle s'était remise au travail, sachant qu'elle ne pourrait pas rentrer chez elle tôt comme elle l'avait prévu. Elle était dans le collimateur de sa hiérarchie et ce n'était pas le moment pour elle de perdre son travail, du moins pas avant d'avoir réuni l'argent pour retourner s'installer chez sa mère. Quand elle éteignit la lumière, le repos tant souhaité ne vint pas. Elle rejouait sans cesse la scène qui avait fait basculer sa vie. Elle essaya une fois de plus de se convaincre qu'être seule n'était pas une tragédie mais le cœur n'y était pas. Elle avait besoin de Val, elle avait besoin de Daniel. Chaque jour qui passait, elle sombrait de plus en plus dans une déprime que personne ne semblait remarquer.

***

Ilia regardait sa femme qui nettoyait sa cuisine de fond en comble. Il se doutait bien que quelque chose n'allait pas, Valérie détestait les tâches ménagères. Il savait que Raf et elle s'était disputées mais Val n'avait pas voulu lui en parler.

- Chérie ?
- Oui ?
- Si tu faisais une pause ? Tu astiques cette pauvre cuisinière depuis plus d'une heure et demie ! A mon avis, elle est propre maintenant, la taquina-t-il avec un sourire.

Ils étaient seuls tous les deux dans l'appartement, il avait emmené Cassandra au centre aéré pour la journée. Il était bien déterminé à venir à bout de l'affaire qui préoccupait sa femme.

- J'ai encore pleins de choses à faire, fit celle-ci en faisant mine de reprendre son chiffon.
- Hum moi aussi. J'ai envie de te faire un petit bisou ici, ici et puis là aussi, murmura-t-il innocemment en la prenant dans ses bras tout en déposant de doux baisers aux endroits indiqués.
- Ilia, soupira-t-elle voyant très bien où celui-ci voulait en venir mais n'ayant ni la force, ni l'envie de lui résister.

Il l'enlaça tendrement et l'embrassa d'un baiser empli de passion. Avec un geste sûr, il passa sa main sous le tee-shirt de sa femme et dégrafa son soutien gorge. Ses mains couraient sur sa peau laiteuse.

- Je t'aime, lui susurra-t-il à l'oreille tout en l'entraînant dans la chambre.

Les vêtements volèrent et ils se retrouvèrent face à face, nus. Ilia avait le souffle coupé en voyait le corps parfait de son épouse. Avec une douceur exagérée, il l'allongea sur le lit et s'unit à elle jusqu'à ce que le feu qui brûlait en lui ne s'apaise. Ils s'endormirent, leurs corps repus de caresses. Quand ils se réveillèrent de cette sieste crapuleuse, midi était passé depuis longtemps. Tous deux avait faim et Ilia, une fois n'est pas coutume, prit le téléphone et commanda une pizza. Il mangèrent tous deux assis dans le lit, une douce musique emplissait l'atmosphère puis, comme la nourriture terrestre ne leur était pas suffisante, ils refirent l'amour à nouveau. Un peu plus tard, ils étaient allongés l'un contre l'autre. Val avait posé sa tête sur la poitrine de son mari et celui-ci caressait ses boucles rousses.

- Qu'est-ce qui ne va pas Val ?
- Rien, tout va bien, mentit-elle.
- C'est ca et, comme dirait mon frère, fit-il en prenant l'intonation de Georgi, et moi je suis le camarade Gorbatchev ! Chérie, je te connais comme si je t'avais fait. Alors qu'y a-t-il ? Ca a un rapport avec Raf ?
- Oui et non.
- Ça, c'est une réponse ! Tu fais des progrès, la taquina-t-il en souriant.
- En fait, on s'est disputé. Elle m'a reproché de lui avoir menti. J'ai eu beau essayer de la convaincre que ce n'était pas parce qu'on partait que cela allait changer quelque chose mais elle s'obstine à penser le contraire.
- Ça, j'aurais pu m'en douter. Elle a peur.
- Je crois que c'est pire Ilia. En peu de temps, elle perd les seuls repères qu'elle a ici. Daniel, puis nous. Elle resta silencieuse un moment puis reprit. Tu crois qu'on a prit la bonne décision ? Demanda-t-elle d'une toute petite voix. Je veux dire, tu crois qu'on va réussir à être heureux là-bas ?
- Je comprends que tu puisses avoir des doutes, c'est une décision très grave que nous avons prise. Ecoute, je te promets une chose, si vraiment dans un an, on ne se plaît pas là-bas, on reviendra ici. J'en ai discuté avec David et on est tombé d'accord. Il va s'occuper de l'appartement. Je me suis même dit que Raf pourrait l'habiter en notre absence.
- Je doute qu'elle dise oui. Elle a décidé de rentrer à Strasbourg chez sa mère maintenant qu'elle est " seule ". Elle est entrain de fiche sa vie en l'air et cela m'énerve de voir à quel point elle n'en a rien à faire !
- C'est normal qu'elle veuille rentrer là-bas, c'est le seul endroit où elle se sente en sécurité.
- Peut-être mais je ne suis pas sûre que ce soit la solution.
- Moi non plus mais que vas-tu faire ? L'attacher sur une chaise pour la forcer à t'écouter ?
- Pourquoi pas, si ca pouvait l'empêcher de faire une autre bêtise.
- Une autre bêtise ?

Val se mordit la lèvre inférieure, elle en avait trop dit. Elle ne pouvait plus faire machine arrière.

- Raf est enceinte et…
- Et ? Demanda Ilia tout en devinant la suite.
- Elle veut se faire avorter.
- Ce n'est pas possible. C'est à cause de " cela " son malaise ?
- Oui.
- Elle compte mettre Simon au courant ?
- Non… pas du tout. D'après elle, il n'y a aucune raison qu'il le soit puisque cela ne le concerne plus.
- On peut dire qu'elle fait fort dans le genre tête de mule.
- Non, tu crois ? J'ai essayé de la raisonner mais j'ai été priée de m'occuper de mes affaires.
- Quand est-ce qu'elle doit…
- Vendredi à 10h00.
- C'est dans trois jour ça ! Il faut prévenir Simon. Il faut le faire revenir tout de suite, peut-être qu'il arrivera à lui mettre du plomb dans la cervelle.
- Non, on ne peut pas.
- Pourquoi ?
- Parce que j'ai promis de me taire. Je n'aurais même pas dû te le dire. Si jamais Raf découvre que j'en ai parlé à qui que ce soit, et qui plus est à Dan… Simon, je suis morte. Elle ne me le pardonnera pas.
- Oui mais si on réussit à la faire changer d'avis…

Ilia regarda sa femme, celle-ci avait l'air inquiète, très inquiète même. Le téléphone sonna. C'était Georgi qui venait aux nouvelles.

- Ca va petit frère ? Demanda-t-il avec enthousiasme, il se sentait heureux quand il pouvait parler à son jumeau, c'était une des raisons qui faisait qu'il était ravi que celui-ci vienne s'installer à New York. Je te dérange peut-être….
- Mais non, pas du tout, Comment vas-tu ?
- Bien, très bien. Dis-moi, je viens de trouver l'appartement de vos rêves. Il est très bien situé, près de Central Park.
- Il doit coûter une fortune !
- Pas du tout, c'est un ami de Largo qui le loue et il n'est pas contre l'idée de vous vous faire un bon prix.
- Je vois. De toute manière, je serais à New York dans quinze jours pour terminer les formalités.
- Ca n'a pas l'air d'aller, remarqua Georgi en voyant le manque d'enthousiasme de son frère.
- Ce n'est pas cela mais nous avons quelques complications, ici.
- Que se passe-t-il ?

Ilia hésita, Val était en train de lui faire des signes pour qu'il se taise mais son cœur lui disait qu'il devait à tout prix sauver ce couple.

- Simon est dans le coin ?
- Non, pourquoi ?
- Parce que ça le concerne.
- Il doit être dans le bureau de Largo à travailler sur la sécurité de la prochaine soirée de bienfaisance du groupe. Attends, je vais nous connecter ainsi tu pourras leur parler.

Quelques secondes passèrent avant qu'il n'entende la voix de Simon, de Largo et Joy le saluer. Il brancha le haut-parleur pour que Val puisse suivre la conversation.

- Salut grand chef ! Alors qu'est-ce qui ne va pas ? Je parie que vous vous ennuyez déjà de moi, dit-il d'une voix qu'il voulait enjouée mais qui ne trompa personne.
- Il s'agit de Raf. Aussitôt le silence se fit. Simon, tu es toujours là ?
- Oui, oui. Que se passe-t-il ? Demanda-t-il avec angoisse.
- Elle est enceinte et…
- Et ?
- Elle a décidé de se faire avorter, lâcha-t-il en soupirant.
- Elle ne peut pas faire cela, elle ne peut pas nous faire cela. Il faut l'en empêcher, s'écria-t-il au bord de la panique.
- On a tout tenté mais elle ne veut absolument rien savoir. Le rendez-vous est fixé à Vendredi, 10h00. On s'est dit que s'il y avait bien une personne capable de lui faire entendre raison se serait bien toi. Elle t'a toujours écoutée.
- Peut-être mais tu oublies qu'elle ne veut plus entendre parler de moi, répondit-il avec tristesse.
- Je ne pensais pas qu'il suffisait de si peu pour que tu abandonnes, fit Ilia avec un air défi dans la voix.
- Qui a dit que j'abandonnais ? Répliqua Simon piqué au vif, mais je te signale tout de même que les contrôleurs aériens sont en grève depuis quelques jours et que pratiquement aucun vol n'a décollé de La Guardia, ni d'aucun autre aéroport new-yorkais.
- C'est vrai ! Je n'y avais pas pensé. Je crains alors qu'il n'y ait plus rien à faire, soupira Ilia.
- Ne t'inquiète pas petit frère, je vais trouver une solution, déclara Georgi d'une voix assurée. Dans quelle clinique doit avoir lieu l'opération ?
- Dans le même hôpital où Simon a séjourné.
- D'accord, je vois. Je t'appelle dès que nous serons prêts à partir, dit Kerensky. Embrasse Val et Cassy pour moi, veux-tu ?
- Bien sûr, à bientôt.

Le silence retomba dans l'appartement d'Ilia et de Val. Celui-ci reposa le combiné sur sa base et prit sa femme dans ses bras.

- Que crois-tu qu'il va faire ?
- Je n'en sais rien mais je lui fais confiance. Je suis sûr que tout va finir par s'arranger, assura-t-il à son épouse qui tremblait légèrement entre ses bras. Il regarda le réveil et vit qu'il était presque l'heure d'aller chercher Cassandra au centre. Que dirais-tu d'aller récupérer notre fille et d'aller manger dans ce fameux restaurant dont elle nous rebat les oreilles sans cesse ? Proposa-t-il avec un sourire taquin.
- D'accord le dernier sous la douche, paye le dessert, dit-elle en se précipitant dans la salle de bain en souriant.
- Hé c'est pas du jeu, fit-il en rejoignant dans la cabine de douche et en refermant celle-ci sur leurs deux corps encore affamés de caresses.

***

Simon ressemblait à un lion en cage. Depuis qu'il avait appris les intentions de Raf, il ne pouvait penser à autre chose. Il faisait les cent pas dans la penthouse sous les yeux inquiets de Joy.

- Simon, je t'en prie, assieds-toi, tu es entrain de me donner le tournis.
- Je ne peux pas croire qu'elle puisse faire ca, fit-il en s'asseyant à coté de la jeune femme. Je veux dire, elle adore les enfants. On en a discuté, tu sais, et on voulait en avoir deux ou trois. Même si d'après elle, cela risquait d'être le parcours du combattant. Et là….
- Je crois surtout qu'elle a peur.
- Comment cela ?
- Il n'est pas très facile d'élever un enfant à deux alors seule… De plus, avec ton départ et celui prochain de son amie, il ne lui reste aucun appui, personne pour la soutenir jusqu'au bout de cette grossesse qu'à un moment elle a tant désiré.
- C'est vrai, et Raf est une personne très angoissée. Je n'ose imaginer ce qui peut se passer dans sa tête. Bon sang, si jamais on arrive trop tard, je m'en voudrais toujours.
- Ne dis pas ca, le rassura Largo en s'asseyant sur le fauteuil en face du Suisse.
- Si ! Jamais j'aurais dû revenir sans au moins avoir tenté de lui parler. J'aurais voulu savoir s'il y avait un espoir, quelque chose qui me permette d'espérer que je la retrouverais un jour. Tu ne peux pas savoir à quel point c'est frustrant !
- Tu crois vraiment que je ne le sais pas ? Figure-toi que cette jolie jeune femme assise à coté de toi a refusé de me voir pendant plus de trois mois après ton départ.
- Pourquoi ? Demanda-t-il confus.
- Parce que je lui en voulais d'avoir passé sa colère sur toi, mais surtout parce que je considérais qu'il avait trahi votre amitié en ne te laissant pas le bénéfice du doute. Et tu sais comme je peux être têtue.
- Oh oui ! Et que s'est-il passé ?
- J'ai tout tenté pendant deux mois, et je me suis fait raccompagner plus d'une fois par les gens de la sécurité de l'hôpital.
- Non, tu n'as pas fait ça, Joy ?
- Je me serais gênée. Puis un jour, il n'est plus venu. Seul notre ami russe continuait ses visites mais je refusais de lui demander des nouvelles de Largo. Jusqu'au moment où Georgi s'est mis à me dire nos quatre vérités et il m'a dit ce qu'il pensait de notre attitude à tous les deux. Il ne se met pas souvent en colère mais je crois que nous avions poussé le bouchon un peu loin et je peux te dire que c'est pas drôle un Russe en colère.
- Ca tu peux le dire, j'ai eu droit à ma scène moi aussi, la dernière fois où…
- Où…
- Non, rien, répondit-il mal à l'aise.
- Où… insista le Suisse.
- Où j'ai passé ma frustration sur l'alcool et le Penthouse, murmura-t-il honteux.

Flash-back

Largo était frustré, non il était en colère ! Cela faisait maintenant presque trois mois que Joy refusait tout contact avec lui. Il avait tout tenté, mais rien n'y avait fait. Il regarda sa bouteille de scotch qui était presque vide et en but encore une gorgée. Peut-être que s'il se soûlait assez, il pourrait oublier… Oublier que la femme de sa vie ne voulait plus entendre parler de lui… Oublier qu'il avait accusé son meilleur ami… Oublier le regard plein de reproches de Kerensky…Oublier… Tout simplement oublier… Mais à quoi bon puisque même dans son ivresse le visage des deux personnes qui comptait le plus pour lui se chevauchaient dans son esprit jusqu'à le rendre malade de frustration. Il entra alors dans une rage folle et commença à tout détruire dans le penthouse. Les quelques pots de fleurs se retrouvèrent par terre réduits en mille morceaux, les verres et les boissons qui se trouvait sur une desserte subirent le même sort. Les livres de la bibliothèque volèrent à travers la pièce, il débarrassa d'un coup de bras la table basse qu'il retourna, une chaise alla s'écraser contre le mur. Le Russe entra au moment où une deuxième suivait le chemin de la première. Largo avait une troisième chaise dans la main quand il sentit quelque chose retenir son bras. Il se retourna et vit Georgi qui le regardait avec inquiétude.

- Ca suffit, murmura-t-il, mettre en pièce le penthouse ne la fera pas changer d'avis, ni ne fera sortir Simon de sa cachette.
- Non mais cela m'aidera peut-être à…
- A quoi ? A mieux cuver tout l'alcool que tu ingurgites depuis deux mois ? Tu crois vraiment que personne n'a remarqué que tu soûles tous les soirs ?
- Je…Je…, fit il en lâchant la chaise et en fondant en larmes.
- Laisse-toi aller, mon ami, murmura Georgi en prenant celui-ci dans ses bras pendant que Largo laissait enfin sortir toute la souffrance qu'il gardait en lui depuis que le cauchemar avait commencé.

Avec une douceur peu coutumière, il emmena le milliardaire vers la chambre et le mit au lit, le bordant qu'il fut été un enfant malade.

- Elle ne m'aime pas, dit Largo alors que Kerensky s'asseyait dans un fauteuil près du lit.
- Tu dis n'importe quoi ! Bien sûr qu'elle t'aime !
- Alors pourquoi ? Pourquoi elle me fait ça ?
- Je ne sais pas. Peut-être qu'elle t'en veut de ne pas avoir eu confiance en son jugement ? Elle est très attachée à Simon même si elle ne le dit pas. Il est en quelque sorte ce frère qu'elle n'a jamais eu.
- Peut-être, en effet. Georgi… Tu crois vraiment qu'il est coupable ? Tu crois vraiment qu'il a pu faire tout cela ?

Kerensky soupira. Depuis le départ du Suisse trois mois plus tôt, il avait décidé de mener sa petite enquête en solo et le peu qu'il avait appris le mettait mal à l'aise. Lui qui se targuait de ne pas pouvoir être manipulé facilement, l'avait été avec une facilité déconcertante.

- Je ne sais pas, mentit-il, mais je vais le découvrir, je t'en fais la promesse. Maintenant dors, et ne t'inquiètes de rien. Je demanderais à ta secrétaire demain matin d'annuler tes rendez-vous, avec la tête que tu as, tu risques de faire peur à tes interlocuteurs, fit-il en se levant.
- Kerensky…
- Oui…
- Tu peux rester ? Juste jusqu'à ce que je m'endorme…
- Bien sûr, mon ami, acquiesça celui-ci en reprenant place dans le fauteuil. Demain, il rendrait visite à une certaine personne pour lui dire ce qu'il pensait de son comportement.

Largo s'endormit enfin d'un sommeil agité et le Russe soupira. Si son enquête n'aboutissait pas bientôt, et si Joy continuait à jouer les têtes de mule, il y avait fort à parier que Largo ne craquerait sous le poids de la culpabilité qui le rongeait.

Fin flash-back

- Largo, tu es sûr que ca va ? Demanda Simon inquiet du silence de celui-ci.
- Oui. Ce sont juste quelques souvenirs qui ont décidé de me rendre visite.

Le téléphone sonna interrompant leur discussion. Kerensky leur demandait de descendre au bunker, il avait peut-être trouvé une solution pour qu'ils puissent arriver à temps.

***

Le jour J était arrivé. Le réveil sonna tirant Raf d'un sommeil agité. Elle ne dormait pas bien depuis quelques jours, faisant cauchemar sur cauchemar. Des crises d'angoisses la tenaient éveillée une bonne partie de la nuit pendant lesquelles elle entendait son cœur marteler à ses oreilles. Elle faisait d'interminables heures au bureau pour ne pas à avoir à entrer dans un appartement vide, sans personne à qui parler même par Internet. La situation avec Valérie en restait au même stade. Les soirées se passaient sans que l'une ou l'autre ne parle, chacune pensant que l'autre était fâchée. Avec difficulté, Raf se leva et se tint à l'armoire jusqu'à ce que la pièce finisse de jouer les manèges de chevaux de bois. Elle alla s'enfermer dans la salle de bain, fit une toilette rapide et s'habilla. Elle regarda avec envie son téléphone. Elle avait pensé que Val viendrait avec elle, qu'elle ne la laisserait pas affronter cette épreuve seule. Mais il était dit que la solitude serait sa seule compagne. Ses sentiments envers l'enfant qu'elle portait étaient forts, très forts, et elle savait pertinemment que jamais elle ne se remettrait de ce qu'elle allait faire. Mais elle ne savait que trop ce que c'était de grandir sans un père et avec une mère amère et rongée par des dépressions successives. Elle ne voulait pas que son enfant ait à subir ce par quoi elle était passé étant enfant. Et puis jamais elle ne pourrait oublier Daniel, si elle avait son portrait vivant jour après jour auprès d'elle, mais d'ailleurs voulait-elle vraiment l'oublier ? Avec soupir de frustration, elle prit son sac, ferma la porte à clé et se rendit à la gare.

***

Val de son coté était prête et terminait de préparer Cassandra. Ilia devait la laisser à l'hôpital avant de déposer leur fille chez la nourrice. Il était hors de question que Raf fasse face seule à cette épreuve. Elle se sentait frustrée par leur manque de communication de ces dernières semaines mais, depuis leur dispute, elle ne savait plus comment faire pour aborder un sujet quel qu'il soit sans que son amie ne prenne la mouche alors elle préférait se taire. De plus, elle essayait encore de digérer le fait que Raf ne lui ait pas parlé de sa grossesse, ni de ses intentions. Si elle n'avait pas trouvé le carton de rendez-vous, elle n'en aurait jamais rien su. Comment son amie pouvait-elle bien lui mentir sur une chose si importante ? Quand enfin son mari la déposa, il était presque 9h30. Connaissant son amie, celle-ci devait déjà être en salle d'attente. Elle n'avait eu aucune nouvelle de Simon, elle ne savait donc pas si celui-ci allait venir ou pas. Elle traversa divers couloirs, suivit les indications données par la personne peu aimable à l'accueil et entra dans la salle d'attente du service de gynécologie. Quelques femmes enceintes attendaient leurs tours pour une consultation ou une échographie. Celle-ci parlaient à voix basse à leurs compagnons qui les avait accompagnés. Dans un coin, elle vit Raf assise les yeux dans le vide. Elle était d'une pâleur à faire peur et malgré le fait qu'elle soit enceinte, elle la trouvait amaigrie.

- Salut ma puce, dit-elle s'asseyant à coté de la jeune femme qui sursauta.
- Val ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? Je croyais que…
- Ben tu croyais mal ! Je ne vais tout de même pas te laisser seule dans un moment pareil ! Dit-elle en lui prenant la main en signe de réconfort.
- Merci, murmura Raf les yeux emplis de larmes.

Elles attendirent encore de longues minutes en silence. Elles n'avaient pas besoin de mots, le seul contact de leurs mains suffisait à la rassurer.

***

Largo regardait Simon s'agiter sur la banquette arrière du taxi qui devait les emmener à l'hôpital. Ils avaient eu beaucoup de mal à relayer New York à Paris. Aussi curieux que cela puisse paraître, ils avaient été obligés d'aller jusqu'à Los Angeles. Ils avaient pris un petit avion pour Washington et ils avaient eu la frayeur de leur vie quand le pilote avait dû se poser en plein orage. L'avion était ballotté par les vents violents comme un fétu de paille. Les aéroports avaient alors été fermés pour quelques heures. Quand enfin le temps se fut levé, ils apprirent qu'aucun jet n'était disponible à la location et qu'aucune place de libre ne restait pour la France, les trois vols ayant été pris d'assaut par des français bloqués à New York depuis une semaine. Ils sont prioritaires, leur avait dit l'hôtesse avec un sourire gêné. Elle avait reconnu Largo d'après des photos dans la presse. Le milliardaire avait alors joué de tout son charme pour que la jeune femme essaye toutes les compagnies et au bout d'une interminable attente, ils avaient eu un vol pour Los Angeles, de là ils prendraient un vol pour Paris. Le vol pour l'Europe avait été, lui aussi, retardé de plusieurs heures pour cause de sécurité. De nouvelles menaces d'attentats flottaient dans l'air et la police ne voulait prendre aucun risque. Quand enfin ils arrivèrent à Paris le vendredi, il était plus de 8h00. Ils prirent directement un taxi à l'aéroport de Roissy pour aller à l'hôpital mais ils étaient dans les embouteillages jusqu'au cou.

- On va jamais y arriver, murmura Simon en regardant pour la centième fois sa montre
- Je suis sûr que si, essaya de le rassurer son ami.

Les rues défilaient grises et mornes. Il pleuvait des cordes et le Suisse pensa que cela allait de pair avec son humeur plus que morose. Il ne savait s'ils allaient arriver à temps pour empêcher Raf de commettre la plus grosse bêtise de sa vie. Il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir lui dire pour lui faire entendre raison, un " Je t'aime " ne serait sans doute pas suffisant. Le taxi s'arrêta enfin devant l'entrée de l'hôpital. Ils en sortirent en trombe et se précipitèrent à l'intérieur.

***

Raf regarda l'horloge qui trônait au-dessus du secrétariat, il était presque dix heures. Son cœur battait la chamade et elle avait peur. Son estomac grogna. Elle n'avait rien avalé depuis le jour antérieur et seulement la moitié d'un sandwich à midi. Le soir elle était rentrée trop tard et trop fatiguée pour ne penser à autre chose que son lit.

- Mlle Sanchez ? Demanda un médecin qu'elle ne connaissait pas.

Raf se leva et se dirigea vers l'homme en blouse blanche. Il avait une quarantaine d'années, il était grand, le visage émacié et son crâne chauve luisait à la lumière des néons. Ils se dirigèrent sans mot dire vers le fond du couloir où se trouvait le bloc opératoire. Il la laissa se préparer dans la salle attenante avec l'aide d'une infirmière et lui-même alla se préparer de l'autre côté du couloir. Quand elle fut prête, l'infirmière la dirigea vers le bloc et en ferma la porte derrière elle.

***

Simon arriva en trombe dans la salle d'attente. Il examina avec attention les personnes présentes et se dirigea vers Val qui était entrain de massacrer un mouchoir en papier, tout en essayant de retenir ses larmes de frustration.

- Val ?
- Daniel ! Je suis désolée, fit celle-ci, j'ai vraiment tout essayé mais c'est une tête de mule.
- J'arrive trop tard, n'est-ce pas ?
- Oui, elle vient juste d'y aller. Peut-être que l'intervention n'a pas encore commencé, avec un peu de chance, ils te laisseront lui parler.
- Tu as raison, fit-il en déposant un léger baiser sur le front de la jeune femme.

Quand il revint auprès de ses amis, il avait le visage défait. D'après l'infirmière qui avait eu la gentillesse de se renseigner, Raf était déjà au bloc. L'intervention allait commencer d'un instant à l'autre et on ne pouvait plus rien faire, sinon attendre un miracle. Il se laissa tomber auprès de Largo qui lui posa une main sur l'épaule pour le soutenir en silence. Il savait que toute parole serait veine face à la douleur de celui-ci.

***

Raf était au bord de la crise panique, elle regardait avec horreur la salle d'opération, et mit une main devant son ventre d'un geste protecteur. Elle ne pouvait pas faire cela ! Cet enfant était l'enfant de l'amour, il ne pouvait pas finir comme cela. L'infirmière regardait avec intérêt la bataille d'émotions sur le visage de la jeune femme. Elle fit signe au chirurgien d'attendre encore un peu avant de pénétrer dans la salle. Ils n'aimaient pas faire des avortements, ils le faisaient seulement pour ne pas se retrouver dans la situation d'avant. Celle où les femmes en détresse allait voir les faiseuses d'anges. Même si beaucoup étaient expérimentées, trop de femmes mouraient suite à des infections ou restaient mutilées à vie. Alors chaque enfant qu'ils pouvaient sauver, était une victoire sur le désespoir.

- Ca va, mademoiselle ? Demanda l'infirmière en s'approchant.
- Je…, dit Raf au bord des larmes.
- Ca va ?
- Je ne peux pas faire ca, je ne peux pas, je suis désolée, je ne peux pas, ne cessait-elle de répéter.
- Vous êtes sûre ?

Raf hocha la tête silencieusement. L'infirmière la prit alors par le bras et l'emmena vers la salle où elle avait laissé ses affaires. Elle la fit asseoir sur une chaise, lui donna un verre d'eau et attendit que la crise de larmes de la jeune femme passe. Puis, avec une douceur infinie, elle l'aida à s'habiller et la raccompagna en salle d'attente. Trois paires d'yeux se posèrent sur elles. Un petit homme brun se précipita pour prendre sa patiente dans ses bras, ce devait être le père de l'enfant en déduisit-elle par les paroles de réconfort qu'il lui prodiguait.

- J'ai pas pu, murmura Raf, j'ai pas pu faire cela à notre enfant. Je…

La pièce se mit à tourner et, si Simon ne l'avait pas tenu dans ses bras, elle se serait effondrée au sol. L'infirmière qui était prête à se retirer intervint aussitôt. Un brancard fut amené et une autre infirmière vint l'aider et ils emmenèrent Rafaela vers une salle de soin. Elles en interdirent l'accès à Simon, Largo et Val qui étaient morts d'inquiétude. Une heure plus tard, le même médecin qui était venue la chercher entra dans la salle d'attente en se grattant la tête.

- Vous êtes des amis de Mlle Sanchez ?

Le petit groupe se leva comme un seul homme.

- Comment va-t-elle docteur ?
- Votre amie est hors de danger. Elle est épuisée, sous alimentée et déshydratée.
- Elle m'a effectivement dit qu'elle ne pouvait rien avaler, mais je ne pensais pas que c'était à ce point, dit Valérie en se sentant coupable.
- De plus, elle a eu un début d'hémorragie que nous avons pu contrôler rapidement mais…
- Mais ? Répéta Largo en posant une main sur l'épaule de Simon.
- Mais il n'est pas sûr que nous puissions sauver l'enfant. C'est trop tôt pour le dire.
- Ce n'est pas possible…. Je peux la voir, demanda Simon d'une voix étranglée par le chagrin.
- Bien sûr. Mais ne l'énervez pas, il faut qu'elle reste le plus calme possible.

Le médecin accompagna le petit groupe jusqu'à une chambre du troisième étage. Il ouvrit la porte et tous trois virent une forme pâle allongée sur un lit trop grand pour elle. Simon entra et alla s'asseoir sur son bord.

- Salut ma puce…

Il n'obtint aucune réponse. Raf gardait obstinément le visage tourné vers la fenêtre.

- Je t'en prie Raf, regarde-moi.

Celle-ci tourna enfin son regard azur vers lui. La souffrance qu'il pouvait voir dans ses yeux lui vrilla le cœur. Dieu qu'il pouvait l'aimer ! Dieu qu'elle lui avait manqué !

- Je t'aime, murmura-t-il en capturant ses lèvres d'un doux baiser.
- Comment peux-tu encore me regarder en face après ce que j'ai failli faire ?
- Mais tu ne l'as pas fait c'est ce qui compte le plus.
- Dieu m'a puni pour avoir même osé songer à une telle chose.
- Non, je ne peux pas croire qu'un Dieu qui se dit amour puisse sauver un enfant pour le reprendre tout de suite après.
- Mais je…
- Tu as fait ce que tu as cru être la meilleure chose pour toi dans un moment de ta vie où tu sentais seule et perdue. Je te promets une chose, et cette promesse jamais je ne la briserais. Je te fais la promesse solennelle de ne plus jamais t'abandonner, de toujours me battre pour cet amour qui nous anime.
- Et si jamais il ne survivait pas ? Fit-elle en caressant doucement son ventre.
- Cela voudra dire que nous n'étions pas prêts à l'accueillir. Nous surmonterons l'épreuve ensemble.
- J'ai tellement peur…
- Je sais, mon amour, mais je sais qu'à nous deux nous vaincrons les obstacles.
- Je t'aime tellement, murmura-t-elle ne laissant libre cours à ses larmes. Si tu savais comme je m'en veux, j'aurais dû…
- Rien du tout, je me suis comporté comme un imbécile… Tu as eu raison de me mettre dehors. Ce que j'ai fait est impardonnable. Jamais je n'aurais dû lever la main sur toi..
- Mais tu étais soûl et tu ne savais pas ce que ce tu faisais.
- Je sais mais jamais je n'aurais dû me laisser aller, c'était trop facile. Je fuyais la réalité parce qu'elle était devenue trop douloureuse et regarde les conséquences, toute cette souffrance que tu as dû affronter seule. Je suis désolée mon ange.
- Arrête de te reprocher sans cesse des choses qui se sont passé et que nous ne pouvons plus changer. Et si nous… Nous regardions vers l'avenir, vers cet endroit où nous avons rêvé d'élever nos enfant en paix et avec amour.
- Ca veux dire que tu veux toujours de moi ? Que tu m'aimes encore malgré tout ce que je t'ai fait subir ?
- Oui, je t'aime, et même plus encore.

Il la prit dans ses bras et laissa couler des larmes de bonheur, quand enfin il la relâcha contre l'oreiller, il s'aperçut qu'elle s'était endormie le sourire aux lèvres. Il sortit en silence de la chambre pour permettre à Valérie de veiller elle aussi sur son amie. Largo le regarda et fut étonné de voir briller dans ses yeux une joie sans borne.

- Ca va ? Demanda le milliardaire
- Oui, elle m'aime encore. Elle… elle me, bafouilla Simon. Elle veut encore de moi. Il y a encore un nous ! On va se marier, on va …
- Toutes mes félicitations, je suis tellement heureux pour toi ! Dit-il en prenant dans ses bras son meilleur ami.
- J'arrive pas y croire. C'est tellement incroyable.
- Oh mince…. Il faut que j'appelle Joy.
- Attends, tu as vu l'heure qu'il est ? Elle doit dormir à poings fermés, tu vas te faire tuer si tu la réveilles.
- Je vais surtout me faire tuer parce que je ne l'ai pas appelée à la descente de l'avion. Quand à dormir, ça m'étonnerais. Elle est tellement frustrée parce que le médecin lui a interdit de voyager qu'elle doit être en train de creuser un sillon dans la moquette du penthouse.

Il s'éloigna laissant Simon seul avec ses pensée. Quelques minutes plus tard, Valérie sortit de la chambre. Son amie dormait toujours. Elle regarda le Suisse et lui sourit. Ils allèrent jusqu'au petit salon réservé aux visiteurs au bout du couloir. Simon alla jusqu'au distributeur d'eau et ramena deux gobelets. Ils restèrent assit en silence pendant un long moment.

- Merci, dit Valérie en déposant un baiser sur le front du Suisse.
- De quoi ? Je n'ai rien fait.
- Si tu es venu. Tu aurais pu…
- Je ne pouvais pas, je l'aime, tu comprends, je l'aime tellement. Je ne suis pas sûr qu'elle se remettra si elle perd cet enfant.
- J'en suis certaine. Ca va la détruire. Seigneur, j'aimerais bien savoir encore combien de temps la vie va s'acharner sur nous ! Depuis plus de deux ans, on passe de crise en crise et on a à peine le temps de souffler un peu que c'est reparti pour un autre drame.
- Je sais mais j'ai bon espoir que cela se passe mieux maintenant.
- Tu crois vraiment ?
- J'en suis certain, appelle ça intuition ou sixième sens.
- Que comptes-tu faire ?
- Ramener cette tête de pioche à New York dès qu'elle sera en état de voyager. Et je n'accepterais aucune discussion, nous avons déjà perdu beaucoup trop de temps.
- Elle risque de ne pas accepter
- Pourquoi ?
- A cause de sa mère. Elle ne voudra pas être aussi loin d'elle. Il existe une relation entre elles que j'ai du mal à comprendre parfois. Peut-être que cela vient du fait que c'est sa mère qui l'a élevée seule à la mort de son père.
- Alors on emmènera belle-maman aussi
- Oui mais elle aussi têtue que sa fille sinon plus, comment tu vas la convaincre de venir s'installer à New York. Raf a déjà du mal à la convaincre de venir s'installer à Paris.
- Je trouverais un moyen mais il est hors de question de laisser Rafaela de nouveau seule.

Largo revint un sourire aux lèvres. Il avait dans ses mains un sac plein de croissants qu'il avait acheté à la boulangerie au coin de la rue.

- Tenez, j'ai pensé que vous auriez faim.
- Ca a l'air de s'être bien passé, constata Simon amusé.
- Oui, j'ai échappé à la décapitation par miracle, j'aurais juste droit à une bonne fessée quand je rentrerais.
- Pardon ? Fit Val en levant un sourcil.
- Joy le mène à la baguette, j'aurais jamais cru cela, expliqua le Suisse en explosant de rire.
- Eh tu vas voir quand Raf sera enceinte jusqu'au bout des yeux, tu verras comment elle va te faire marcher droit.
- Ah mais moi j'ai pas besoin qu'elle soit enceinte pour qu'elle me fasse filer droit.
- Arrête de dire du mal de ma copineuhhhhhh, répondit Val en se prenant au jeu, tu vas pas me faire croire que c'est une tortionnaire !
- Non, non, c'est juste que… Tu as vraiment intérêt à filer droit si tu ne veux pas faire ceinture pendant un longggg moment, si tu vois ce que je veux dire.
- Continue et je lui raconte tout.
- Oh non pitié ! ! ! Pas ça, supplia-t-il, elle va encore m'imposer la ceinture de chasteté pendant au moins six mois et je ne le supporterais.

Ils explosèrent de rire en imaginant Simon dans une telle tenue.

- Eh bien, je vois qu'on s'amuse bien ici.
- Chéri ! S'écria Val en se jetant dans les bras de son mari. Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je venais prendre des nouvelles puisque tu ne m'as pas appelé.
- Je suis désolée mais tout c'est passé trop vite.
- Bonjour Simon… M. Winch…Alors ?

Valérie raconta à son mari les événements de la matinée.

- Et quand saurons-nous ?
- Je n'en sais rien, le médecin n'a rien dit. C'est pour cela que nous sommes là. Raf dort, on ne voulait pas la déranger pendant son sommeil, elle dort déjà si peu.

Ils se rassirent dans le petit salon discutant à voix basse. Les minutes se transformèrent en heures et ils ne savaient toujours rien. De temps à autre, l'un d'entre eux allait voir dans la chambre de Raf si celle-ci s'était réveillée mais elle continuait à dormir avec un sourire angélique aux lèvres. Apres les heures de visites, Val et Ilia rentrèrent chez eux mais Simon ne voulait pas quitter sa fiancée. Le médecin autorisa exceptionnellement les deux hommes à rester dans le petit salon.

***

Le lendemain Valérie revint accompagnée de son mari. Ils retrouvèrent Simon et Largo qui faisaient les cent pas dans le petit salon.

- Que se passe-t-il ? Demanda Valérie soudain inquiète.
- Je ne sais pas, d'après une infirmière l'état de Raf s'est brusquement aggravé. Le médecin a été incapable de nous dire quoi que ce soit.
- C'est pas vrai… Elle allait pourtant bien hier quand nous sommes partis ! Pourquoi ne nous avoir rien dit ?
- J'ai essayé de t'appeler mais vous étiez déjà en route.

Le médecin arriva une heure après, il avait l'air d'avoir mené une dure bataille.

- Alors ?
- Elle va bien.
- Et le bébé ? Demanda Simon à la fois soulagé et inquiet.
- Il est toujours là. Je dois avouer qu'il nous a fait une grosse frayeur ce matin mais il s'accroche ce petit bonhomme.
- Quand saurons-nous ?
- Dans vingt-quatre à soixante-douze heures maximum. J'espère que son état va se stabiliser. Ensuite il lui faudra un repos total pendant au moins un bon mois et un suivi très sérieux. Sa grossesse risque d'être difficile.
- Pourra-t-elle voyager ?
- Je n'y vois aucun inconvénient à condition quelle puisse se reposer correctement après.
- Merci docteur, je peux la voir ?
- Pas pour le moment, nous allons la garder en soin intensif pour mieux pouvoir la surveiller. Vous pourrez la voir cette après-midi sans problème mais pas très longtemps, il faut qu'elle se repose. Elle est à bout de force et pas seulement physiquement.

Le médecin les quitta en leur conseillant d'aller manger un morceau et de se reposer un peu. Ilia leur proposa de venir prendre un café à l'appartement. Simon allait refuser mais un regard de Valérie le fit renoncer. Il avait besoin de quelque chose de beaucoup fort que le jus de chaussette qu'ils trouvaient à la cafétéria de l'hôpital.

***

Deux jours. Cela faisait deux jours qu'ils attendaient que le médecin leur dise que tout allait s'arranger mais chaque fois c'était la même réponse : il fallait attendre. Simon était en train de devenir dingue et il commençait à exaspérer ses compagnons. Il ne dormait que très peu, et passait une partie de ses nuits à faire les cent pas, dans le salon de Valérie, qui les avait invités à rester chez eux jusqu'à la fin de la crise.

- Simon ? Fit Largo en entrant dans la pièce. Celui-ci était face à la baie vitrée et semblait perdu dans ses pensées. Simon ?
- Ah, Largo je suis désolé ? Je ne voulais pas te réveiller.
- Tu penses à Raf, n'est-ce pas ?
- Oui. Tu sais, on en a vu de toutes les couleurs depuis qu'on est ensemble, d'ailleurs ça été une véritable bataille pour nous deux. Moi contre mes démons et elle contre ses peurs. Mais ça nous a rendu plus fort, c'est du moins ce que je croyais.
- Je suis désolé, c'est ma faute si…
- Non, tu n'y es pour rien ! Je ne pensais pas qu'un jour on se reverrait, mais tu me manquais, tu me manquais tellement. Combien de fois j'ai pris le téléphone et j'ai commencé à faire le numéro ? Et puis je raccrochais, je me disais que ce n'était pas la peine, que tu ne voulais plus de moi dans ta vie. Et ça me tuait, ça me tuait à petit feu.
- Tu aurais dû appeler, je n'attendais que cela. Si tu savais à quel point je m'en suis voulu. J'ai failli devenir fou à te chercher sans te trouver. J'avais besoin de mon frère, de mon ami.
- Je sais, j'avais besoin de toi moi aussi, j'avais besoin que quelqu'un m'empêche de plonger. Mais il n'y avait personne, dit-il sur un ton sans reproche, jusqu'à ce que Raf arrive. Elle a été avec moi à chaque pas, me rassurant, me prouvant à chaque moment que je valais la peine d'être aimé, que ça valait la peine de continuer à vivre.
- Elle a l'air d'être quelqu'un de bien.
- Oui, elle l'est. Elle donne, et donne encore, et ne demande rien en échange si ce n'est un peu d'affection. Elle est de ces personnes que tu ne remarques pas aux premiers abords et qu'on oublie facilement. Il y a même des fois où tu peux oublier qu'elle est dans la pièce. Mais quand tu la connais… Quand tu la connais et qu'elle te donne sa confiance, elle est capable de bien des choses.
- Comme de me tenir tête et de m'appeler " catastrophe ambulante " ? Dit-il en souriant.
- Elle a fait cela ?
- Oui, elle était juste un peu en colère.
- Je m'en doute, mais c'est étrange. En général, elle ne dit rien, elle a horreur des confrontations. Elle est tellement peu sûre d'elle-même qu'elle va se laisser faire, qu'elle va laisser couler, quitte à ce que cela la ronge. Combien de fois j'ai essayé de lui faire comprendre qu'il fallait qu'elle dise ce qu'elle a en elle de temps à autre ? Mais j'ai jamais réussi.
- Je peux te dire que quand elle est en colère, elle ne mâche pas ses mots. Je crois que si nous n'avions pas été dans un hôpital, elle m'aurait giflé, souligna le milliardaire.
- J'aurais bien voulu voir cela.
- Ben moi, j'y tiens pas trop, fit-il en frissonnant, il ne se souvenait que trop bien du regard rempli de colère de la jeune femme. Que comptes-tu faire ?
- Rester auprès d'elle aussi longtemps qu'il le faudra. Il va me falloir du temps pour lui faire oublier ce qui s'est passé. Il va me falloir des trésors de patience pour la rassurer et lui faire comprendre que je l'aime corps et âme.
- Je croyais qu'elle le savait déjà cela.
- Oui, mais je la connais bien. Son cœur en est convaincu mais sa tête non. Elle va avoir tendance à rentrer dans sa coquille pour se protéger. D'ailleurs, cela a déjà commencé puisque, à ce que j'ai pu comprendre, Valérie et elle ne se parlent presque plus en dehors des banalités d'usage.
- Je crois qu'il est temps d'aller dormir un peu. Tu vas lui faire peur si elle te voit dans cet état, fit-il en entendant la pendule du salon sonner trois heures..

Ils rejoignirent leur chambre et Simon, malgré la fatigue qu'il ressentait, ne put penser à autre chose que Raf et leur enfant. Mille et une questions virevoltaient dans sa tête. Qu'allait-il faire si jamais la jeune femme le perdait ? Comment allait-il pouvoir l'aider ? Comment, lui, allait-il pouvoir surmonter cette douleur ? Et si le bébé venait à terme, serait-il un bon père ? L'aimerait-il sans condition aucune ? Il soupira en retournant pour ce qui lui semblait être la centième fois dans son lit.

***

Le lendemain, ils retournèrent à l'hôpital. Le médecin les attendait dans son bureau. Une infirmière les y conduisit avec un sourire poli aux lèvres.

- Bonjour, les salua le médecin en se levant et en serrant la main de Simon, Largo, Valérie et Ilia.
- Quelles sont les nouvelles ce matin ? Demanda le Suisse avec anxiété.
- Plutôt bonne, je dois l'avouer. Son état se stabilise et si elle continue dans cette voie, là je pourrais la laisser sortir dans deux ou trois jours.
- Et le bébé ? Est-ce qu'il va bien ?
- Il s'accroche toujours et je ne pense pas qu'il y ait quelque séquelle que ce soit mais cela nous ne pourrons en être sûrs que plus tard. Encore un peu de patience M. Ovronnaz, je suis certain que tout va finir par s'arranger et cela ira d'autant plus vite si vous allez lui rendre visite.

Ils prirent congés et allèrent rejoindre Raf qui avait été installée dans une chambre individuelle.

- Salut ma puce, fit Simon en entrant.

Le visage de la jeune femme se fendit d'un grand sourire. Elle avait passé ces derniers jours à dormir et malgré cela son visage portait encore les marques d'une fatigue prononcée. Raf avait eu tout le temps pour réfléchir…. Réfléchir à ce qu'elle allait faire de sa vie. Elle ne voulait pas perdre Daniel. Décidément elle ne pouvait se résoudre à l'appeler d'une autre manière que par ce prénom qu'elle aimait tant. Elle savait qu'il voulait qu'elle rentre avec lui aux Etat Unis, qu'il voulait qu'ils ne remettent en rien leurs projets de mariage, mais elle avait peur de commettre une autre erreur. Et puis il y avait sa mère. Elle était âgée de soixante-quinze ans et sa santé était chancelante. Elle s'en voulait déjà beaucoup d'avoir dû partir et la laisser à Strasbourg jusqu'à ce qu'elle trouve une situation stable. Elle en avait parlé avec celle-ci qui lui avait soutenu qu'il était temps qu'elle fasse sa vie et qu'elle se sentait trop vieille pour changer de domicile. Mais elle savait parfaitement que la vieille dame se sentait très seule et ne reprenait vie que lorsqu'elle rentrait à la maison. Cela faisait un an qu'elle bataillait dur pour la convaincre de venir s'installer avec elle, dans la capitale, et elle n'avait pas réussit alors comment allait-elle lui faire accepter l'idée de d'aller vivre dans un pays étranger, dont elle ne parlait pas du tout la langue, ni ne comprenait les coutumes ? Pour la vieille dame, c'était un pays de fous où régnait la violence, le crime et l'hypocrisie. Une caresse de Daniel sur la joue la fit revenir à la réalité.

- Ca ne va pas ? Demanda celui-ci inquiet.
- Non, non je réfléchissais.
- Ah et quoi ? S'enquit Val en entrant en compagnie d'Ilia et de Largo.
- A rien de très important, répondit celle-ci en haussant les épaules.

Valérie vit le visage de son amie se fermer. Elle poussa un soupir de frustration. Raf continuait de ne rien lui dire à part les banalités d'usage. Elle savait que la jeune femme avait des choses en tête qui l'ennuyaient mais il semblait qu'elle ne lui faisait plus assez confiance pour lui en parler.

- Comment te sens-tu, jeune fille ? Demanda Ilia sur un ton paternel.
- Mieux je suppose, d'après le médecin je devrais pouvoir sortir d'ici deux ou trois jours.
- Je sais et après que comptes-tu faire ?
- Je ne sais pas encore. Je n'y ai pas vraiment réfléchi, mentit-elle en baissant les yeux.

Il lui semblait qu'Ilia pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert et elle ne voulait pas qu'il voit son trouble. Elle aurait bien voulu en parler à Val mais elle ne savait plus comment faire. Elle avait peur de froisser son amie après les mots amères qu'elle lui avait lancé à la figure. Pourtant il fallait bien qu'elle en parle à quelqu'un. Daniel voulait qu'elle rentre à New York avec lui mais elle ne pouvait s'y résoudre. Elle ne pouvait pas imaginer sa vie sans mère. Il existait un lien entre elles qui, malgré les hauts et les bas dans leur relation, paraissait indestructible. Elle savait que c'était stupide de se sentir ainsi coupable de faire sa vie en tant qu'adulte mais elle ne pouvait s'en empêcher. Son frère et sa sœur ne se préoccupaient pas du sort de leur mère. Elle était la petite dernière, un accident. Sa mère s'était retrouvée, à sa grande surprise, enceinte à quarante et un ans. Carmen, la sœur de Raf qui était alors âgée de dix-neuf ans et qui habitait encore à l'époque la France avait été heureuse de cette nouvelle. Mais son frère, Felipe, d'un an son aîné, n'avait jamais pardonné à ses parents cet écart de conduite. Il trouvait que cette grossesse était une folie, cela mettait selon lui inutilement la santé de leur mère en danger. Il aurait voulu que sa mère avorte mais celle-ci s'y était fortement opposé. Il avait pris le parti d'ignorer l'enfant autant que possible. Il ne s'était jamais intéressé à sa scolarité sauf pour imposer des décisions arbitraires. Il n'avait jamais, durant la longue maladie de leur père, donner un coup de main à sa mère sauf quand il y était obligé. A la mort de celui-ci, il tolérait la présence de sa génitrice uniquement parce qu'elle lui était utile en tant que nourrice pour ses enfants. Quant à sa sœur, il ne s'était jamais demandé si elle allait bien ou mal. Il n'avait jamais eu la curiosité de demander à la jeune fille ce qu'elle aimait, ce qu'elle détestait, si elle avait un petit ami ou si sa scolarité se passait bien. Les seules fois ou il lui avait parlé, c'était pour lui faire la leçon sur un ton qui n'admettait aucun commentaire. Carmen, elle, avait déménagé en Espagne quand Raf avait à peine cinq ans. Quand leur père était tombé très gravement malade, elle ne s'était jamais déplacée pour lui rendre visite. Elle s'excusait en disant que ce n'était pas simple avec quatre enfants, dont un en bas âge, et surtout que le voyage coûtait trop cher. Même quand son père était mort, elle n'était pas venue à l'enterrement. Raf ne gardait que très peu de souvenirs de cette époque, sa mémoire s'étant effacé pour lui permettre de grandir normalement. Elle ne gardait que des images, quelques odeurs et des scènes mais rien de très précis. Quand sa mère avait exprimé son envie de prendre sa retraite auprès de sa fille aînée quelques années auparavant, celle-ci avait été ravie au premier abord. Mais elle s'était bien vite rendue compte qu'elle ne pourrait pas manipuler sa mère comme elle le souhaitait. Elle avait tenue bon, jusqu'à ce que sa mère ne menace de dénoncer l'un de ses fils pour lui avoir volé de l'argent. Elle avait alors appelé Rafaela en catastrophe pour que celle-ci la récupère. Malheureusement, Raf qui passait ses fêtes chez Val s'était fait une entorse à Noël et elle ne pouvait pas marcher. Sa sœur avait alors accompagné sa mère jusqu'à la frontière et l'avait mis dans un train vers Strasbourg un trente-un décembre, sans aucuns remords. Rafaela avait fait des pieds et des mains pour que sa mère puisse la rejoindre à Paris mais elle n'avait pas réussi, il n'y avait pas de correspondance compatible. Simon regarda sa dulcinée et put voir la bataille de sentiments qui se livraient en elle.

- Ne t'inquiète pas ma chérie, nous allons trouver une solution.
- Tu crois ?
- J'en suis sûr. Mais il est temps maintenant de te laisser te reposer. Je t'ai amené un peu de musique douce pour que tu puisses te relaxer et penser à moi, fit-il en l'embrassant.

Ils sortirent tous à l'exception de Valérie qui saisit cette occasion pour mettre les choses au clair avec son amie.

- Je crois que nous avons à parler.
- Et de quoi ?
- Tu le sais très bien. Ecoute Raf, je suis désolée de t'avoir caché notre déménagement, je ne voulais pas te faire de la peine. Je gardais surtout un espoir que cela ne se fasse pas. Mais on ne peut pas dire que tu aies été très franche toi non plus. Pourquoi m'avoir caché ta grossesse ? Pourquoi continues-tu à m'exclure de ta vie ?
- Ca n'a plus d'importance maintenant.
- Si cela en a ! Parce que je tiens à notre amitié. Je veux continuer à tout partager avec toi. Je veux que tu continues à me parler de tes petites misères, je veux que tu continues à râler sur tes mauvaises journées. Où est passé cette complicité qui nous a fait faire tant de choses ensembles qu'on aurait pas osées faire seules ? Bon sang vas-tu arrêter de faire ta tête de mule ! Tu es aussi malheureuse que moi de cette situation ! Ne me dis pas le contraire, je ne te croirais pas !
- Ce n'est pas moi qui ai cessé d'écouter, murmura-t-elle.
- Pardon ?
- Tu étais tellement occupée à te demander pourquoi j'ai fait une chose pareille que tu as cessé de répondre quand j'essayais de te parler. Combien de soirs, ai-je essayé d'entamer la conversation mais tu restais muette ? Je voulais te dire combien j'étais désolée mais je me heurtais à un mur alors j'ai cessé d'essayer, on ne peut pas faire entendre raison à quelqu'un qui ne veut pas écouter. Je sais que je t'ai blessée, et j'ai été blessée par ton propre mensonge. Mais si on n'est pas capable de passer au-dessus et d'arrêter de se demander pourquoi nous avons pris ce genre de décision, alors on peut tout aussi bien arrêter les frais tout de suite. J'ai besoin de toi, j'ai besoin de ces petites discussions qui n'ont parfois ni queue ni tête pour tenir bon quand tout est trop moche dans mon travail. J'ai besoin de pouvoir te dire quand ça va pas, mais j'ai aussi besoin par moments que toi tu me dises ce qui ne va pas. Parce que je sais, tu souffres du même défaut que moi, tu ne dis rien de ce qui te turlupine. On dirait parfois que je suis la copine des jours où tout va bien mais quand ça ne va pas, ce n'est pas vers moi que tu te tournes, ce n'est pas à moi que tu racontes tes malheurs. Moi, au contraire, je te confie tout, même Daniel n'en sait pas autant que toi. Ai-je eu raison de te faire confiance ? Oui, sans aucun doute ! As-tu toujours ma confiance ? Oui, même si en ce moment, j'hésite à te parler parce que je ne sais plus sur quel pied danser avec toi.

Raf retomba épuisée sur l'oreiller, ce long discours avait pompé le peu d'énergie qu'elle avait, mais elle se sentait plus légère maintenant qu'elle avait dit ce qu'elle avait sur le cœur.

- Je ne te demande pas grand chose, juste de me faire confiance en retour, est-ce trop te demander ?

Val ne savait que répondre. Elle avait confiance en son amie. Elle lui avait confié des choses qu'elle n'avait même pas dites à son mari. Mais il est vrai que lorsque les choses allaient mal, elle préférait se confier à quelqu'un d'autre, quelqu'un de moins proche, quelqu'un qui la connaissait moins bien que son amie. Elle n'en comprenait pas la raison, peut-être avait-elle peur de la décevoir ou de l'ennuyer avec ses problèmes. Elle n'avait jamais vraiment pris le temps d'y réfléchir. Elle pensait surtout que celle-ci n'en avait rien remarqué.

- J'ai confiance en toi, ma puce. Tu connais tout de moi ou presque.
- Alors pourquoi ? Pourquoi ce silence ?
- Parce que je ne savais pas comment t'aborder, j'avais peur que tu ne te fâches encore plus et puis, je dois admettre que tes cachotteries m'ont blessée. J'ai crains que cela ne mette un terme à notre amitié alors je me suis tue pour ne pas aggraver les choses.
- C'est stupide parce que c'est en ne disant rien que les choses en sont devenues à ce point compliquées.

Le silence retomba entre les deux amies. Val s'assit près de Raf et attendit qu'elle s'endorme, ce qui ne tarda pas. Quand elle sortit, elle retrouva Ilia qui l'attendait dans le couloir. Elle se glissa entre ses bras pour reprendre des forces. Elle avait besoin de réconfort et d'amour. Elle avait peur, peur que sa relation avec Rafaela n'ait atteint un point de non retour même si cette conversation était un premier pas vers la " guérison ".

- Elle t'en fait voir de toutes les couleurs, n'est-ce pas ?
- Tu as entendu ?
- Non, mais je vous connais assez pour savoir que vous adorez vous compliquer la tâche.
- Oh je ne sais plus quoi penser. C'est vraiment trop stupide cette situation.
- Je sais mais je suis sûr que toutes les deux vous allez y mettre un terme d'une manière ou d'une autre.
- C'est bien ce qui me fait peur.
- Ne t'inquiète pas, j'en connais un qui ne laissera pas Raf refaire une bêtise aussi monumentale que celle qu'elle a failli faire, il y a quelques jours. Quant à moi, je ne te laisserai pas gâcher une aussi belle entente pour quelque chose d'aussi stupide.
- Je vois que vous avez déjà tout décidé, monsieur Kerensky !
- Oui, madame ! Fit-il en souriant. Aller viens, je t'emmène manger un morceau.

Ils sortirent de l'hôpital main dans la main, amoureux comme au premier jour. Les aléas de la vie quotidienne n'avaient en rien émoussé leur passion, au contraire, et si tout allait bien Val pensait pouvoir donner à Ilia ce fils qu'il désirait tant en secret.

***

Joy faisait les cent pas dans le bunker sous les yeux d'un Kerensky excédé. Elle se sentait frustrée d'être aussi loin de l'action. Elle aurait voulu être là pour aider et soutenir Simon. Elle savait, même si Largo ne lui disait pas tout, que la situation était grave.

- Joy, je vais finir par t'attacher sur une chaise si tu continues à tourner comme un lion en cage. Tu es en train de me donner le tournis.
- Je suis désolée, fit-elle en s'asseyant et en se levant de nouveau 5 seconde plus tard. Mais toute cette histoire me rend nerveuse.
- Tu es surtout frustrée parce que tu n'as pas pu aller avec eux.
- Tu commences à trop bien me connaître, il va falloir que je prenne des mesures, murmura-t-elle avec une moue pensive.
- Ah et quel genre de mesures ?
- Il va falloir que je consulte mon manuel d'espion de la CIA, pour savoir qu'elle représailles je vais exercer, continua-t-elle sur le même ton.
- Attends, je crois que j'en ai encore un exemplaire qui traîne dans l'un de mes tiroirs.
- Ah ? Fit-elle en levant un sourcil tout en le fixant, et depuis quand un ex membre du KGB a-t-il dans ses bagages ce genre d'ouvrage ?
- Depuis que mon employeur a décidé d'avoir pour garde du corps un ex membre de ce même service d'espionnage. Il faut bien que je m'informe des risques encourus.
- C'est vrai que prudence est mère de sûreté, fit-elle en s'approchant dangereusement du Russe qui éclata de rire. Eh bien voilà ! Je ne te fais même plus peur ! C'est pas drôle ! Il y a quelques mois, tu n'aurais pas osé de te moquer de moi comme cela, constata-t-elle avec une moue boudeuse en s'asseyant près de Georgi.
- C'est vrai, répondit-il en tentant de reprendre son sérieux, il y a quelques mois tu m'aurais arraché la tête pour cela, mais la maternité adoucit les mœurs, et la lionne s'est transformée en un doux chaton.
- Tu as oublié quelque chose.
- Ah oui ? Et quoi ?
- Les chats, ça griffe ! Rugit-elle en faisant mine de lui sauter dessus.

Ils éclatèrent de rire à l'unisson. Joy se sentait mieux, plus légère mais elle aurait quand même préféré aller avec son compagnon. Elle tourna un instant son regard vers le Russe qui avait repris son travail. Comme il avait changé en quelques semaines ! Il avait presque l'air heureux et les démons qui l'assaillaient en temps normal, et qui lui donnaient un air si terrible et froid, semblaient n'être qu'un cauchemar que l'on oublie au réveil. Il souriait, sortait plus souvent de son antre et plaisantait davantage. Il en devenait même plus séduisant et sexy selon les filles de certains bureaux qu'elle avait entendu piailler dans les toilettes du service juridique.

***

Enfin le danger était passé. Quand le médecin avait annoncé la nouvelle, Simon avait pris Valérie dans ses bras et l'avait étreinte avec des larmes dans les yeux. Qui mieux que la meilleure amie de sa fiancée pouvait apprécier cette joie, et cette nouvelle chance que la vie lui offrait de nouveau ? Raf, toujours extrêmement fatiguée malgré un traitement fortifiant, avait laissé couler des larmes de soulagement et de bonheur. Leur enfant allait vivre, à condition, d'après le médecin, de faire très attention. Rafaela se devait d'éviter toute fatigue ce qui voulait dire pas de travail, pas de grosses émotions, du repos, rien que du repos et beaucoup de tendresse avait conclut le médecin d'un sourire taquin. Il avait pris en affection cette bande d'amis qui semblaient si unis et qui, malgré cette situation, critique au départ, était restée soudée jusqu'au bout. Raf était venue s'installer chez Val pendant quelques jours tandis que Simon était en train de tout régler pour leur prochain départ. Elle se sentait heureuse de ne finalement pas être obligée de quitter sa meilleure amie, qui était comme sa sœur siamoise, mais d'un autre coté, elle était inquiète pour sa mère et ceci gâchait la joie qu'elle se faisait d'emménager enfin avec l'homme qu'elle aimait. De son coté, Largo était en train de concocter une petite surprise à son meilleur ami et la femme de sa vie avec l'aide de Joy et Kerensky. Il espérait que cela leur plairait à tous les deux. C'était lui aussi qui se chargeait, à la demande du Suisse, de tout le coté pratique de ce déménagement pendant que celui-ci allait tenter de convaincre sa future belle-mère que sa fille ne serait heureuse que si elle consentait à les accompagner. Il prit donc l'avion pour Strasbourg en priant tous les saints qu'il connaissait, de lui donner le courage et la force, ainsi que les bons mots, pour que celle-ci accepte de quitter son domicile et vienne dans un pays étranger dont elle ne parlait pas la langue.

- Bonjour, fit-il timidement en pénétrant dans l'appartement qui avait vu grandir sa fiancée.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Un problème avec ma fille ?
- Non, non, elle va bien. Elle est sortie de l'hôpital et se repose chez Valérie… j'ai besoin de vous parler.
- Et vous avez fait tout ce chemin pour cela ? Vous savez qu'il existe des choses qui s'appellent téléphone ?
- Oui, répondit Simon qui ne put s'empêcher de sourire. Mais je crois qu'il vaut mieux que nous ayons cette conversation en tête-à-tête.
- Je vous écoute, fit-elle en le guidant vers le salon.
- Je suppose que Raf vous a dit que je l'emmenai vivre avec moi aux Etats-Unis.
- Oui, en effet, elle m'en a parlé.
- Je sais que vous ne voulez pas quitter votre domicile mais je sais aussi que Rafaela est très inquiète pour vous. Elle ne pourra être tranquille que si vous n'êtes pas très loin.
- En somme, vous voulez que je vienne avec vous et que j'abandonne tout ceci ? Demanda-t-elle en montrant l'appartement d'un large geste de la main.
- Temporairement. Au moins jusqu'à la naissance du bébé. Le médecin a dit qu'elle devait se reposer, éviter les grosses émotions et surtout tout énervement. Vous croyez vraiment qu'elle aura l'esprit en paix si elle vous sait seule ici ?
- Non, c'est vrai, admit gravement la mère de Rafaela. Mais même avec la meilleure volonté du monde, je ne pourrais pas. Je n'ai pas vraiment les moyens financiers…
- Ne vous inquiétez pas pour cela, tout est prévu. Largo a déjà fait aménager un appartement tout à coté du nôtre, comme ça vous aurez à la fois votre indépendance et votre intimité, et nous la nôtre. Et après la naissance du bébé, si vous voulez revenir ici, alors je vous ramènerais moi-même. Je vous trouverais même un appartement dans une maison médicalisée et je veillerais à ce que vous ne manquiez de rien Je vous en prie…
- Je vais y réfléchir. Je ne peux rien vous promettre d'autre.
- D'accord, nous sommes chez Valérie pour encore quelques jours.

Simon repartit dépité. Il n'avait pas obtenu ce qu'il voulait. Il soupira, au moins elle a dit qu'elle y réfléchirait, pensa-t-il en attendant le taxi qui devait le ramener à l'aéroport. Il se félicitait de ne rien avoir dit à Raf, cela aurait été cruel de lui donner des faux espoirs. Il commençait à comprendre d'où la jeune femme tenait son côté tête de mule. Le Suisse rentra tête basse de Strasbourg. Il aurait préféré avoir de bonnes nouvelles à annoncer à sa fiancée. Sa fiancée… comme cela sonnait bien à ses oreilles. Il était loin le temps où il draguait tout ce qui portait une jupe et passait à moins de cinquante centimètres de lui. Il se sentait heureux et il lui semblait que plus rien ne pourrait venir obscurcir ce bonheur pour lequel ils s'étaient battus, lui et Raf. Il se faisait du souci pour la jeune femme. Cette grossesse avait bien mal débuté et il craignait qu'elle ne se finisse mal. Quand il revint chez Valérie, il la trouva dans le salon entrain de déguster un cappuccino.

- Bonjour…
- Hey, je vois que tu es rentré, ca va ?
- Cela peut aller mais…
- Mais la mère de Raf ne veut pas bouger de chez elle.
- Oui, c'est cela. Enfin elle a dit qu'elle allait y réfléchir mais je ne pense pas que j'ai réussi à la convaincre et pourtant j'ai tout tenté. Et Rafaela ?
- Elle dort. Elle se sentait nerveuse avec toi aussi loin. Tu la connais, elle ne peut s'empêcher de se faire du mauvais sang, chose qu'elle doit absolument éviter dans son état.
- Je sais. Où sont Cassandra et Ilia ?
- Ilia est au bureau entrain de préparer son prochain départ pour New York. Il a hâte d'y être et de retrouver son frère, même s'ils se parlent par Internet ce n'est pas vraiment la même chose. Et Cassandra est au centre aéré, son père ira la chercher tout à l'heure. Et toi, que comptes-tu faire ?
- Franchement, je ne sais pas. Je ne peux pas rester indéfiniment ici. Je te rappelle que je n'ai plus de travail et que j'ai besoin de gagner ma vie, je ne peux pas vivre à vos crochets, ou à ceux de Largo, alors que j'ai un job qui m'attend à New York. D'un autre coté, j'ai peur que Raf ne supporte pas l'éloignement et ne soit malheureuse là-bas. J'aurais envisagé de faire des allers-retours entre les Etats Unis et la France si elle était restée avec vous, mais votre prochain déménagement la laisserait seule. Et je sais à quel point elle tient à toi… parfois je me demande si elle ne tient pas plus à toi qu'à moi, murmura-t-il.
- Tu dis des bêtises, nous nous aimons, c'est clair, mais comme des sœurs que le destin aurait séparées puis réunies aux hasards de la vie. Elle t'aime à un point que je ne saurais dire. Jamais je ne l'ai vu ainsi. Non qu'il y ait eu grand monde dans sa vie, mais depuis que je la connais, le peu de fois où un homme a tenté de l'approcher, elle a prit ses jambes à son cou et est partie à la vitesse grand V.

Simon lui lança un regard incertain. Sa séparation d'avec Raf l'avait bouleversé plus qu'il n'avait voulu l'admettre. Il savait que même si elle lui avait pardonné son incartade, elle ne lui avait pas rendu toute sa confiance. Il la sentait méfiante par moments, mal assurée. Ils n'avaient pas reparlé de l'incident, ni de ses conséquences. Pourtant il leur faudrait un jour ou l'autre aborder ce sujet, aussi douloureux fut-il, pour pouvoir avancer dans leur relation.

- Va la retrouver, dit Val en souriant. Et profite de tous les instants que la vie t'offre.
- Merci, fit-il en l'embrassant sur la joue.

Il alla rejoindre Rafaela dans la chambre d'ami où elle avait été provisoirement installée. Couchée sur le coté, un bras sous le bord de l'oreiller, la couette était remontée jusqu'au menton de la jeune femme. La tête du chien en peluche, qui ne la quittait jamais, dépassait de celle-ci, jouant son rôle " d'attrape angoisse " comme elle disait. Il ne savait pas si c'était efficace pour tenir éloigné tous les mauvais rêves et les soucis qui agitaient souvent son sommeil mais elle ne pouvait pas dormir sans. Au départ, il avait trouvé stupide l'idée qu'une femme de plus de trente ans dorme encore avec un " doudou ", mais il avait dû se rendre à l'évidence, les deux seules fois où elle était restée dormir chez lui, et n'avait pas eu la peluche avec elle, Rafaela avait pratiquement passé toute la nuit à se tourner et se retourner dans tous les sens sans pouvoir trouver un sommeil réparateur. Nicky, le chien de Val, était couché de tout son long de l'autre coté du lit, comme s'il veillait sur le sommeil de Raf. Il leva la tête et, jugeant sa protégée en de bonnes mains, descendit gracieusement du lit et sortit de la chambre. Simon alla s'asseoir dans le fauteuil près de la fenêtre tout en ne quittant pas des yeux sa dulcinée. Il aurait voulu l'embrasser avec tendresse et s'allonger près d'elle mais la jeune femme avait un sommeil tellement léger que cela aurait suffit à le réveiller. Et il voulait qu'elle se repose, qu'elle dorme d'un sommeil réparateur, chose qui lui avait manqué ces derniers temps, et qui avait failli causer tant de malheur. Il soupira, il ne pouvait pas comprendre pourquoi elle avait délibérément mis sa vie en danger en ne prenant pas soin d'elle et en travaillant plus que de raison. Il pensa au patron de la jeune femme qui n'avait pas été ravi d'apprendre que celle-ci était hors course pour plusieurs mois et que, de plus, il se retrouvait à nouveau sans chef de la sécurité.

- Daniel ? Fit un petite voix timide qui le tira de ses pensées.
- Je suis là mon ange.
- Tu m'as manqué, répondit-elle avec une voix presque enfantine.
- A moi aussi. Hé qu'est-ce qu'il y a ? Tu as l'air tout triste.
- Ce n'est rien juste un mauvais rêve.
- Raconte-moi tout.
- Inutile, tu es là maintenant, tout va bien.
- Raf ? Dis-moi ce qui te préoccupe, je vois bien que tu as l'air soucieux.
- Je… J'ai peur.
- Peur de quoi, ma toute douce ?
- De toi, de moi, de nous… Je me demande si que je vais être à la hauteur, si je vais être une bonne mère et une bonne épouse ? Est-ce que tu crois vraiment que nous avons un avenir ensemble ? Je veux dire… Je ne veux pas que tu restes avec moi à cause du bébé, ni parce que tu te sens coupable ou parce que tu te sens obligé…
- Arrête-toi tout de suite, dit-il avec douceur en la prenant dans ses bras. Je ne reste avec toi que pour une seule raison, parce que je t'aime et tu as intérêt à rentrer cela dans ta petite tête. Je sais que je t'ai blessée, que tu n'as plus autant confiance en moi qu'avant. Je te jure que je ne voulais pas ce qui c'est passé.
- Alors pourquoi ?

Il soupira, le moment de vérité était là. Il fallait qu'il saisisse sa chance. C'était comme un examen de passage, si jamais il le ratait, il ne donnait pas cher de leur couple.

- Mon père est mort quand j'étais très jeune, puis ma mère nous a quittés, me laissant seul avec ma sœur. Il a fallu que j'apprenne très vite à me débrouiller. J'ai abandonné l'école et j'ai fait des petits boulots mais comme cela ne rapportait pas assez, je me suis mis à " prendre " ce dont j'avais besoin pour nous faire vivre. J'étais très doué comme voleur, si, si je t'assure. Dès que ma sœur a pu voler de ses propres ailes, elle a pris son envol. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à voyager de part le monde, ne m'attachant à rien, ni à personne. Jusqu'au jour où j'ai rencontré Largo dans une prison turque. Y avait ce type qui voulait lui voler ses bottes et je ne pouvais franchement pas le laisser faire. Nous sommes devenus des amis à la vie, à la mort, partageant tout. Nous n'avions rien mais nous étions heureux comme ça. Et puis le père de Largo est mort, lui laissant la moitié du globe à diriger. Je peux te dire que ça été une sacrée prise de tête mais finalement il a accepté son héritage. Au départ, je n'avais pas vraiment de place attitrée sinon celle d'être le meilleur ami du patron, ce qui m'a valu quelques quolibets. Je n'avais pas de but, je ne me sentais pas à ma place mais peu à peu j'ai commencé à m'occuper de la sécurité. Qui mieux qu'un voleur peut voir les défaut d'un système ? Nous avons formé une équipe de choc avec Joy, qui était le garde du corps de Largo, et le frère d'Ilia, qui est un véritable génie de l'informatique. Tu sais, diriger une telle entreprise n'est pas facile tous les jours et les ennemis sont nombreux, puissants et dangereux. J'avais enfin trouvé ma place, un but dans ma vie, tu comprends ?

Simon soupira et se passa la main dans les cheveux. Ce n'était pas une chose aisée ce qu'il était en train de faire, se mettre ainsi à nu devant la personne qu'il aimait en courant le risque que ce qu'elle découvre ne lui plaise pas.

- Et l'alcool ?
- C'est venu tout seul. J'avais besoin de quelque chose pour me stimuler et pour faire taire ma conscience. Je n'ai jamais volé de gaieté de cœur. A chaque nouveau vol, à chaque nouveau cambriolage, je sentais une partie de mon âme se détacher de moi et tomber dans les abysses. Quand Largo est apparu dans ma vie, j'ai trouvé un semblant d'équilibre qui m'a donné la force et la volonté d'arrêter.
- Et c'est ce même Largo qui t'a fait replonger….
- Non, c'est moi tout seul qui ait replongé, et plus profond que je ne l'avais jamais été. Il y a eu un " accident " et Joy a été très gravement blessée. Des personnes avaient œuvré dans l'ombre pour éroder la confiance que Largo avait en moi, alors ça n'a pas raté. Il a fini par me virer de sa vie avec pertes et fracas. Je pouvais comprendre sa douleur. Non seulement Joy était dans un état critique mais elle avait perdu l'enfant qu'elle attendait.
- Seigneur, mais c'est horrible.
- Apres ça je suis venu à Paris, où j'ai commencé à sombrer, plus rien n'avait d'importance. J'avais mal… J'avais mal en permanence… Cette douleur mentale est devenue physique et il me fallait quelque chose pour l'atténuer. L'alcool tenait très bien ce rôle mais il y avait de jours où ce n'était pas suffisant. J'avais beau boire et boire encore, je continuais à souffrir alors j'ai repensé à la poudre blanche. J'en avais pris pendant une courte période quand je traînais avec une bande copain. A l'époque, j'avais très vite compris que si je n'arrêtais pas cela me détruirait. Mais je n'avais aucune raison d'arrêter, alors j'ai commencé à en prendre et pendant de courtes périodes la douleur cessait. J'avais programmé ma mort à petit feu. J'ai trouver ce boulot de videur dans un bouge minable, cet appartement et c'est là que j'avais décidé de " vivre " le peu de vie qu'il me restait jusqu'à ce que je trouve le courage d'en finir une fois pour toutes.
- Tu n'as pas essayé de lui parler quand il t'a dit de partir ?
- Non, j'étais tellement abasourdi que j'avais l'impression que mon cœur avait explosé en mille morceaux. Ses mots étaient empreints de tellement de haine. Je sais qu'il ne le pensait pas, que c'était la colère et la rage qui le faisait agir mais, pour moi, c'était comme s'il m'avait tué intérieurement. J'ai pensé que le mieux était de partir, partir loin de lui.
- Partir loin et te détruire, tu parles d'une nouvelle vie.
- Mais Raf, je ne voulais plus vivre. Je me sentais si coupable, si je n'avais pas autant insisté peut-être que cela se serait passé différemment.
- Avec des si on refait le monde….
- Je sais, toujours est-il que c'est au moment où j'allais abandonner que tu es entrée dans ma vie. Tu m'as redonné la force et l'envie de me battre, de redevenir quelqu'un et de pouvoir me regarder dans la glace. Ca n'a pas été simple mais j'y étais arrivé, jusqu'à ce que….
- Jusqu'à ce que ton meilleur ami fasse irruption de nouveau dans ta vie.
- Il voulait que je revienne, il voulait que j'oublie tout et que rentre à New York, comme si le temps passé ici ne comptait pas.
- Mais ?
- Mais j'étais en colère, en colère contre lui, à cause de lui j'ai vécu un véritable calvaire. J'aurais voulu le frapper, lui faire autant de mal qu'il m'en avait fait.
- Tu aurais peut-être dû, ça t'aurait évité de faire une telle connerie.
- Oui, tu n'as pas tort, mais j'ai tout gardé pour moi. Je lui ai demandé de partir, que j'avais une vie à moi ici et que je n'avais pas besoin de lui.
- C'est faux et tu le sais, tu as besoin de lui comme il a besoin de toi. Vous êtes les deux faces d'une même médaille.
- Sur ce point, je ne te contredirais pas, tu parles d'expérience, n'est-ce pas ?
- Oui… Val et moi sommes comme toi et Largo, inséparables, indissociables et toute personne qui essayera de nous séparer risque de perdre très gros.
- Quand Largo est parti, c'était comme si cette douleur, que j'avais réussi à enfouir tout au fond de moi, était remonté à la surface pour exploser en milliards d'étincelle dans mon cœur. J'ai cédé à la tentation de la boisson, je me suis dit que cela calmerait peut-être cette bête qui me dévorait de l'intérieur. Et tu es rentrée, j'ai vu dans tes yeux une rage qui n'a fait qu'attiser la colère qui couvait en moi. Dieu m'est témoin que jamais je n'ai voulu te frapper, quand j'ai vu la peur sur ton visage cela a été comme une décharge électrique. Quand tu as refusé de m'ouvrir, mon monde s'est écroulé. Dans ma tête, il ne me restait plus rien. Je t'avais fait du mal alors que j'avais juré ne jamais t'en faire. J'avais chassé mon meilleur ami comme il l'avait fait avec moi. Il ne restait rien. Je ne voyais plus que cette solution pour arrêter la souffrance.
- Tu peux dire merci à ton ami de ne pas avoir voulu abandonner la bataille. C'est grâce à lui que tu es vivant aujourd'hui.
- D'après ce que Largo m'en a dit, je te dois une fière chandelle à toi aussi. Il paraît que tu ferais un sauveteur des plus honorables et un sergent major hors pair. Je ne connais pas beaucoup de personnes qui auraient osé parler à Kerensky comme tu l'as fait.
- Ne me dis pas qu'il est si terrible que cela ? De toute manière, je crois que cela aurait pu être le président en personne, j'aurais fait de même, la seule chose qui comptait c'était de te retenir…. Elle frissonna en revoyant la scène dans son esprit.
- Disons qu'il a un sacré caractère, et qu'il n'est pas du genre à se laisser faire.
- Ne me dis pas que c'est pire qu'Ilia ?
- Ilia à coté, c'est un ange. Pourtant on peut lui faire confiance, je lui confierai ma vie s'il le faut, à lui, à Joy ou Largo.
- Malgré tout ce qui s'est passé ?
- Oui, malgré tout cela, ils restent les personnes les plus importantes dans ma vie à part toi, ils sont ma famille.
- Eh bien, il était temps que tu t'en rendes compte.
- Oui, nous avons eu le temps de nous parler vraiment pendant notre séparation, de mettre les choses au clair et dissiper les malentendus. Oh tout n'est pas parfait mais je me dis qu'avec un peu de temps et de patience tout rentrera dans l'ordre.
- J'en suis certaine, fit Raf en bâillant. Tout sera comme avant.
- Non, parce que maintenant je vous ai, toi et notre enfant, ça va être encore mieux qu'avant. Mais pour le moment, je crois qu'il est temps pour toi de refaire un petit somme, dit-il en l'embrassant sur le bout du nez.
- Mais je ne fais que cela toute la journée !
- Je sais mon ange mais tu es fatiguée, ne me dis pas le contraire, je le vois dans tes yeux.
- Tu restes avec moi jusqu'à ce que je m'endorme ?
- Et plus longtemps encore, murmura-t-il tout en déposant un doux baiser sur le front.

Il s'allongea à ses cotés, et la prit contre lui. Elle nicha sa tête contre son épaule et poussa un soupir d'aise. Il pouvait sentir la douceur de sa peau, la chaleur de son corps et la caresse de ses cheveux. Elle ne tarda pas à rejoindre le pays des songes et dormi d'un sommeil tranquille et réparateur dans les bras de celui qu'elle aimait.

***

Ilia descendit de l'avion deux jours plus tard. Il avait hâte de retrouver son frère. Celui-ci l'attendait appuyé nonchalamment contre l'un des piliers du hall d'arrivée, le sourire aux lèvres .Ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre, heureux de se retrouver.

- Comment ça va, petit frère ? Demanda Georgi tout en le guidant vers le parking souterrain où il avait garé sa voiture.
- Oh aussi bien que l'on peut l'espérer. Ta nièce est impatiente de revoir cet oncle qui adore jouer au nounours avec elle, ma femme joue les infirmières, Raf rechigne à rester couchée et Simon… Simon il a une patience d'ange. Il lui en faut vu tout ce que les filles lui font subir.
- C'est si terrible que cela ?
- Tu n'as pas idée, elles sont tyranniques, dit-il avec un grand sourire, imagine-le au milieu de trois furies….
- Va falloir envoyer une équipe de secours, continua Georgi sur le même ton enjoué que son frère.
- Tu crois vraiment qu'il faut le sauver ?

Ils se regardèrent un instant avant de secouer la tête.

- Nannnnnnnn, s'écrièrent-ils à l'unisson tout en éclatant de rire.
- La voiture est par-là, fit le Russe en désignant un 4X4 noir flambant neuf.
- Ouahhh, quel engin… Je vois que tu t'embêtes pas grand frère.
- Travailler pour Largo n'est pas une sinécure mais cela a des avantages.
- Je vois cela. Tu fais quoi exactement pour lui ? Demanda Ilia avec curiosité.
- Je m'occupe de tout le système informatique du groupe W, ainsi que de la sécurité de certains sites sensibles et quelques autres bricoles par-ci par-là.
- Du genre top secret ?
- Je ne peux pas te le dire sinon je serai dans l'obligation de te tuer, et ça m'embêterait, je viens tout juste de faire nettoyer la voiture, plaisanta-t-il en étouffant un autre éclat de rire.

Dans l'ombre, une silhouette fixait les deux hommes. Parfait, c'était parfait. Qui aurait imaginé que Kerensky avait un frère jumeau ? Il fit signe aux hommes de se mettre en position. Georgi leva la tête alors qu'il était en train d'ouvrir la portière de la voiture. Tous ses signaux d'alerte s'étaient déclenchés. Il observa les alentours et vit des ombres bouger dans le garage faiblement éclairé. Il mit la main dans son veston et prit l'arme qui ne le quittait jamais.

- Qu'est-ce qu'il y a ? S'enquit Ilia en remarquant le changement de comportement de son frère.
- Nous avons de la compagnie. A mon signal, je veux que tu files aussi vite que tu pourras vers la sortie et que tu préviennes Largo et les flics.
- Il est hors de question que je t'abandonne.
- Pas de discussion ! Maintenant… vas y, hurla Georgi en sortant son arme et en tirant sur l'un des hommes qui s'approchait de son frère.

La riposte fut rapide. Ce n'était pas de simples pistolets qu'avaient leurs adversaires mais des pistolets mitrailleurs qui crachaient leurs balles à une cadence infernale. Kerensky se mit à l'abri derrière une colonne tandis qu'Ilia tentait de se frayer un passage vers la sortie sans se faire remarquer. Soudain il sentit une présence derrière lui mais il n'eut pas le temps de voir de qui il s'agissait, un coup à la tête l'étourdit suffisamment pour permettre à son adversaire de prendre l'avantage sur lui. Ses mains furent amenées brusquement en arrière et il sentit des menottes encercler ses poignets et le réduire à l'impuissance. D'un geste rude, son agresseur le mit debout. Ilia se dit que son assaillant n'aurait sûrement pas à le tuer parce que son mal de tête le ferait à sa place. Il secoua la tête pour tenter de dissiper le brouillard qui dansait devant ses yeux. Il fut emmené près d'un homme qui portait une gabardine noire et chapeau en feutre de la même couleur, le portrait type d'un mafioso tiré d'un film des années cinquante. Il ne manquait que Boggart pour compléter le tableau. Une balafre courait tout le long de sa joue gauche tandis qu'une autre cicatrice lui coupait le sourcil en deux.

- Cessez le feu, cria-t-il en jetant sa cigarette à peine entamée sur le sol de béton.

Un silence retomba telle une chape de plomb étouffante. Ilia regarda autour de lui, deux malabars se tenaient à ses côtés. Il pouvait voir les silhouettes des hommes de mains visant son frère, prêts à faire feu, dès que l'ordre leur serait donné.

- Sors de là Kerensky ! Ou je fais abattre ton frère comme un chien, cria-t-il avec un fort accent russe.

L'un des hommes poussa Ilia en avant jusqu'à ce qu'il fut à découvert. Il le força à s'agenouiller puis appuya le canon de son pistolet mitrailleur contre son crâne. Il ne put s'empêcher de frissonner en sentant le métal froid contre sa tête. Georgi reconnut la voix de son adversaire. Il s'agissait de l'ex général Mikhail Antonov, ex agent du KGB, tueur à la solde du plus offrant et trafiquant d'armes à ses heures perdues.

- Je te croyais mort, camarade ! Répondit Kerensky d'une vois glaciale, décidément les prisons ne sont plus ce qu'elles étaient.
- La nouvelle de ma mort a été quelque peu prématurée, mon cher ami. Lâche ton arme et viens rejoindre ton " cher frère ". Nous avons beaucoup de chose à nous dire et j'aime avoir ce genre de conversation en tête-à-tête.
- Hors de question, relâche mon frère et j'étudierais la question.

Antonov fit un signe à l'un des gardes et celui-ci donna un coup de pied dans l'abdomen d'Ilia qui s'effondra sur le sol, le souffle coupé. Un deuxième coup le frappa dans les côtes et une douleur intense envahit sa cage thoracique. Il ne put s'empêcher de laisser échapper un gémissement tant la douleur était forte. Les coups pleuvaient et Ilia se recroquevilla sur lui-même essayant de leur échapper de son mieux.

- Arrêtez ! Cria Kerensky en lançant son arme au sol et en sortant les mains en l'air.
- Bien, je vois que tu deviens raisonnable. Approche !

Georgi avança jusqu'à Antonov et se retrouva bientôt entouré par deux hommes qui lui attachèrent les mains dans le dos et le fouillèrent consciencieusement. Kerensky lança un regard inquiet à son frère, celui-ci releva la tête un air de défi dans le regard.

- Quoi qu'il arrive ne fait rien de ce qu'il te demandera, lâcha-t-il tout en grimaçant, il nous tuera de toute manière.

Un coup de pied le fit se plier de nouveau en deux sur le sol. Il avait soudainement du mal à respirer. Il comprit immédiatement, une de ses côtes cassées avait dû lui perforer un poumon, dieu que ca faisait mal !

- Police ! On ne bouge plus ! Hurla une voix qui venait de leur droite. Lâchez vos armes et mettez les mains en l'air.
- On se tire ! Hurla Antonov en faisant un signe à ses hommes.

Un van noir aux vitres teintées vint s'arrêter devant eux. Kerensky fut poussé à l'intérieur tandis que deux hommes de main y balancèrent Ilia sans ménagement, tel un sac de pomme de terre. La porte se referma et le van démarra en trombe, sous le feu nourri de la police, projetant les deux frères contre la parois métallique. Le mari de Val laissa échapper un nouveau gémissement de douleur.

- Ca va petit frère ?
- J'ai vu mieux, murmura-t-il le souffle court. C'est qui ces types ?
- De vielles connaissances… Du temps où j'étais encore agent du KGB.
- Autrement dit, nous sommes dans la panade.
- Je suis désolé.
- Ce n'est pas de ta faute. Maintenant il faut trouver un moyen de nous en sortir parce que je n'ai pas l'intention de faire de ma femme une veuve éplorée et de ma fille une orpheline. De plus, si je ne reviens pas, je suis sûr que Raf va me tuer pour avoir fait du mal à sa Soïra.
- Sa quoi ?
- Sa sœur d'âme si tu préfères. Elles sont de vraies tigresses quand il s'agit du bonheur de l'une et de l'autre.
- On va trouver une solution, je te le promets mais pour le moment essaye de conserver tes forces, nous allons en avoir besoin.

Ilia hocha la tête et ferma les yeux. Il pouvait sentir le regard de son frère posé sur lui et, quelque part, cela le réconforta de ne pas être seul. Le van fila dans la nuit vers une destination connue d'Antonov seul. Celui-ci avait hâte d'arriver en lieu sûr pour s'occuper de sa petite affaire. Il allait faire souffrir Kerensky. Oh oui, il allait le faire souffrir jusqu'à ce qu'il supplie qu'on l'achève. Il allait se faire un plaisir d'exécuter son frère sous ses yeux après l'avoir quelque peu malmené, cela devrait être suffisant pour le faire plier et le rendre plus malléable. Il en ferait son jouet pour son plus grand plaisir. Ensuite… Ensuite, quand l'exaltation serait passée, il l'abattrait comme un chien et jetterait son corps en pâture aux poissons du fleuve. Cette seule perpective le faisait sourire. Il imaginait sans peine les hurlements de rage et d'impuissance de son ennemi et cela le mettait en joie. Bientôt, très bientôt, le légendaire Kerensky aurait fini d'exister pour toujours et lui, Antonov, retrouverait sa place dans les hautes sphères du pouvoir et du crime.

***

Largo leva un œil de ses dossiers quand le téléphone sonna. Le garde de la réception lui apprit que la police voulait le voir. Il jeta un regard inquiet à Joy qui s'était endormie sur le canapé du salon. Quelques minutes plus tard on frappait à la porte du penthouse. Il ouvrit et vit deux policiers en civil le détailler du regard.

- M Winch ? Demanda le plus jeune des deux inspecteurs.
- Oui, que puis-je faire pour vous ?
- Je suis l'inspecteur Giambone et voici l'inspecteur O'Brian. Est-ce que le nom de Kerensky vous dit quelque chose ?
- Chéri, que se passe-t-il ? S'enquit Joy qui avait été réveillée par leur conversation.
- Ce n'est rien, juste la police. Venez, entrez. Je vous présente Joy Arden, ma fiancée.
- Mademoiselle, fit le plus vieux des deux policiers en lui serrant la main. Que pouvez-vous nous dire sur ce Kerensky ?
- Il y a un problème avec Georgi ? Demanda Joy inquiète.
- Georgi Kerensky est mon responsable informatique. Il travaille pour moi depuis que je suis à la tête du groupe W.
- Savez-vous s'il a un frère ?
- Oui, Ilia, son frère jumeau pour être plus exact. Celui-ci habite pour le moment la France et devrait être arrivé à l'aéroport depuis plus d'une heure. Pourquoi toutes ses questions ? Il leur est arrivé quelque chose ?
- Un témoin affirme avoir vu des hommes vêtus de noir tirer sur deux autres qui se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Malheureusement quand les patrouilles sont arrivées, ils se sont échappés dans un van que nous avons perdu de vue près du port. Ce même témoin nous a dits que l'un des deux hommes était blessé.
- Mon dieu… Valérie va nous tuer, murmura Joy.
- Valérie ? Répéta le policier
- Oui, la femme d'Ilia. Il va falloir que nous la prévenions.
- Vous n'avez aucune idée de l'identité de la personne qui a pu enlever votre collaborateur et son frère ? M. Kerensky n'a pas de reçu de menaces dernièrement ?
- Pas que je sache mais il est vrai que nous avons été très occupés et que nous n'avons pas eu beaucoup le temps de parler. Mais je pense que s'il y avait eu quelque chose de grave, il nous en aurait informé, n'est-ce pas Joy ?
- Oui, si cela nous mettait en péril.
- Nous aurions besoin de tous les renseignements que vous pourriez nous donner sur votre employé, ainsi que son adresse personnelle. Franck, appelle le procureur, nous allons avoir besoin d'un mandat pour fouiller son appartement.
- Ce ne sera pas la peine, nous en avons la clé. Il nous l'a laissée pour un cas d'urgence. Si je vous y accompagne, je ne pense pas que vous aurez besoin d'un mandat, même si je doute que l'on trouve quoique ce soit. Joy appelle Simon et dis-lui ce qu'il se passe mais qu'il ne mette pas Val au courant tout de suite. J'espère que nous aurons plus de nouvelles à lui donner un peu plus tard.
- Entendu mon chéri, de mon coté je vais faire appel à certains de mes anciens contacts, ils sauront peut-être quelque chose.
- Ses contacts ? Demanda Franck en se dirigeant vers l'ascenseur.
- Il se trouve que Joy était ma garde du corps avant de devenir ma fiancée. C'était aussi un ancien agent de la CIA. Si quelque chose est arrivé à Kerensky et que cela a un rapport avec son passé, elle le trouvera.
- Que voulez-vous dire ? L'interrogea O'Brian.
- Eh bien, Georgi est un ex agent des services secrets russes et, par conséquent, il a de nombreux ennemis.
- Et qui est Simon ?
- Mon meilleur ami, il est en France, et réside provisoirement au domicile d'Ilia Kerensky. Je veux qu'il puisse garder un œil sur les filles jusqu'à ce qu'on en sache plus.
- Les filles ? Fit Franck en haussant un sourcil
- Valérie, la femme d'Ilia, sa fille Cassandra et Rafaela, la fiancée de Simon qui n'est autre que la meilleure amie de Valérie.
- Vous parlez d'une famille, c'est pire que 'Les feux de l'amour', grogna Franck.
- Presque mais cela ne vaut pas encore 'Amour, gloire et beauté', plaisanta Largo en souriant.

Ils se rendirent au domicile de Kerensky et, comme Largo s'y attendait, ils ne trouvèrent rien d'intéressant. L'appartement était meublé de façon spartiate et fonctionnelle, il n'y venait que pour dormir quand ses recherches au bunker le lui permettaient. En fait, songea Largo, c'est le bunker sa maison. Il prit son portable et demanda à Joy d'aller y jeter un coup d'œil. Avec un peu de chance, elle y trouverait quelque chose.

***

Simon était en train de jouer avec Cassandra, sous l'œil bienveillant de Raf et de Valérie qui discutaient tranquillement sur le canapé. Le téléphone sonna et Val tendit la main pour prendre le combiné.

- Allô ?
- Bonjour, c'est Joy Arden, est-ce que je pourrais parler à Simon ?
- Bien sûr, comment allez-vous ? Votre grossesse se passe bien ?
- On ne peut mieux, sauf que le bébé a décidé qu'il ne faisait pas assez d'exercice et il n'arrête pas de gigoter dans tous les sens.
- J'en connais un rayon, Cassandra adorait s'amuser avec ma vessie pendant les deux derniers mois, je me suis demandée si je n'allais pas élire domicile dans les toilettes.
- Ne m'en parlez pas, j'ai même envisagé d'en faire installer dans ma voiture.
- Je vais vous passer Simon, il a enfin réussi à se sortir des griffes de ma fille.
- Salut beauté, fit le Suisse en prenant l'appareil. Tout le monde va bien ?

Joy lui raconta le peu qu'elle savait et lui demanda de redoubler de vigilance et de ne surtout pas prévenir Valérie. Simon protesta pour la forme tout en faisant promettre à Joy que ce serait elle qui expliquerait tout à Val. Il n'avait franchement pas envie de se retrouver en face d'elle au moment de vérité, la gifle que lui avait administré la jeune femme à l'hôpital était encore très claire dans son esprit.

- Tout va bien ? Demanda Raf qui avait remarqué l'air soucieux de son compagnon.
- Oui, oui, quelques soucis sur des dossiers que j'ai préparé avant mon retour, mais rien d'insurmontable. Et toi mon ange, comment tu te sens ?
- Bien mieux depuis que je suis sortie de cette chambre, j'ai cru devenir folle à rester enfermée.
- Je sais ma puce mais c'est pour ton bien, fit-il en la cajolant un peu.
- Tonton Simon ? Tu veux jouer ? Demanda Cassandra une poupée Barbie dans la main.
- Et si tu jouais toute seule, il faut laisser tonton Simon se reposer un peu, dit Val en faisant un clin d'œil au Suisse.
- Mais après il joue ?
- Oui, après. Aller, va habiller ta poupée, continua Val en souriant.
- Tu feras un excellent papa ours, le taquina Raf.
- Et toi, une très belle maman ours, répondit-il en embrassant la jeune femme.
- Pfffffff c'est pas juste, protesta Valérie, on n'a pas idée de s'embrasser comme ca devant moi alors que je suis célibataire depuis plus de 24h.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Serais-tu en manque ma très chère belle-sœur ? Attends, je vais arranger cela ! Fit Simon en faisant mine de lui sauter dessus.
- Eh du calme Casanova, fit Raf en l'attrapant par son tee-shirt. C'est chasse gardée !
- Tu es sûre que…..
- Certaine ! Tu as vraiment envie d'affronter la colère d'Ilia ?
- Désolé, chère belle-sœur, la voix du Maître a parlé.
- T'es pas drôle, tu pourrais me le prêter !
- Pas question, tu attendras bien gentiment que ton doudou rentre à la maison.
- Oui, maman, fit Val en faisant mine de bouder. Bon, ben puisque que j'ai pas le droit de goûter, je vais aller faire le dîner. Les nourritures terrestres m'aideront peut-être à patienter.

Les deux jeunes femmes se mirent à rire tandis que Val se rendait à la cuisine pour mijoter un bon petit plat. Cassandra la suivit pour l'aider. Elle sourit à sa fille avec bienveillance. Elle avait hâte de retrouver son mari, il lui manquait terriblement. Elle soupira en espérant qu'il allait appeler, elle avait très envie d'entendre sa voix grave et sensuelle lui murmurer des mots d'amour qui la ferait fondre, mais elle ne s'inquiétait pas trop, entre le décalage horaire et les retrouvailles avec son frère et ses amis, il devait être fort occupé.


***

Le van s'arrêta enfin. La porte sur le coté s'ouvrit et un garde fit signe à Kerensky de descendre. Celui-ci jeta un œil à son frère qui semblait inconscient. Il sortit du véhicule et regarda autour de lui. Dans l'obscurité de la nuit, il ne reconnut pas exactement l'endroit mais savait qu'ils étaient près de la mer, l'air avait ce parfum iodé caractéristique et il pouvait entendre une corne de brume au large. Il fut poussé sans ménagement à l'intérieur d'un entrepôt qui avait connu des jours meilleurs et enfermé avec Ilia dans une pièce qui avait dû servir de bureau dans le temps. Il n'y avait, en tout et pour tout, qu'un seul matelas crasseux, qui avait vu des jours meilleurs, et une cruche d'eau dans un coin. Ce qui, dans leur cas, ne leur servirait à rien avec les mains attachées dans le dos. Il fit le tour du propriétaire et ne trouva rien qui put les aider à se tirer de ce mauvais pas. Il s'assit en soupirant près d'Ilia qui respirait de plus en plus mal. Jamais il n'aurait du permettre à son frère de se rapprocher de lui. Pourtant il pouvait l'entendre dans sa tête lui disant que tout cela n'était pas de sa faute mais il ne pouvait s'empêcher de le penser. Si jamais ils s'en sortaient, il ferait en sorte que cela ne se reproduise plus. Il donnerait sa démission à Largo et irait loin, là où les personnes qui l'aimaient ne pourraient être blessées.

- Arrête ton char, Ben Hur ! Murmura Ilia en voyant le regard le regard empli de culpabilité que son frère lui portait.
- Pardon ?
- J'ai dit, arrête ton char, ce n'est pas de ta faute !
- Comment…
- Cela se voit comme le nez au milieu de la figure. Tu te dis que c'est de ta faute, qu'une fois tout ceci fini, tu disparaîtras définitivement pour nous protéger.
- Ce serait la meilleure solution.
- Et mon pied aux fesses aussi ! Je viens tout juste de te retrouver et il est hors de question que je te perde de vue. Alors tu vas trouver un moyen de nous faire sortir d'ici et ensuite nous aurons une conversation des plus importantes, termina-t-il essoufflé par sa tirade.
- A vos ordres, chef.

La porte s'ouvrit sur deux hommes habillés en noir. L'un d'eux avait une arme à la main et l'autre prit Kerensky par le bras, le mit debout sans ménagement et l'emmena voir son patron. Il traversèrent l'entrepôt puis, passant dans un couloir sombre, il arrivèrent à une pièce située à l'arrière du bâtiment. La lumière lui fit mal aux yeux quand il fut jeté rudement à genoux devant un bureau en bois massif. Antonov, qui se trouvait là, regarda le Russe tenter de se relever mais il en fut empêché par un de ses sbires.

- Bien, bien, bien, nous revoilà face à face, mon vieil ami, dit Antonov d'une voix calme. Je suis désolé du peu de confort de vos appartements mais je n'ai pas encore eu le temps de tout aménager. Cependant, si tu restes assez longtemps avec nous, tu constateras que je peux être très hospitalier.
- Je n'en doute pas. Mais vois-tu je ne suis pas sûr de vouloir profiter de ton hospitalité.
- Comment cela ? Tu es à peine arrivé que tu veux déjà nous quitter, j'en suis très peiné. Alors peut-être que ton frère acceptera mon invitation de forme… définitive.
- Tu touches encore un cheveu de mon frère et je peux te jurer qu'il ne restera pas assez de toi pour qu'on puisse t'identifier, dit-il en grinçant des dents.
- Voyons, voyons, pourquoi tant de haine ? Nous pourrions presque être amis.
- Il gèlera en enfer avant que cela n'arrive, siffla-t-il.

L'un des gardes le frappa à l'estomac d'un coup pied qui le fit vaciller et lui coupa la respiration. Il grimaça de douleur mais aucun son ne s'échappa de sa bouche.

- Allons messieurs, un peu de calme. Vladimir, détache-le et laisse-nous.

L'homme en question le releva brusquement et lui défit ses menottes. D'un geste, Antonov fit signe au Russe de s'asseoir sur le fauteuil en velours qui faisait face au bureau. Kerensky se frotta les poignets tout en regardant autour de lui. Il n'y avait aucune fenêtre, aucun autre moyen de sortir si ce n'était par la porte qui était très fortement gardée. Il lui faudrait patienter encore avant de pouvoir sortir son frère de là. Mais il devait faire vite parce que si la pression dans son poumon n'était pas bientôt relâchée, celui-ci cesserait de fonctionner et si celui-ci lâchait, il y avait peu de chance qu'Ilia s'en sorte.

- Bien, maintenant que nous sommes confortablement installés, nous allons pouvoir discuter sérieusement.
- Que veux-tu Michail ?
- Mais ta mort pardi ! Tu es la seule tâche sur mon dossier, toi mort, je pourrais retrouver ma place au sein de la pègre au lieu de vivre comme un paria et tout en me contentant de leurs miettes.
- Si c'est moi que tu veux alors pourquoi t'en avoir pris à mon frère aussi ?
- Mais parce qu'avant de te tuer, je vais te faire endurer mille souffrances. Ton frère n'est qu'un accessoire dans cette petite vendetta. Je n'avais même aucune idée de son existence avant de vous voir à l'aéroport. C'est une sorte de… bonus, si je puis dire.
- Relâche-le, il n'a rien à voir dans tout cela.
- C'est justement pour cela que j'ai décidé qu'il serait le premier à mourir. Vois-tu, j'ai tout perdu quand tu m'as fait enfermer. Toute ma fortune m'a été confisquée, mes biens brûlés ou redistribués et ma femme et ma fille sont parties. J'ai appris plus tard que Valeriana s'était remariée et que ma fille appelait son beau-père papa. Tu admettras que c'était inadmissible. C'est ce que j'ai tenté de leur expliquer avant qu'ils aillent tous les trois rejoindre le Créateur. Quant à mon séjour en prison… Tu ne sais pas à quel point, je me suis senti humilié, avili pour ne pas dire violé. Je n'étais plus un être humain mais un simple matricule. Les gardiens et les détenus à privilèges avaient droit de vie ou de mort sur nous si nous ne faisions pas ce qu'ils voulaient. Tu vois donc que j'ai toutes les raisons de t'en vouloir.

Kerensky gardait son visage impassible mais intérieurement il avait peur, peur de ce que ce fou pourrait faire.

- Mais je vais être clément, reprit Antonov, ton frère sera exécuté d'une balle dans la tête au lever du jour. Toi, tu subiras tout ce que j'ai du subir dans ce goulag puant et sale avant de le rejoindre dans des souffrances atroces.
- Charmante perspective.
- Tu va pouvoir passer les dernières heures avec ton frère, tu n'es pas heureux ?. Vladimir ! Ramène-le !

Le gorille entra les menottes à la main. Il allait les passer aux poignets du Russe quand Antonov l'arrêta d'un signe de la main.

- Ce n'est pas la peine. Avec son frère dans cet état, il n'ira nulle part, n'est-ce pas ?

Ils marchèrent en silence, Vladimir enfonçant le canon de son arme dans le dos de Kerensky. Traversant de nouveau l'entrepôt, il fut jeté sans ménagement dans leur prison. Georgi s'agenouilla près de son frère et tâta sa gorge à la recherche d'un pouls. Il le trouva finalement faible et filant. Il fallait qu'il agisse et vite sinon Ilia ne s'en sortirait pas. Antonov avait commis sa première erreur en lui laissant les mains libres. Il se leva rapidement, un plan se dessinant dans sa tête. S'il pouvait attirer les deux gardes à l'intérieur, il aurait une chance de les désarmer et de " négocier " le problème Antonov à la manière de Bruce Willis dans " Le cinquième élément ". Personne n'avait le droit de s'en prendre à sa famille. Il savait que s'il le laissait en vie celui-ci reviendrait à la charge, encore et encore, jusqu'à ce qu'il réussisse à les détruire.

- Hey ! J'ai besoin d'aide ! Vous m'entendez ? J'ai besoin d'un médecin tout de suite ! S'écria-t-il en s'accroupissant près de son frère.
- La ferme, cria le garde à travers la porte.
- Mon frère est en train de mourir, j'ai besoin d'un médecin! Continua-t-il en feignant la panique.
- J'ai dit la ferme !
- A l'aide ! Il est en train de crever, je vous dis !
- Je t'ai dit de la fermer ! S'énerva le garde en entrant dans la pièce avec une air excédé.

Avant qu'il ne puisse réagir Georgi, qui s'était caché derrière la porte, l'attrapa et l'assomma puis s'occupa de son collègue avant qu'il ne puisse donner l'alerte. Le Russe les traîna hors de vue et les délesta de leurs armes automatiques. Il vérifia une dernière fois l'état d'Ilia avant de l'enfermer dans le bureau. Puis il traversa l'entrepôt, se cachant derrière les quelques caisses et piliers qui se trouvaient là. Il semblait qu'une partie des hommes de mains n'avaient été engagés que pour leur capture. Il ne restait à présent qu'une dizaine d'hommes armés, dont la majorité étaient en train de jouer une partie de poker dans une petite cuisine aménagée, pas très loin de leur lieu de détention. Il compta cinq personne autour de la table deux ainsi qu'un spectateur qui semblait hypnotisé par le jeu. Il continua d'avancer toujours dans le plus grand silence jusqu'à arriver aux abords du couloir qu'il lui faudrait traverser pour rejoindre le bureau d'Antonov. Deux gardes fumaient appuyés contre le mur tout en discutant à voix basse. Sans laisser aux deux hommes le temps de réagir, il les assomma d'un coup de crosse pour l'un, et d'un coup de pied pour l'autre. Il prit leurs armes, les déchargea et rangea les munitions dans la poche de son pantalon. Il traversa le couloir avec de longues enjambées et ouvrit la porte d'un coup de pied. Antonov, qui venait de raccrocher d'avec ses commanditaires, avait le sourire aux lèvres. Tout se passait comme il l'avait prévu et demain serait son grand jour. Kerensky ne serait plus de ce monde et il pourrait à nouveau jouir des faveurs du Milieu. Il releva la tête et vit son ennemi juré le mettre en joue. Son sourire s'effaça tandis que la peur le tenaillait au ventre. Dans les yeux de Kerensky, on pouvait lire une haine sans borne qui donnait froid dans le dos.

- Non, murmura Antonov sachant qu'il allait mourir.

Georgi sentit une présence derrière lui et se retourna pour mettre son poing dans la figure d'un des gardes qui avait espéré le surprendre. Antonov profita de ce moment d'inattention pour ouvrir le tiroir de son bureau et y prendre son revolver. Il mit le Russe en joue mais avant qu'il ne puisse tirer, Kerensky l'avait de nouveau pris pour cible.

- Si tu tires, je tire et nous mourrons tous les deux.
- Si c'est ce qu'il faut pour que tu laisse ma famille tranquille…
- Allons, ne me dit pas que tu ne tiens pas à la vie ?
- Bien moins que toi ! Déclara Georgi sur un ton glacial.

Les mains d'Antonov tremblaient de colère, imperceptiblement il ajusta son tir mais il ne put tirer, Kerensky l'avait abattu avant qu'il ait eu une chance de toucher la gâchette. Il tomba à la renverse sur son siège en cuir, le visage crispé en une horrible grimace d'incompréhension et de douleur. Le Russe ne s'attarda pas et alla retrouver son frère. Les hommes de mains le regardèrent traverser l'entrepôt d'un pas rapide avec surprise mais aucun ne tenta de l'arrêter, puis comprenant la situation chacun pris ses jambes à son cou et ils disparurent à toute vitesse. Georgi entra dans la pièce qui leur avait servi de geôle et s'accroupit près de son frère qui avait apparemment reprit connaissance.

- Comment te sens-tu ?
- J'ai l'impression d'avoir un éléphant assis sur ma poitrine, murmura Ilia à bout de souffle.
- Ce n'est rien, on va se sortir de là. Le temps d'appeler les secours et en un clin d'œil tu seras dans le meilleur hôpital de la ville.
- Valérie… Elle doit s'inquiéter…
- Ne t'inquiète pas, on va la prévenir.

Il retourna dans le bureau et forma le numéro du penthouse. Après quelques sonneries, il entendit le bruit caractéristique d'un transfert de poste.

- Allô ? Fit une voix féminine qu'il connaissait bien.
- Joy, c'est moi.
- Au nom du ciel Kerensky, où êtes-vous ?
- Je ne sais pas, quelques part près du port. Tu peux trouver l'origine de mon appel ? Demanda-t-il sachant très bien qu'elle devait être au bunker.
- Tout de suite, ne quitte pas. Tu vas bien ?
- Oui, moi ça va mais Ilia est mal en point. Je crois que tu ferais mieux de prévenir Val.
- C'est si grave que cela ?
- J'en ai peur.
- Ca y est, j'ai l'adresse. J'appelle les secours et on arrive.
- Merci Joy et… faites vite, je ne sais pas combien de temps mon frère pourra tenir.

Il raccrocha et alla retrouver son Ilia qui avait de nouveau sombré dans l'inconscience. Il le souleva avec beaucoup de douceur et se dirigea vers l'entrée du bâtiment. Puis, une fois à l'extérieur, il le déposa à même le sol et le recouvrit de sa veste pour qu'il n'ait pas froid.

***

Au bunker, Joy avait appelé une ambulance puis Largo qui était toujours avec les inspecteurs.

- Joy ? Du nouveau ?
- Il vient d'appeler. Il est dans un vieil entrepôt près du port, tu as de quoi noter l'adresse ?

Instinctivement, l'inspecteur Giambonne lui tendit son calepin et son stylo. Il vit le milliardaire griffonner une adresse rapidement.

- J'ai déjà envoyé les secours là-bas, continua Joy.
- Pourquoi ? Il est blessé ?
- Lui non, mais Ilia semble être mal en point. Je vais appeler Simon, si c'est aussi grave que le pense Georgi, il faut qu'on fasse venir Valérie de toute urgence.
- Encore heureux que Sullivan soit à Paris, on va pouvoir la rapatrier avec le Jet. Je l'appelle de suite pour qu'il fasse préparer l'avion.
- D'accord, je vais prévenir Simon.

Largo raccrocha et informa les policiers des derniers développements de l'affaire. L'inspecteur O'Brian, qui était au volant, mit le gyrophare en marche et fit un demi-tour des plus brusques. Largo jura entre ses dents tandis que l'autre inspecteur se tenait au tableau de bord. Quand ils arrivèrent quelques minutes plus tard, des infirmiers chargeaient Ilia dans l'ambulance et Kerensky répondait aux questions des policiers en uniforme. La voiture à peine arrêtée, Largo sauta à terre et se dirigea presque en courant vers son ami. Celui-ci avait les trait tirés, son visage était sale, ses cheveux emmêlés et sa chemise portait des traces de sang.

- Ca va ? Demanda-t-il en détaillant le Russe du regard.
- J'ai vu mieux, c'est Ilia qui m'inquiète.
- Comment va-t-il ?
- Les infirmiers ne sont pas très rassurants, ils ont parlé d'hémorragie interne et d'infection. Il faut que j'aille avec lui.

Largo jeta un coup d'œil au policier qui acquiesça, ils auraient tout le temps de prendre sa déposition le lendemain. Georgi monta à bord de l'ambulance qui s'élança dans la nuit, toutes sirènes hurlantes, en direction de l'hôpital le plus proche. Les deux infirmiers s'affairaient autour d'Ilia essayant de le stabiliser tandis que, pour la première fois depuis de longues années, le Russe se mettait à prier.

***

Le portable de Simon sonna alors qu'il préparait un déjeuner pantagruélique pour Valérie, Raf et Cassy qui riaient aux éclats dans la chambre. Val avait passé la matinée à faire les boutiques de gadgets en tout genre et les deux amies hurlaient de rire chaque fois que celle-ci montrait un autre de ses achats. Depuis l'appel de Joy, il se sentait inquiet. Il savait que Georgi avait des ennemis. C'était le lot de toute personne ayant travaillée sur le terrain pour des agences gouvernementales mais jamais il n'aurait pensé que cela pourrait, un jour ou l'autre, les mettre en danger. Il espérait de tout cœur qu'ils allaient retrouver les deux frères en vie et en un seul morceau.

- Allô ?
- C'est Joy ?
- Alors du nouveau ? Fit-il en baissant la voix.
- On a retrouvé Kerensky et Ilia…
- Et ?
- Il vaudrait mieux faire venir Valérie au plus vite.
- Ne me dit pas qu'Ilia…
- Non, non, il est en vie mais d'après Georgi ce n'est pas brillant du tout. Sullivan ne devait pas tarder à arriver pour l'emmener à l'aéroport.
- Ok mais tu me revaudras cela, elle va m'étriper sur place.
- Promis. Fais vite Simon.

Le Suisse raccrocha et se dirigea vers la chambre. Raf était allongée sur le lit en train d'admirer la couverture d'un DVD qu'elles allaient se faire un plaisir de " déguster " tout en déjeunant. Valérie rangeait dans la penderie, le nouvel ensemble couleur rouge vif qu'elle s'était acheté pour se consoler du silence d'Ilia.

- Les filles, fit-il gravement en entrant dans la chambre. Il faut que je vous parle.
- Ouhla ça a l'air très sérieux, dit Rafaela en remarquant l'inquiétude dans les yeux de Daniel, quelque chose n'allait pas mais elle n'avait pas réussi à savoir ce qui tourmentait son compagnon.
- Joy vient d'appeler de New York. Il semblerait qu'il y ait eu un problème.
- Un problème ? Quel problème ? Demanda Val en posant le pull qu'elle avait à la main sur le lit. Il est arrivé quelque chose à Ilia ?
- Eh bien, je n'ai pas encore tous les détails mais…
- Mais ? L'encouragea Raf.
- Il semblerait que Ilia et Georgi se soient fait capturer à leur sortie de l'aéroport et qu'Ilia ait été quelque peu… malmené.
- Capturés ? Si c'est une blague, je la trouve pas drôle Simon, fit Valérie d'une voix glaciale.
- J'aimerai bien que ce ne soit rien de plus qu'une blague…
- Attends, ils ont été capturés, mais par qui ? S'enquit Rafaela.
- Je ne sais pas, une des anciennes relations de Kerensky je suppose. Tu sais, il n'a pas été un enfant de cœur avant de venir travailler pour Largo.
- Est-ce qu'il est vivant ? Demanda Val d'une voix blanche.
- Oui mais d'après Joy, ca a l'air assez sérieux.
- Il faut que je trouve un vol pour New York, il faut que je…
- Pas la peine, la coupa-t-il.
- Comment cela pas la peine ! S'écria-t-elle en le fusillant du regard.
- On a de la chance, si je puis dire. John Sullivan, le bras droit de Largo, est arrivé hier soir à Paris dans le Jet de la compagnie. Largo a déjà fait le nécessaire pour que celui-ci soit prêt à décoller au plus vite. Normalement, John est déjà en route pour te conduire à l'aéroport.
- D'accord… mais Cassandra ?
- T'inquiète pas pour elle, on va s'en occuper, assura Raf.
- Pas question ! Tu oublies que tu as interdiction formelle de te lever de ce lit. Je vais appeler mes parents pour qu'ils viennent la chercher.
- Et toi, tu oublies qu'ils sont en vacances en Espagne et qu'ils ne seront pas de retour avant deux jours. Tu vas me faire le plaisir de préparer tes affaires, nous, on s'occupe du reste. Dès que tes parents rentrent, je les appelle ! Je ne crois pas que cela va tuer Daniel de s'occuper d'elle pendant les deux prochains jours.

Valérie ne répondit, elle avait envie de fondre en larmes mais elle ne pouvait pas se le permettre, pas maintenant. Plus tard peut-être, quand son mari serait sortit d'affaire. Elle alla chercher une valise du réduit qui jouxtait la chambre et y entassa quelques affaires. Elle prit son passeport ainsi qu'un peu de liquide dans la boite de secours où ils gardaient toujours un peu d'argent pour les cas d'urgence. Elle avait à peine fini qu'on sonnait à la porte. Simon alla ouvrir tandis que Val expliquait à Cassandra qu'elle allait voir son papa qui était malade et qu'elle devait être bien sage avec tonton Simon et tata Raf jusqu'à ce que mamish ou papou vienne la chercher. Sullivan fut content de retrouver le Suisse, il trouvait le penthouse beaucoup trop calme depuis son départ. Simon présenta sa fiancée, puis Val, à l'homme d'affaire qui aurait mille fois préféré les rencontrer dans des circonstances moins dramatiques. Après avoir rapidement embrassé Raf qui lui murmura à l'oreille des paroles de réconfort, fait un câlin à sa fille et dit au revoir à Simon, qui la prit dans ses bras pour lui transmettre un peu de sa force, elle s'en alla avec John qui tenta par tous les moyens de la rassurer.

***

A New York, Kerensky attendait en compagnie de Largo et Joy qu'Ilia sorte de la salle d'opération. Les médecins aux urgences avaient réussi à le stabiliser suffisamment pour qu'il puisse être emmené en salle d'opération où le chirurgien se battait comme un beau diable pour le maintenir en vie. Il avait du mal à arrêter l'hémorragie. Ils avaient réussi à remettre le poumon en état de marche mais l'une des veines avait été déchirée par la côte fracturée. Il surveillait le rythme cardiaque tout en travaillant rapidement. Soudain les bips s'accélèrent et le cœur flancha. Avec une dextérité toute professionnelle, il entreprit un massage en attendant que l'adrénaline injectée par son assistant fasse effet. Comme le tracé était toujours plat, il fit signe à une infirmière de lui passer les palettes du défibrillateur, il allait tenter de le choquer. Il essaya une première fois sans aucun effet, puis seconde fois en augmentant la puissance. Ce ne fut qu'au troisième choc électrique qu'enfin ils obtinrent un rythme cardiaque presque normal. Le chirurgien poussa un soupir de soulagement et recommença à travailler avant de le refermer et d'aller rejoindre sa famille qui l'attendait sans aucun doute en salle d'attente. C'était la partie de son travail qu'il aimait le moins, surtout dans les cas où le patient était dans un état très instable et risquait de mourir à n'importe quel moment. Il sortit du bloc et se dirigea vers la salle d'attente. Il n'eut aucun mal à reconnaître la famille de son patient.

- Vous êtes de la famille de M Kerensky ? Demanda le médecin pour la forme en scrutant des yeux le visage défait du frère jumeau de son malade.
- Oui, fit Joy. Comment va-t-il ?
- Il est en vie pour le moment. Nous avons réparé les dégâts causés par les coups, mais nous avons dû le mettre sous respirateur afin de permettre à son poumon de guérir. Il y avait bien un début d'infection, nous l'avons mis sous antibiotiques et pour le moment, il semble répondre favorablement au traitement.
- Il a une chance ? Demanda Georgi d'une voix blanche.
- S'il passe les prochaines quarante-huit heures sans complications, il devrait avoir de bonnes chances de se remettre. Nous avons fait tout ce qui pouvait être fait, assura le médecin, maintenant c'est à votre frère de se battre pour revenir parmi nous.
- Merci docteur.
- Une infirmière viendra vous chercher dès qu'il aura été installé dans une chambre en réanimation.

Le médecin retourna vers les blocs, d'autres patients attendaient de lui qu'il leur sauve la vie. Kerensky se laissa tomber sur une chaise et se prit la tête entre les mains pendant un instant. Puis, parvenant à retrouver un semblant de calme, il se dirigea vers la machine à café, il regarda par la fenêtre l'aube qui pointait. Sans l'ombre d'un doute, la journée allait être longue et il aurait besoin d'énergie pour affronter sa belle-sœur qui serait là dans quelques heures.

***

Valérie était furieuse. L'inquiétude qui l'avait submergée lorsque le Suisse lui avait annoncé la nouvelle avait fait place à la colère. Celle-ci n'avait fait qu'augmenter tout au long du voyage pour se rendre au chevet de son mari. Elle regrettait que sa meilleure amie n'ait pu venir avec elle se serait sentie moins seule et plus rassurée. Largo l'attendait à sa descente d'avion, il l'embrassa sur la joue puis sans perdre de temps ils se dirigèrent vers l'hôpital. Le trajet se passa dans un silence pesant. La jeune femme s'inquiétait pour son mari et aucun des mots prononcés par le milliardaire ne l'apaisèrent. Vingt minutes plus tard, les pas de Valérie résonnaient sur le carrelage qui avait connu des jours meilleurs du couloir menant au service de chirurgie. Joy était assise dans la salle d'attente, au coté de Kerensky qui n'avait pas décroché un mot depuis le départ du médecin quelques heures plus tôt. Ils avaient tenté de la convaincre de rentrer au groupe W mais elle avait refusé, arguant qu'un hôpital était le meilleur endroit où elle pouvait se trouver si jamais le bébé décidait de se manifester. Largo, qui trottait près de Val, se cogna dans son dos quand elle s'arrêta brusquement pour lancer un regard noir à Georgi. Le Russe se leva en l'apercevant, son visage n'exprimait aucune émotion particulière ce qui décupla la colère de sa belle-sœur. Elle fut devant lui en quelques pas et, malgré les quelques centimètres en moins qu'elle avait sur lui, lui donna une gifle magistrale qui retentit dans la pièce. Une marque rouge apparut aussitôt sur la joue de Georgi qui ne fit rien pour répliquer. Il méritait cette gifle et bien plus encore. Il n'avait pas su protéger son frère, à l'instar des quelques femmes qui avaient traversé sa vie ces dernières années. Largo avait regardé la scène incrédule. Joy s'était levée à leur arrivée et lui fit un signe discret.

- On ne peut pas les laisser seuls, protesta à mi-voix le milliardaire quand elle lui indiqua la sortie.
- A ta place, je préférerais éviter la gifle, elle a l'air d'avoir de la force.

Ni Valérie, ni Georgi n'avaient fait attention au couple. Ils se dévisageaient gravement. L'un bouillant de colère, l'autre aussi stoïque en apparence qu'à son habitude.

- Comment as-tu pu ! As-tu seulement pensé une seule minute à nous ? S'écria Val en pointant un doigt accusateur sur le torse de son beau-frère.
- Je suis désolé, murmura-t-il d'une voix posée.
- Tu es désolé, reprit-elle avec colère. Tu es désolé et cela doit me suffire ?
- Si j'avais su qu'Ilia risquait d'être capturé en même temps que moi, je ne l'aurais jamais fait venir ici.
- Bon sang, Georgi, j'ignore ce que tu as fait par le passé mais je sais que ce n'est pas très joli et la preuve en est ! Ton frère risque de mourir à cause de toi ! Comment diable pourrions-nous vivre dans cette ville en sachant que n'importe quel malade risque de le prendre pour toi ?

Elle avait raison. Il n'avait rien à répondre à cela. Il ne pouvait quand même pas traquer tous les gens à qui il avait fait du tort pour les liquider froidement ! Son silence n'apaisa pas la jeune femme.

- Réponds-moi, merde ! Explosa Valérie en frappant de ses poings sur le torse du Russe. A cause de toi, mon mari se trouve au soin intensif de ce putain d'hôpital en plein cœur de New York ! Dis-moi ce que je vais dire à Cassy si jamais…

Avant même qu'il n'ait eu le temps de réaliser qu'il ne l'avait jamais entendue parler aussi crûment, elle fondit en larmes dans ses bras. Elle se serait laissée glisser sur le sol s'il ne l'avait pas rattrapée.

- Je ne peux pas… vivre sans lui, déclara-t-elle entre deux sanglots. Je ne peux pas…

Pour la première fois de sa vie, les mots restèrent bloqués dans la gorge de Georgi. Il avait passé des années à se blinder pour éviter toutes émotions mais, cette fois, c'était son frère qui était allongé sur un lit en réanimation. Un frère qu'il venait à peine de retrouver, qui avait une famille et dont la femme lui faisait des reproches à juste titre. Il se contenta de la serrer contre lui, espérant que le médecin leur donnerait de meilleures nouvelles bientôt. Une infirmière entra quelques minutes plus tard pour les prévenir qu'Ilia était enfin installé et que s'ils le voulaient, ils pouvaient aller le voir, mais une seule personne à la fois et pas plus de dix minutes toutes les heures. Valérie, qui avait enfin réussi à se ressaisir un peu, la suivit sans un regard pour Georgi qui était mortifié. S'il avait eu des doutes, maintenant il n'en avait plus. Il devait, pour le bien de sa famille, disparaître à tout prix. Il emprunta le couloir menant aux chambres de réanimation, regarda à travers la glace son frère qui semblait dormir paisiblement. Valérie était assise et lui tenait la main tout en lui parlant doucement. Il mit la main sur le panneau de verre glacé, ferma les yeux un instant comme pour donner un peu de son énergie à son frère puis regarda une dernière fois le couple en silence. Il se tourna et sortit du service, repassa par la salle d'attente déserte, fit une légère halte puis repartit le visage n'exprimant aucun sentiment même si son cœur était en miettes. Il passa devant le bureau des infirmières puis prit l'ascenseur. Chaque pas qui l'éloignait de sa famille lui laissait une marque au fer rouge dans le cœur. Un nœud envahi sa gorge, son estomac se noua mais il n'en tint pas compte. Il savait qu'il avait raison. Il n'y avait aucune autre solution, aucun autre espoir de réconcilier son passé, son présent et son futur. Il avait été un loup solitaire pendant presque toute sa vie, il avait fait l'erreur de laisser ses sentiments prendre le pas sur la logique. Il était temps de remettre les pendules à l'heure et de s'éloigner de ceux qui comptaient pour. Il fit signe à un taxi et s'éloigna dans le soleil couchant.


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