Un doudou à Paris

 

Disclaimer : Les personnages de Largo Winch ne m'appartiennent pas. Je ne tire aucun bénéfice si ce n'est de faire plaisir aux autres fans de la série.
Style : Gen/ romance/nc17/lemon/action
Résumé : Simon tente de refaire sa vie après avoir été renvoyé du groupe W....
Auteur : Un commentaire ? Vous pouvez les adresser à Lady Heather
Note de l'auteur : Cette histoire c'est un peu moi.... Non c'est beaucoup moi.... L'idée de base m'est venue quand j'ai emmenagé dans mon appartement.... L'appartement en dessous du mien etait inoccupé à cette époque et je me suis posé la question suivante : que se passerait-il si mon voisin n'etait autre que Simon ? Ca a donné cette saga qui est loin d'etre finie

***

Le jour se levait sur la banlieue parisienne. Simon composa le numéro du digicode et poussa la porte. Il était épuisé, il avait travaillé toute la nuit. Il traversa la cour intérieure pour rejoindre le bâtiment du fond, puis grimpa l'escalier en bois en essayant de ne pas faire trop de bruit. Il atteignit le premier étage et, après avoir cherché dans ses poches pour trouver ses clés, il entra dans la pièce qui lui servait de " lieu de vie " depuis maintenant un peu plus de six mois. Des canettes vides, des cartons de pizzas, des serviettes en papiers avaient envahi tous les coins du petit studio qui était dans la pénombre. En effet, Simon ne prenait plus la peine d'ouvrir les doubles rideaux depuis longtemps. Il ne voulait plus voir la lueur du jour parce que cela lui rappelait la vie et lui, quelque part, était mort six mois auparavant. Il sourit brièvement en entendant la radio de l'appartement du dessus. Sa voisine devait être en train de se préparer pour une nouvelle journée de travail. Il avait eu l'occasion de la croiser une ou deux fois le soir alors qu'il partait travailler. Elle était venue s'installer dans l'immeuble à peine un mois auparavant. C'était une jeune femme, d'environ une trentaine d'années, qui avait décidé de quitter sa province pour tenter de se faire une vie meilleure dans la région parisienne. Simon laissa tomber sa canette dans la poubelle pleine et se coucha dans le lit défait, tout en sachant qu'il ne trouverait pas le sommeil. Il passa la main sur sa barbe de plusieurs jours et dans ses cheveux mi-longs. Il ne dormait plus depuis l'accident. Non, se corrigea-t-il, depuis que Joy avait faillit mourir par sa faute. NON, il ne fallait pas qu'il y pense mais les images revenaient comme une vengeance et des larmes coulèrent le long de ses joues.

***

Il avait été si heureux d'apprendre que Joy et Largo s'étaient enfin trouvés. Il avait aussi été jaloux en pensant que son ami, une fois casé, s'éloignerait de lui mais il n'en avait rien été, jusqu'à ce soir fatidique où sa vie et celle de l'Intel Unit avait basculée. Il pouvait encore sentir le parfum de Joy dans la voiture. Ils attendaient depuis près de 4 heures, dans un froid polaire, que l'un des sous-fifres de la Commission ne sorte de sa cachette pour aller rejoindre ses compagnons. Ils espéraient ainsi remonter la filière jusqu'aux dirigeants. C'était Simon qui en avait eu l'idée et, malgré l'opposition de Largo qui trouvait l'entreprise trop dangereuse, Joy avait tenu à l'accompagner. Ils avaient suivi l'homme jusqu'à des entrepôts abandonnés dans la vieille zone industrielle de New York. Ils s'étaient rendus compte trop tard que c'était un piège. L'explosion avait tout dévasté et détruit la vie d'une personne qu'il aimait. Cela avait aussi été le début de la fin de son amitié avec Largo. Ce que Simon ignorait, c'était que le milliardaire le soupçonnait d'être l'organisateur du vol à main armé, qui avait coûté la vie à un vigile dans les entrepôts new-yorkais du groupe W. Du matériel de grande valeur avait été dérobé ainsi que des plans concernant un nouvel appareil révolutionnaire de traitement des eaux usagées. De plus, une fouille de tous les bureaux et coffres avaient été ordonnée par Largo, pendant l'un des voyages de Simon à l'étranger, à la suite du décès par overdose d'un des collaborateurs de Cardignac. Ce qui avait été découvert dans le coffre du bureau de son meilleur ami avait achevé de convaincre le milliardaire, que celui qu'il considérait comme un frère, était retombé dans le pire de ses travers : La drogue. Une quantité suffisante pour intoxiquer la moitié du groupe W, et un carnet retraçant les transactions, les contacts et les acheteurs, le tout bien évidement codé, ainsi que de l'argent liquide avaient été confisqué par Largo et Kerensky, deux jours seulement avant l'explosion. Seule Joy, à la grande surprise du milliardaire, avait défendu le Suisse. Elle ne pouvait pas croire que celui-ci ait trahi sa famille. Elle avait vainement essayé de convaincre Largo de lui parler mais celui-ci voulait prendre Simon en flagrant délit. L'explosion avait achevé de convaincre le milliardaire de la culpabilité de son meilleur ami. Quand le Suisse était sorti de la salle d'urgence, où il avait été traité pour diverses brûlures et coupures, Largo l'avait plaqué contre le mur de la salle d'attente. Il avait laissé exploser sa rage. Il venait d'apprendre que Joy était enceinte et que, suite à la déflagration, elle avait perdu l'enfant. Il avait hurlé ses accusations et avait frappé le Suisse, avant de le relâcher. Celui-ci avait glissé le long du mur, le souffle coupé. Kerensky avait regardé la scène avec impassibilité mais dans ses yeux on pouvait presque lire de la haine. Simon avait alors tenté de s'expliquer mais Largo, trop aveuglé par la colère, n'avait rien voulu entendre. Il avait prononcé ces paroles qui résonnaient encore aux oreilles de Simon dès qu'il fermait les yeux. " Va-t-en ! Je ne veux plus te voir ! Oublie qu'un jour nous avons été amis ! Jamais je n'aurais dû faire confiance à un voleur et un drogué ! " Le silence était retombé, laissant Simon abasourdit. Il se leva péniblement, jeta un dernier regard sur son frère de cœur et sortit de sa vie définitivement. Il n'était repassé par le groupe W que pour prendre le sac à dos qu'il gardait toujours prêt et son passeport. Il savait que Kerensky ne le dénoncerait pas à la police mais Largo… Dans l'état dans lequel il se trouvait, il était capable de tout. Il avait pris l'argent qu'il gardait pour les cas d'urgence et avait disparu.

***

En arrivant à destination, il avait changé son nom, laissé pousser ses cheveux et tenté de refaire sa vie. Sa vie…. Il sourit amèrement à cette pensée. Il n'avait plus de vie, celle-ci s'était arrêtée dans la salle d'attente des urgences, à l'hôpital de la Pitié à New York. Il savait que Joy avait survécu mais elle gardait de lourdes séquelles qui seraient longues à être effacées. Il savait aussi que grâce à elle, Largo n'avait rien tenté contre lui. Depuis il avait coupé tout contact, effacé toute trace de son passage. Plus rien ne subsistait à part quelques photos rangées dans un vieil album et des souvenirs.

***

Un soir, en partant travailler, il croisa sa voisine dans la cour intérieure. Elle était chargée de plusieurs paquets qui avaient l'air assez lourds. Simon ne put s'empêcher de l'aider à monter ses courses jusqu'à son appartement. Elle lui sourit.

- Merci…
- Daniel, fit-il timidement.
- Daniel, répéta-t-elle doucement. Voulez-vous entrer boire un café ?
- Non merci, je dois aller travailler. Une autre fois, peut-être ?
- Oui pourquoi pas, fit-elle le cœur battant.

Elle n'avait pas remarqué, jusqu'à ce moment, combien il était attirant avec ses cheveux mi-longs et ses yeux tristes. Elle referma la porte et entendit ses pas s'éloigner dans l'escalier. Discrètement, elle le regarda traverser la cour intérieure et disparaître dans l'entrée. Elle soupira, cela faisait longtemps qu'elle n'avait rien ressentit de tel. Rafaela rangea ses provisions et prit une douche, avant de retrouver sa meilleure amie, par le biais du web, pour une soirée discussion qu'elles appréciaient tant. Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'elle ne le croise de nouveau. Matin et soir, quand elle passait devant sa porte, elle se demandait qui pouvait bien être ce voisin si mystérieux.

***

Un jour, alors qu'elle partait travailler plus tôt que d'habitude, elle se trouva nez à nez avec lui dans la petite entrée qui abritait les boites aux lettres. Il avait l'air perdu. Son visage était tuméfié, du sang coulait de son arcade sourcilière et de sa lèvre fendue. De plus, il se tenait les côtes comme si celles-ci le faisaient souffrir. Elle ne dit rien, prit son bras et le mit sur son épaule afin de l'aider à monter jusqu'à son appartement. Rafaela l'allongea dans le lit défait, avant de monter chez elle chercher sa trousse de secours. Quand elle redescendit, elle constata qu'il s'était endormi. Elle le soigna du mieux qu'elle put et regarda le capharnaüm qu'était la pièce. Elle fouilla dans un placard et trouva des sacs poubelles qu'elle s'empressa de remplir de tous les déchets qui traînaient un peu partout. Raf regarda autour d'elle, l'appartement commençait à ressembler à quelque chose de potable. Dans un autre sac, elle mit les vêtements qui traînaient sur les meubles, pour les laver un peu plus tard. Ensuite, elle posa sur le fauteuil près du lit des vêtements propres, signe pour son bel inconnu qu'il ferait bien de prendre une douche. Elle prit le temps de faire la vaisselle, bien qu'il n'en eut pas beaucoup. Elle secoua la tête. Qu'était-il arrivé à cet homme pour qu'il se laisse aller de la sorte ? Se demanda-t-elle. En remettant le reste des sacs poubelles sous l'évier, elle remarqua une petite boite en fer blanc. Elle avait toujours été curieuse de nature. Que pouvait-il bien y avoir dedans ? Elle hésita un instant mais sa curiosité fut la plus forte… Quand elle l'ouvrit, elle eut un mouvement de recul. A l'intérieur, se trouvait tout le nécessaire pour se faire de " belles piqûres " ainsi qu'un petit sachet remplit de poudre blanche et quelques ampoules emplies d'un liquide translucide. Elle remit la boîte à sa place et sortit de l'appartement sans faire de bruit. Elle monta chez elle, appela son employeur pour dire qu'elle ne se sentait pas bien et qu'elle serait absente toute la journée. Elle mit une machine à laver et se connecta à Internet pour parler à sa meilleure amie.

- Salut, tapa-t-elle sur son clavier, le texte étant immédiatement envoyé à son interlocutrice.
- Tu n'es pas au travail ? Demanda Valérie.
- Eh bien…

Rafaela ne savait pas très bien comment aborder le sujet. Devait-elle parler de la petite boite en fer blanc ? D'autant plus que son amie se montrait un peu méfiante à l'égard de ce voisin qui ressemblait légèrement à un hippie. Elle le trouvait bizarre. Elle décida d'attendre d'avoir pu parler à Daniel avant de faire quoi que se soit. Elle n'aimait pas mentir à son amie mais elle voulait un peu de temps pour réfléchir.

- Me sentais pas trop bien, à mon avis y a quelque chose qui est pas passé. Je suis fatiguée et j'ai même pas encore commencé ma journée.
- Tu es sûre que tu ne devrais pas aller voir un médecin ?
- Non, ça va aller, et puis si ca va pas mieux demain, c'est promis, j'irais.
- Qu'est-ce que tu vas faire de ta journée ? Demanda Val un peu inquiète pour son amie.
- Me reposer un peu, parler avec toi si tu as le temps et essayer de ranger mon appartement qui ressemble à un champ de bataille.

La journée se passa plutôt calmement à dialoguer par Internet. Vers quatre heures, elle entendit un léger coup à sa porte. Elle crut avoir mal entendu mais, quand cela se répéta, elle alla ouvrir et se trouva nez à nez avec son voisin fraîchement douché et rasé.

- Bonjour, fit-il timidement en passant la main dans ses cheveux mouillés.
- Bonjour, vous avez meilleure mine que ce matin…

Il ne savait pas ce qu'il devait faire : rester ou redescendre. Elle lui sourit et lui fit signe d'entrer. Il attendit timidement à la porte. Il semblait aussi gêné que la jeune femme.

- Asseyez-vous, je vous en prie. Une tasse de chocolat ?
- Faut pas vous déranger pour moi, vous savez.
- Cela ne me dérange aucunement, je suis justement en train d'en faire pour moi.
- Alors d'accord, fit-il en s'asseyant sur le petit canapé.

Il examina la pièce et eut l'impression de se retrouver un peu comme à la maison. L'appartement, même s'il était meublé simplement, était accueillant. Raf revint avec deux tasses de chocolat et quelques petits pains au lait pour compléter ce mini-goûter posés sur un plateau. Daniel regarda l'écran de l'ordinateur et sourit, ainsi sa voisine était une internaute…. Fut une époque, il aimait surfer sur le net et rencontrer des gens qui se trouvaient à l'autre bout du monde. Cela lui rappelait ses nombreux voyages de jeunesse. Il vit clignoter une fenêtre sur la barre de tâche.

- Euh… Je crois que votre amie s'impatiente.
- Pardon ? Fit Raf en détachant son regard de son voisin.
- Votre amie sur Internet, je crois qu'elle s'impatiente parce que vous ne répondez pas.
- Ah… Je vais juste la prévenir que j'ai de la visite et je suis toute à vous, répondit-elle en rougissant quant elle se rendit compte de ce qu'elle venait de dire.

Daniel sourit de plus belle. Rafaela se tourna vers l'écran et il la détailla à loisir. Elle n'avait rien à voir avec les femmes qu'il avait pu fréquenter, surtout ces dernières années. Elle mesurait environ un mètre soixante-cinq, avait des yeux bleus, des cheveux mi-longs qu'elle avait attachés en un catogan. Elle portait un pantalon de jogging qui avait vu des jours meilleurs et un t-shirt rose pâle qui soulignait ses formes plus que généreuses. Elle était loin d'être grosse mais elle était bien en chair, ce qui, sans savoir pourquoi, lui plut d'emblée. Peut-être parce qu'elle était à l'opposée des femmes " taille mannequin " que lui et Largo avaient l'habitude de draguer. Elle se tourna de nouveau vers lui en souriant.

- Ca va mieux ? Demanda-t-elle en se penchant pour prendre sa tasse sur la table basse.
- Oui, merci. Je suis désolé de m'être endormi, je n'ai pas pour habitude, en temps normal, de laisser une jeune femme seule.
- Il faut dire que vous n'aviez pas l'air très en forme.

Il la vit hésiter un instant puis elle reprit la parole.

- Que s'est-il passé ? Si je ne suis pas trop indiscrète.
- Disons que j'ai rencontré de mauvais garçons, fit-il avec un sourire gêné.

Le silence régna pendant un petit moment. Raf ne savait pas trop comment continuer la conversation.

- Je vois que vous aimez la lecture, remarqua Daniel en s'approchant de la bibliothèque qui débordait de livre et de cassettes vidéo. Les séries télés, à ce que je vois aussi. Moi, j'ai jamais le temps de la regarder.
- C'est une occupation comme une autre.
- Par contre, j'aime beaucoup lire, parce que tout est possible dans un livre.

La conversation dura jusqu'à la tombée de la nuit. Chacun parlant des livres qu'il avait lu et aimé. Ils se quittèrent à regrets, se promettant de se revoir, ce qui, pensa Raf, n'allait pas être bien difficile puisqu'ils étaient voisins. Daniel rejoignit son appartement et s'appuya contre la porte quand il la referma. Mais que lui était-il passé par la tête ? Il en avait trop dit ! Il s'était senti apaisé, presque heureux, et il n'en avait pas le droit, pas après… Non ! La " douleur " revint plus grande et plus forte que d'habitude. Ce n'était pas une douleur physique, c'était pire encore. C'était comme si son cœur était broyé, que ses poumons menaçaient d'exploser et que ses entrailles étaient en flammes. Daniel savait que tout se passait dans sa tête. Si seulement il réussissait à se pardonner, il aurait pu alors tourner la page et aller de l'avant. Mais il ne pouvait pas, c'était trop tôt encore, il considérait qu'il n'avait pas encore assez payé. Il se laissa glisser au sol, ramena ses genoux sous son menton et attendit. Il attendit mais rien ne se passa, il avait mal à en hurler. Il se releva et alla chercher la boîte sous l'évier. Il savait que la boisson ne l'aiderait pas, pas cette fois en tout cas. Il n'y avait que cette solution pour ne plus rien ressentir. Il s'était promis de ne plus y toucher mais il en avait réellement besoin. Il prépara la seringue et s'injecta le liquide. Petit à petit, il se sentit partir loin de ce monde qui le faisait tant souffrir, loin des souvenirs qui revenaient l'assaillir dès qu'il avait un moment de bonheur ou de tranquillité d'esprit. Il était maudit et il le savait. Il était condamné à n'être plus qu'un mort vivant sans espoir de rédemption. La "douleur" se fit moins forte puis presque inexistante à mesure qu'il se sentait enveloppé dans un cocon.

***

Raf, de son coté, ne savait plus très bien où elle en était. Elle trouvait son voisin charmant et nul doute qu'elle désirait, autant que lui, mieux faire connaissance. Pourtant elle avait peur. Toutes les relations qu'elle avait eues, bien qu'elles ne fussent pas nombreuses, s'étaient terminées en désastre. La jeune femme en avait souffert même si elle avait fait croire à tout le monde que ce n'était pas grave. Elle s'était jurée d'être plus prudente et avait construit autour d'elle des murailles tellement hautes qu'elle-même avait à présent beaucoup de mal à les franchir. Rafaela était maintenant au bord de la crise de panique. Elle commença par ranger l'appartement pour s'occuper l'esprit et ne plus penser à ce voisin qui lui plaisait tant. Mais cela ne suffit pas à la calmer. Le cœur battant, elle refit le tour du petit studio, s'asseyant sur le lit, allant à la fenêtre puis venant s'installer sur le canapé. Que devait-elle faire ? Se demandait-elle sans cesse. Raf prit un livre pour tenter de se libérer l'esprit mais elle ne réussit pas à se concentrer assez pour comprendre ce qu'elle lisait. Elle le posa sur la table basse et alluma la T.V. Elle zappa distraitement mais ne trouva rien qui puisse l'intéresser. Elle regarda l'ordinateur avec envie, elle aurait voulu en parler à Valérie, mais elle ne pouvait pas. Elle se sentait stupide sachant que sa peur était irrationnelle et qu'elle aurait du mal trouver les mots pour l'expliquer. Le téléphone sonna en la faisant sursauter.

- Salut, fit une voix qu'elle connaissait bien. Je venais voir si tu étais toujours vivante.
- Oui, répondit-elle évasivement.
- Ouh là, ça n'a pas l'air d'aller, je te dérange ?
- Non, pas le moins du monde, Daniel est parti depuis un moment.
- Et ?
- Et quoi ? Tenta d'éluder Raf.
- Attend, tu me bassines avec ce gars depuis bientôt deux mois et maintenant que tu as passé du temps avec lui, tu n'as plus rien à me dire ? Je ne suis pas d'accord !
- Ben rien, on a juste discuté de choses et d'autres. C'est tout, rien de très sérieux.
- Raf, je te connais comme si je t'avais faite, alors qu'est-ce que tu me caches ?
- Rien, je te dis, fit-elle avec agacement. On a juste parlé, c'est tout. Rien de plus et je doute qu'il ne se passe quoique soit, voilà.
- Et que voulais-tu qu'il se passe ? Qu'il tombe en extase devant toi et te propose de suite le mariage ?
- Ben oui, pourquoi pas ? Cela aurait changé, s'exclama Rafaela en souriant, elle adorait leurs joutes verbales même si elle avait rarement le dessus. Pour une fois, il y en aurait eu un qui m'aurait trouvé irrésistible…
- Le pauvre !
- Quoi, le pauvre ? Dis tout de suite que je suis un laideron !
- Non, ce n'est pas ce que je voulais dire, je dis seulement qu'il ne sait pas ce qui l'attend si jamais cela se faisait.
- Mais euh ! Voilà, je suis vexée, il va falloir que je me goinfre de friandises pour me consoler, à défaut d'avoir deux bras puissants pour me câliner.
- La bonne excuse !
- Très bonne, tu ne trouves pas ? Demanda Raf en riant de plus belle. Bon, aller, je vais me préparer un bon dîner, toutes ces émotions m'ont donné faim. Te retrouves sur le net tout à l'heure, si tu as le temps.

Elle raccrocha laissant Val dubitative. Raf avait réussi à détourner la conversation et elle ne lui avait rien appris. Elle était quand même inquiète, elle connaissait la jeune femme et elle savait qu'il était rare qu'elle lui fasse cachotteries. Valérie sentait que c'était le cas. Elle ne lui disait pas tout. Elle soupira et alla rejoindra son mari et sa fille pour dîner. Elle devait réfléchir à une stratégie pour faire parler son amie. De son coté, Raf souffla. Elle avait tant bien que mal réussi à ne pas répondre aux questions pressantes de sa meilleure amie. Elle alla prendre une douche pour se détendre. Peut-être que si elle était plus calme, elle trouverait une réponse satisfaisante à ses craintes. Elle dîna puis s'installa devant la TV en attendant l'arrivée de son amie sur la messagerie. Elle en était venue à la conclusion que la meilleure solution serait de ne plus revoir Daniel. Elle ne se sentait pas prête pour une autre relation à long terme et puis il y avait cette boite en fer blanc. Elle n'avait aucune peine à imaginer à quoi pouvait servir le contenu. Elle avait déjà eu un petit ami alcoolique et un autre passant son temps à fumer des joints, alors il valait mieux pour elle qu'elle laisse tomber. Elle se sentit soulagée même si elle ne pouvait s'empêcher de penser au bonheur que se serait d'être entre les bras de son voisin.

***

Il ne se passa rien pendant près d'une semaine. Raf avait déposé le linge propre devant le pas de la porte de Daniel. Elle avait frappé mais il ne n'avait pas ouvert. Pourtant elle savait qu'il était chez lui. Elle l'avait vu revenir de son travail. Elle soupira et s'en alla rejoindre Valérie qui était venue la chercher. Elles avaient prévu de passer la journée à se balader dans la capitale et à commettre quelques folies.

- Alors tu l'as vu ? Demanda celle-ci en démarrant la voiture.
- Non et pourtant il est là, je l'ai vu rentrer quand je me suis levée ce matin.
- Et qu'est-ce que tu as fait de son linge ?
- Je lui ai laissé sur le pas de sa porte dans ma grande bassine jaune.
- Décidément, je ne vous comprends pas tous les deux. Vous jouez au chat et à la souris depuis une semaine. Pourtant tu as l'air de bien l'aimer ?
- Peut-être mais pas toi, n'est-ce pas ?
- Je ne sais pas. Je ne l'ai aperçu que très brièvement mais je ne lui fais pas confiance. Et si tu me disais pourquoi vous jouez à cache-cache ?

Elle vit immédiatement le visage de son amie se refermer et elle se maudit de sa maladresse. Un silence gêné régna pendant un moment puis la conversation repris sur un autre sujet, et Raf sortit de nouveau de sa coquille.

***

Quelques jours plus tard, Rafaela se sentait misérable. Elle était allée voir sa mère dans l'Est de la France et avait pris froid. Elle avait espéré que cela passerait avec un "traitement maison " mais son état s'était aggravé, et elle avait dû se résoudre à appeler un médecin pour qu'il vienne l'ausculter chez elle. Elle traînait une forte fièvre depuis deux jours, elle avait le nez bouché, du mal à respirer et toussait à s'en arracher les poumons. Le médecin la réprimanda parce qu'elle avait tardé à consulter. Il lui prescrivit des antibiotiques et une semaine de repos bien au chaud. Elle s'habilla à grand peine, prit son sac et son manteau. Elle devait aller chercher ses médicaments à la pharmacie, c'était l'un des inconvénients de vivre seule. Elle descendit et se trouva nez à nez avec Daniel qui la dévisagea surpris. Il ne s'attendait pas à la voir à cette heure-là de la matinée.

- Bonjour, la salua-t-il timidement.

Elle répondit à peine. Elle n'était pas vraiment d'humeur à faire la conversation. Elle n'avait qu'une seule envie, c'était de retrouver sa couette au plus vite.

- Vous êtes sûre que ça va ?
- A votre avis ? Répondit-elle sèchement.
- Non.
- Alors pourquoi vous posez la question ?

Il sourit, cela lui rappelait l'amabilité légendaire dont faisait preuve un certain Russe de sa connaissance.

- Je vois. Vous devriez pas être dans votre lit, vous ?
- Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Au fait, merci d'avoir ramené ma bassine. La pauvre a passé la nuit dehors parce qu'elle n'a pas réussi à frapper à la porte, dit-elle d'un ton sarcastique.
- J'en suis désolée, j'espère qu'elle n'a pas pris froid.
- Ben si, d'ailleurs c'est elle qui m'a refilé mon rhume et je dois aller lui chercher ses médicaments, répondit-elle en toussant.
- Donnez-moi ça, dit-il en désignant l'ordonnance qu'elle tenait à la main.
- Non, je suis encore capable de me débrouiller toute seule, grogna-t-elle en essayant de passer tout en bousculant Daniel qui lui barrait le passage.
- Faites pas votre tête de mule, je veux juste vous aider.
- J'ai pas besoin de votre aide, continua-t-elle d'un ton toujours aussi aimable.
- Et moi, je suis le père Noël ! Remontez, je reviens avec votre prescription dans quelques minutes, pendant ce temps mettez-vous sous la couette.
- Mais de quoi vous vous mêlez ? Vous m'ignorez pendant près de quinze jours et maintenant vous voulez jouer au bon samaritain ? Allez vous faire voir chez les Suisses !
- Je peux pas, j'en reviens. Alors cette ordonnance, vous me la donnez ou pas ?
- J'imagine que vous ne me laisserez pas tranquille tant que je vous l'aurai pas donnée ? Dit-elle en soupirant
- Tout juste… alors ? Je peux l'avoir maintenant ?

Elle la lui mit dans les mains puis, sans rien dire, remonta l'escalier et claqua la porte, faisant sursauter Daniel qui ne s'attendait pas à un tel mouvement d'humeur. Après avoir remis son pyjama, Raf se glissa sous sa couette en frissonnant. Même si elle lui en voulait terriblement, elle lui était quand même reconnaissante de lui avoir épargné une sortie par une matinée aussi froide. Une demi-heure plus tard, on toqua à la porte. Rafaela se leva avec peine.

- Et voilà ! Dit Daniel en entrant dans l'appartement. Je vous ai même rapporté des croissants.
- Vous n'auriez pas dû, je ne peux rien avaler, grogna-t-elle. Elle avait du mal à ne pas craquer devant tant de gentillesse.
- Vous avez du lait ?
- Pourquoi faire ? Demanda la jeune femme en retournant se coucher sans lui jeter un regard.
- Pour faire un chocolat chaud, y a rien de tel quand on est malade. En plus, si vous voulez prendre vos médicaments, il vaut mieux que vous ayez quelque chose dans l'estomac.
- Vous avez fini de jouer les mères poules ? Je n'ai pas faim alors merci pour le détour par la pharmacie mais maintenant je voudrais bien dormir un peu.
- Pas avant d'avoir mangé quelque chose, s'entêta-t-il. Alors, il est où ce lait ?
- Où peut-il bien être ? Pas en dessous de mon lit, en tout cas ! Continua-t-elle en se retournant et en fermant les yeux.

Elle voulait à la fois qu'il s'en aille et qu'il reste. Elle ne voulait pas rester seule. Elle avait appelé Valérie après la visite du médecin mais celle-ci ne pourrait venir qu'en fin d'après midi, elle avait une journée chargée à son bureau. Elle avait des rendez-vous qu'elle ne pouvait pas déplacer. Daniel haussa les épaules, il pouvait comprendre la mauvaise humeur de Raf même si cela le désarçonnait quelque peu. Il ouvrit le frigo et y trouva le lait qu'il fit chauffer. Il prépara un plateau avec une tasse de chocolat et un croissant qu'il lui apporta au lit.

- Je vous ai dit que je n'avais pas faim, grommela-t-elle.
- Et moi, je vous dis que je ne partirais pas tant que ce plateau ne sera pas vide.
- Bon… d'accord, je vais vous le boire votre chocolat.
- C'est bien…

Elle le fusilla du regard tout en goûtant la boisson. Ce n'était pas mauvais et, comme pour lui donner raison, son estomac grogna. Elle mangea le croissant, prit les médicaments que Daniel lui avait posé sur le plateau et s'allongea de nouveau. Elle se sentait très fatiguée et ne voulait qu'une seule chose : dormir.

- Je vais vous laisser vous reposer, je repasserais tout à l'heure.
- C'est pas la peine, murmura-t-elle.
- Je sais mais… disons que c'est ma manière de me faire pardonner.

Il s'approcha d'elle. La fièvre et les médicaments aidant, elle s'était endormie. Il lui caressa les cheveux puis sortit sans faire de bruit. Il reviendrait avec un bon bouillon dont il avait gardé la recette. Il rentra dans son appartement et se laissa tomber sur son vieux fauteuil. Il soupira, il ne comprenait pas. Il croyait que les bonnes choses n'étaient pas pour lui et le destin s'évertuait à le mettre face à la personne qu'il voulait éviter à tout prix. Il se sentait bien avec Raf, en sécurité. Elle semblait ne pas le juger. Néanmoins, il avait remarqué un manque de confiance évident qu'elle savait cacher derrière une armure. Il secoua la tête. Comment pouvaient-ils être si semblables et si différents à la fois ? Il se demanda ce qui avait pu amener la jeune femme à préférer une vie de solitude à une vie de famille. Il resta un long moment à réfléchir tout en buvant un verre de bourbon qui traînait sur la table basse. Vers 13h, il monta de nouveau, les bras chargés d'une bonne soupe que sa mère lui faisait quand il était petit. La porte n'était pas fermée à clé, il entra après avoir toqué. La jeune femme dormait encore. Il s'approcha et posa sa main sur son front. Il fut soulagé de constater que sa température avait baissé.

- Daniel ? Murmura-t-elle surprise de le trouver assis au bord de son lit. J'ai dormi longtemps ?
- Trois bonnes heures. Je vous ai apporté du bouillon, je l'ai mis à chauffer.
- C'est gentil mais vous n'auriez pas dû vous déranger, je me serai fait un petit quelque chose tout à l'heure. Et puis vous devez être fatigué, vous avez travaillé toute la nuit.
- Oh ce n'est rien. J'ai pas besoin de beaucoup de sommeil.

Il se leva et alla chercher le bouillon. Il ramena deux bols presque pleins avec un peu de pain frais qu'il avait ramené avec les croissants. Ils mangèrent en silence. Quand ils eurent terminé, Daniel fit la vaisselle tandis que Raf cherchait quelque chose à regarder. Elle opta pour la comédie musicale " Roméo et Juliette ". Sans mot dire, Daniel s'installa près de la jeune femme pour regarder la télé. Surprise au début, elle n'en était pas moins heureuse de n'être pas seule. L'après-midi se passa rapidement et agréablement. La nuit tombait déjà et l'émission touchait à sa fin. Rafaela tourna un regard curieux vers son compagnon et se rendit compte qu'il était ému par cette histoire d'amour impossible. Un homme qui montre ses émotions… C'était plutôt rare. Elle fut prise d'une envie irrésistible de l'embrasser, elle lutta un instant puis, avec beaucoup de légèreté, déposa un baiser sur sa joue. Il tourna vers elle des yeux emplis de surprise. Le temps parut se suspendre quand il l'embrassa avec tendresse et passion. Elle répondit à ce baiser avec fougue jusqu'à ce qu'une quinte de toux les oblige à se séparer. Le silence retomba seulement pour être interrompu par la sonnette de la porte d'entrée. Daniel se leva et alla ouvrir. Valérie avait enfin pu se libérer. Elle fut surprise de voir le voisin de Raf lui ouvrir la porte.

- Bonjour, dit-elle en lui tendant la main.
- Bonjour, murmura-t-il tout en la serrant.

Il avait l'impression de se retrouver sous un microscope, sous le regard inquisiteur de la visiteuse. Il se tourna vers sa voisine, lui fit un sourire puis s'éclipsa en leur souhaitant une bonne soirée. Raf protesta pour la forme. Il répliqua que le travail n'attendait pas mais qu'il repasserait le lendemain pour voir comment elle allait. D'ici là, il était convaincu qu'elle était en de bonnes mains.

- Alors ? Fit Val quand Daniel fut sortit.
- Alors quoi ?
- Comment se fait-il qu'il soit là ? Je croyais qu'il jouait les hommes invisibles.
- Moi aussi mais là, il n'a pas vraiment eu le choix. Je l'ai rencontré dans l'escalier quand j'ai voulu aller à la pharmacie.
- Et ?
- Il m'en a empêché, m'a renvoyé sous la couette et a joué les infirmiers une partie de la journée.
- Attend, on parle bien du même gars qui refusait de t'ouvrir la porte, il y a 15 jours ?
- Tout à fait.
- C'est bizarre.
- Je trouve aussi mais je ne vais pas me plaindre, j'ai mangé un excellent bouillon grâce à lui.
- Ah ! Parce qu'en plus il te fait la cuisine ?
- Oui et il m'apporte même mon repas au lit.
- T'en as de la chance…
- Je trouve aussi.
- Mais, parce que je suppose qu'il y a un mais, je te connais suffisamment pour ne pas qu'il y en ait un.
- Je sais pas, difficile à expliquer.
- C'est-à-dire ?
- Je sais pas, je te dis.
- Sinon tu te sens mieux ? Demanda Val en changeant de sujet.
- Oui, merci, je suis juste fatiguée.
- Tu veux que je te laisse ?
- Tu fais ça, je te botte les fesses, répondit Raf avec véhémence.
- Tu veux manger un morceau ? Dit-elle en entendant l'estomac de son amie grogner.
- Pourquoi pas…
- Pizza ?
- Ca marche.

Elle passèrent le reste de la soirée à parler de choses et d'autres en s'extasiant devant la T.V. sur de beaux gosses. Raf avait une impression de malaise, elle n'aurait pu dire si c'était dû à sa bronchite ou au baiser de son voisin. Valérie remarqua bien que son amie était perturbée mais elle ne voulut pas la presser de questions. Elle parlerait quand ce serait le moment.

***

Daniel était redescendu et, après avoir fermé la porte de son appartement, il sentit un grand vide. Il n'avait qu'une envie : retourner auprès de la jeune femme avec qui il avait passé une excellente après midi. Pourtant il savait qu'une fois qu'elle découvrirait qui il était vraiment, et ce qu'il avait fait, elle ne pourrait plus l'aimer. Il n'était qu'un alcoolique et accessoirement un drogué. Qui voudrait de quelqu'un comme lui ? Il se servit une rasade de whisky avant de se changer pour aller travailler. Travailler, un bien grand mot. Il jouait les videurs dans un espèce de bouge dans un quartier mal fréquenté de la capitale. Les clients étaient des alcooliques et des camés comme lui. Il avait honte, honte de ce qu'il était devenu. Il n'était plus que l'ombre de lui-même. Il sentit la " douleur " revenir au galop et ferma les yeux. Il fallait qu'il se maîtrise, qu'il la maîtrise, la nuit risquait d'être longue et il n'avait plus de " calmant ". Il but encore un verre de whisky et sortit.

***

Il revint le lendemain comme il l'avait promis et Raf en fut heureuse, même si la peur lui tenaillait les entrailles. Elle avait d'une part très envie qu'il la prenne dans ses bras et la câline. Mais, d'un autre coté, elle avait peur de perdre son indépendance. Elle avait appris à aimer la solitude, même si elle admettait que c'était dur parfois, à faire ce qui lui plaisait quand elle le voulait. En fait, elle était seule depuis si longtemps qu'elle avait peur de ne plus savoir s'accommoder de la vie à deux, de faire des concessions. Ils discutèrent et Daniel découvrait peu à peu une jeune femme intéressante, différente de l'image sévère qu'elle donnait d'elle. Il parla peu de lui préférant laisser Raf faire la conversation. Lui aussi avait peur mais pour d'autres raisons. Il avait peur d'être de nouveau heureux. Il avait peur de tomber amoureux pour se rendre compte que ce n'était pas partagé, bien qu'il soit déjà trop tard : il était sous le charme de Rafaela qui ne semblait pas en avoir conscience. Il savait que de toute manière leur relation était perdue d'avance. Ils se quittèrent de nouveau à regrets, se promettant de se revoir le jour suivant. Val, de son coté, était inquiète. Raf ne lui parlait toujours pas et dès qu'elle essayait d'aborder le sujet du fameux voisin, son amie se refermait comme une huître et la laissait dans le flou le plus total. Elle qui n'arrêtait pas de lui parler de Daniel avait, du jour au lendemain, arrêté tout commentaire.

***

Raf se remit de sa bronchite et recommença à travailler une semaine plus tard. Les visites de Daniel se faisaient moins fréquentes mais il tâchait de passer au moins deux à trois fois par semaine sous divers prétextes, un film qu'il avait loué, un livre à emprunter ou parfois même avec pour seule excuse son envie de la voir. Il avait réussi à maîtriser la "douleur" avec la boisson seule, les injections étaient de moins en moins fréquentes pour ne pas dire inexistantes depuis deux mois qu'ils se voyaient. Il en était content car il savait que cela pouvait le tuer à n'importe quel moment mais restait le problème de l'alcool. Il ne pouvait s'en passer, c'était le seul remède qu'il avait trouvé pour faire taire sa peine, ses remords et ses regrets. Il savait pourtant que Raf détestait l'alcool au point de ne jamais en boire et de n'en avoir chez elle que pour faire la cuisine. Tôt ou tard, il se doutait bien qu'elle remarquerait sa dépendance qu'il avait réussit à cacher jusqu'à présent. Il ne savait pas comment elle réagirait ou plutôt il ne le savait que trop bien, elle serait déçue et peut-être même ne voudrait-elle plus de lui. Elle gardait quelques souvenirs désagréables de l'alcoolisme de son père décédé quand elle était enfant. Elle en avait conçu une véritable répulsion à l'encontre de toute boisson alcoolisée.

***

Les fêtes de Noël approchaient à grands pas. On était début décembre et la ville s'était parée de ses plus beaux atours pour accueillir ce temps de fêtes. Raf détestait cette période de l'année et son humeur s'en ressentait. Elle était souvent proche des larmes, sans vraiment savoir pourquoi, ou se mettait en colère pour un rien. Ceux qui ne la connaissaient pas bien étaient surpris par ce changement d'attitude. Cette année, Rafaela savait qu'elle passerait les fêtes seule. Sa mère était trop âgée et en trop mauvaise santé pour faire le déplacement. Elle ne pouvait pas se rendre chez elle parce que, dans la grande distribution, la période de Noël était l'un des moments les plus importants de l'année. De plus, elle venait d'arriver dans la société. Il était donc impensable qu'elle puisse prendre des congés. Elle savait que Daniel travaillait les deux soirs de réveillon. Il l'avait mentionné pendant l'une de leurs conversations quelque temps auparavant, ce qui lui enlevait tout espoir d'avoir de la compagnie. Elle avait bien pensé à en parler à Val mais elle y avait renoncé. Son amie devait dîner en famille avec ses parents et ceux de son mari. Il était hors de question pour elle de s'imposer.

En ce premier samedi de décembre, Raf ressemblait à un lion en cage. Elle ne savait pas pourquoi elle était aussi nerveuse. Peut-être était-ce parce que Daniel l'avait invité au restaurant ? C'était leur première sortie officielle et elle se sentait redevenir une collégienne à son premier rendez-vous. Elle avait perdu l'habitude de ce genre de choses, cela faisait si longtemps… au moins 2 ans et demi. Valérie devait arriver pour l'aider à se préparer. Elle alla à la fenêtre. Une fine pellicule blanche recouvrait la cour intérieure. Il neigeait depuis le petit matin et cela avait l'air de tenir. Si cela continuait, ils auraient un Noël blanc comme le désirait tant Val. Enfin, celle-ci arriva, il était presque 17h30.

- Coucou ma puce, tu étais impatiente de me voir ? Demanda-t-elle d'un air mutin.
- Si tu n'étais pas ma meilleure amie, je te tuerais sur-le-champ. Tu n'en as pas assez de me taquiner ? Je suis déjà assez nerveuse.
- Pourquoi ? Ce n'est qu'un simple dîner ? Vous avez déjà mangé ensemble.
- Oui, mais c'est pas pareil ! On a toujours mangé ici, chez moi. Là, on va dehors.
- Je ne vois pas la différence, je ne pense pas qu'il va se changer en Dracula, ni en loup-garou, quoique…. Il serait mignon avec des poils partout et une gueule pleine de dents bien affûtées.
- Val !

Raf ne put s'empêcher de rire. Elle secoua la tête tout en ouvrant son armoire bien grande, qu'allait-elle bien pouvoir porter pour ce dîner ? Daniel lui avait dit sur le ton de la plaisanterie qu'une tenue correcte était exigée. Non qu'elle se vêtit mal, mais elle aimait les vêtement amples et les fuseaux dans lesquels elle se sentait particulièrement à l'aise. C'était une tenue adéquate pour aller travailler mais pas pour un dîner en tête-à-tête.

- Alors ? Demanda Val, tu as trouvé quelque chose à te mettre ?
- Pffff, toujours pas.
- Bon, va prendre ta douche, je vais m'occuper de ta tenue.
- Oh la, tu me fais peur. Tu ne vas tout de même pas m'habiller en clown ?
- Pourquoi pas ? Tu ferais sensation ! Aller file, l'heure tourne et Daniel sera là dans une heure et demie.
- A vos ordres, chef.

Raf s'enferma dans la salle de bain en maugréant. Pourquoi diable avait-il fallu qu'elle accepte cette invitation ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas dîner d'une pizza en regardant la T.V. comme ils le faisaient presque tous les samedis soirs ?

***

Daniel s'interrogeait pour savoir s'il n'avait pas fait une erreur. Il se demandait ce qui lui avait pris de vouloir l'emmener dîner. Ou plutôt si, il le savait, il avait envie de se montrer au bras d'une femme, sortir de la routine et faire un pas de plus dans leur relation. Il devait pourtant combattre, à chaque minute, la peur qui lui tenaillait les entrailles. Il prit dans l'armoire un complet noir et une chemise bleue claire et compléta le tout d'une cravate d'un bleu plus foncé. C'étaient les vestiges de son ancienne garde-robe, il avait tout laissé à New York quand il était parti. Non, se reprit-il, quand il s'était sauvé. Il était bien loin le temps des costumes et des chemises bariolées qu'il avait adorées porter dans une autre vie. Il prit une douche, se rasa consciencieusement puis s'habilla. Daniel regarda sa montre. Il était juste à l'heure pour aller chercher la jeune femme. Il monta les marches quatre à quatre et sonna. Valérie vint lui ouvrir. Elle l'inspecta d'un regard inquisiteur et lui sourit, visiblement satisfaite de son apparence. Elle le laissa entrer et il s'arrêta net quand il vit Raf. Elle portait un ensemble de laine fuchsia composé d'un pull col roulé et d'une jupe droite longue. Elle avait, pour une fois, lâché ses cheveux et ne portait qu'une petite pince pour les empêcher de lui retomber sur le visage. Un léger maquillage mettait en valeur ses yeux bleus et son teint pâle était éclairé par la couleur de son ensemble. Elle lui dédia un sourire timide, auquel il répondit en rougissant. Son cœur battait la chamade, il avait du mal à trouver les mots. Elle était belle, si belle à ses yeux. Elle prit son sac et son manteau, embrassa Valérie et ils partirent en se tenant par la main comme deux collégiens.

***

Le restaurant était à environ dix minutes de marche. Daniel l'avait découvert presque par hasard. Ils arrivèrent et le patron les installa en fond de salle, près d'un feu de cheminé. Une jolie nappe fleurie dans des tons pastel ornait une table qui n'attendait plus que les convives. Des bougies éclairaient un petit bouquet de violettes qui en égayait le centre. Pendant un moment, il y eut un silence presque gêné, aucun des deux n'osant entamer la conversation. Ils examinèrent, avec beaucoup trop d'attention, le menu pour se donner une contenance. Ils commandèrent, se sourirent timidement et Daniel engagea la conversation. L'atmosphère se détendit et bientôt ils oublièrent leur gêne du début. La soirée se passa agréablement, la nourriture était exquise. Cependant quelque chose gênait Raf. Elle n'arrivait pas à savoir ce que c'était, tout semblait pourtant parfait. Ce fut à la fin du repas qu'elle se rendit compte que Daniel avait bu beaucoup plus qu'il n'y paraissait. Elle s'excusa et alla s'enfermer dans les toilettes. Elle se regarda dans la glace et sentit ses yeux se remplir de larmes. Elle n'arrivait pas à croire que cela puisse encore lui arriver. Pourquoi devait-elle toujours tomber amoureuse de personnes susceptibles de lui faire du mal ? Amoureuse ? Avait-elle dit amoureuse ? Non, cela ne pouvait être et pourtant elle dut admettre que l'homme qui l'attendait patiemment depuis une dizaine de minutes était l'Homme de Sa Vie. Sa tête lui disait de le laisser tomber mais son cœur lui demandait de lui laisser une chance supplémentaire. Elle se trompait peut-être. Elle soupira et alla rejoindre son compagnon. Ils rentrèrent la main dans la main. Malgré ses doutes, Raf se sentait bien avec Daniel. Il la raccompagna jusque devant sa porte. Leurs regards se croisèrent et refusèrent de se quitter. Pris d'une impulsion subite, il la plaqua contre la porte et l'embrassa avec une passion exacerbée. Elle était la meilleure chose qui lui était arrivée depuis qu'il avait quitté New York. Raf répondit à son baiser avec tout autant de fougue. Le cœur battant, elle se demandait s'ils allaient sauter le pas ce soir-là. Quand enfin ils séparèrent à bout de souffle, il la prit dans ses bras et la serra aussi fort qu'il le put. Rafaela se laissa aller sur son épaule, son cœur débordant de tendresse. Il l'embrassa de nouveau, lui souhaita de doux rêves et redescendit se réfugier dans son appartement. La "douleur " revenait s'infiltrer en lui et ternir ce bonheur tout neuf. Il la sentait monter et essaya désespérément de la combattre. Il s'allongea sur le lit défait et ferma les yeux. Il tenta de fixer son esprit sur l'amour que Raf avait pour lui, il l'avait ressentit tant il était réel, il aurait presque pu le toucher. Mais les seules images qui venaient étaient celle de l'explosion de l'entrepôt et des paroles de Largo à son encontre. Celles-ci résonnaient en boucle dans son esprit fatigué. Il se leva, chercha une bouteille de cognac et s'en servit un verre. Peut-être que cela pourrait l'aider. Mais rien n'y fit. Il but une longue gorgée à même la bouteille mais rien ne semblait calmer ce cauchemar qui envahissait chaque fibre de son être. Il se leva, se déshabilla et alla prendre une douche. Il fallait qu'il résiste. Quand il en sortit, une serviette rouge autour de la taille, il regarda autour de lui. Il ne savait plus ce qu'il devait faire. La " douleur " était toujours là, prête à le dévorer tout entier, prête à le faire disparaître de la surface de la terre. Il jeta un coup d'œil anxieux vers le placard en dessous de l'évier. Et si… Non, il ne fallait pas. Pourtant, ce serait si facile. Il s'allongea de nouveau sur son lit et ferma les yeux, il ne voulait plus penser. Il se roula en boule et se plaqua les mains contre les oreilles, en espérant que cela l'empêcherait d'entendre la voix de son meilleur ami lui disant de sortir de sa vie. Daniel était désespéré. Il avait l'impression qu'il était en train de devenir fou. Il n'y avait rien qui pouvait l'aider, hormis une certaine chose qu'il voulait éviter à tout prix. Cette chose, c'était la neige blanche qui oblitérerait tous ces événements dans son esprit et le laisserait, le jour suivant, épuisé et sans forces. Pourquoi fallait-il qu'il souffre ? Pourquoi ne pouvait-il pas recommencer à vivre ? Il aimait Raf, il en était sûr. Elle l'aimait aussi malgré ses hésitations et ses doutes. Elle ne lui en parlait pas, sans doute avait-elle peur qu'il se moque d'elle ou qu'il ne comprenne pas, mais, par moments, il pouvait voir dans ses yeux des questions qui restaient sans réponses, des doutes silencieux qui la minaient. Elle semblait convaincue qu'elle n'était pas faite pour une relation à long terme. Il avait bien tenté de la rassurer sans en avoir l'air mais cela n'avait eu aucun effet. Il se retourna dans le lit en gémissant, la brûlure se faisait plus forte. Pourquoi fallait-il qu'il mette en péril ce qu'il tentait de construire ? Il se doutait bien de la réponse. Tant qu'il ne se pardonnerait pas ce qui était arrivé à Joy, il ne pourrait pas être heureux. Il se leva de nouveau, attrapa un pantalon de jogging et un tee-shirt, il devait sortir de là. Une fois sur le palier, il hésita sur la direction à prendre. Devait-il sortir noyer sa terreur entre les bras d'une inconnue quelconque ou bien… ?

***

Raf était ravie de sa soirée. Elle se déshabilla et se mit en pyjama. Elle n'avait pas très envie de se mettre au lit, malgré l'heure tardive, elle était trop excitée pour cela. Elle alla se chercher un yaourt dans le frigo et s'installa devant la TV. Elle regarda d'un œil interrogateur son ordinateur qui était, pour une fois, éteint. Elle se demanda si Val était en ligne mais d'un autre coté qu'allait-elle lui dire ? Elle soupira. Elle avait encore de la peine à croire que Daniel l'ait embrassée avec une telle fougue. Il l'aimait, elle aurait pu en mettre sa main au feu. Pourtant elle ne savait si elle devait s'en réjouir ou pas, même si ce baiser avait eu sur elle l'effet d'une bombe. Elle s'était sentie fondre entre ses bras. En son fort intérieur, elle savait que, même si c'était la chose la plus raisonnable à faire, elle aurait beaucoup de mal à renoncer à lui. Pourtant il lui fallait bien admettre qu'avoir un petit ami qui touche aux drogues dures, c'était chercher des ennuis et les trouver. Non seulement il y avait la drogue, mais il y avait l'alcool aussi ! Non, ce n'était pas raisonnable néanmoins elle n'était pas prête à le laisser partir. Elle ne put aller plus loin dans ses pensées, un bruit la tira de ses réflexions. Elle tendit l'oreille croyant avoir mal entendu. Il lui semblait qu'on toquait à la porte. Raf alla ouvrir et resta interdite devant l'image qui s'offrait à elle.

- Daniel ? Que se passe-t-il ? Ca ne va pas ?

Il ne répondit pas, il se contenta de l'enlacer et de la serrer très fort dans ses bras. Il voulait sentir la chaleur de son corps l'envelopper pour combattre ce froid qui s'insinuait au plus profond de lui. Surprise, Rafaela le fit entrer. Toujours en silence, ils s'installèrent sur le canapé.

- Daniel ? Qu'y a-t-il ?
- Je….

Une boule dans la gorge l'empêchait de parler. Tout ce qu'il voulait, c'était sentir Raf contre lui. Elle lui donnait la sensation d'être en vie, d'exister encore en tant qu'être humain.

- Daniel ? Je t'en prie, dis-moi ce qu'il y a ?

Il secoua légèrement la tête. Il ne voulait pas en parler, il voulait juste rester là, dans ces bras rassurants et pleins d'amour qui lui réchauffait l'âme. Constatant qu'elle n'obtiendrait rien de plus, Raf se contenta de caresser son épaisse chevelure en lui murmurant des mots rassurants. Il laissa couler des larmes qu'il avait trop longtemps retenues. Il pleura sur Joy, sur lui, sur ce qu'il avait perdu. Il laissait sortir tout ce qu'il avait retenu depuis son arrivée à Paris. Il finit par s'endormir, épuisé, sur l'épaule de la jeune femme, qui le coucha sur le canapé, le couvrit avec une couverture avant de se mettre elle-même au lit. Elle resta longtemps les yeux ouverts dans le noir se rejouant la scène dans sa tête, tout en se demandant ce qui avait pu provoquer une telle crise. Elle finit par sombrer dans le sommeil avec des questions dépourvues de réponses plein la tête. Quand elle se réveilla le matin suivant, Daniel était déjà parti, il avait laissé une note :

Merci…
Je t'aime…
Daniel

Rafaela la relut une bonne centaine de fois, avant de la ranger dans le tiroir de sa table de chevet. Elle avait du mal à croire que c'était vrai. Personne ne lui avait jamais dit ces mots-là. Soudain elle fut prise de panique et si, quand il reprendrait ses esprits, il réalisait qu'il avait fait une erreur ? Elle soupira et ressortit la note pour se prouver qu'elle ne devait avoir aucune crainte.

***

La ville ressemblait à une fourmilière en cette veille de Noël. Chacun était pressé de rentrer pour passer les fêtes avec leurs proches. La neige ne cessait de tomber depuis deux jours. Largo regardait la nuit tomber sur cette métropole qui ne s'arrêtait jamais. Lui aussi allait passer cette soirée avec tous les gens qu'il aimait et qui formaient une famille, avec tous sauf un, le plus important, son frère, son ami. Où pouvait bien être Simon ? Il avait disparu à son arrivée à Londres. D'ailleurs était-il encore en Angleterre ou avait-il simplement fait escale dans le pays ? Cela faisait maintenant presque un an qu'ils avaient perdu toute trace de lui… Un an que Kerensky s'acharnait sur ses chers ordinateurs pour le retrouver… Un an qu'ils restaient désespérément muets. Le Suisse avait effacé toute trace de son passage.

- Chéri ? Fit une voix derrière lui.

Il se retourna pour voir Joy sortir de la chambre. Elle portait un tailleur pantalon vert pâle qui mettait en valeur ses yeux marrons. Elle avait laissé pousser ses cheveux qui lui arrivaient maintenant aux épaules. Elle s'avança doucement dans la pièce s'appuyant sur sa canne, dernier vestige de ses blessures dues à l'explosion. D'après le médecin, il lui faudrait encore six mois d'efforts pour retrouver toute sa motricité. Largo la regarda avec tendresse et amour.

- Tu veux bien m'aider ? Demanda-t-elle en désignant le collier de perle qu'elle tenait dans la main.

Il hocha la tête et vint la rejoindre. Quand il eut fixé le bijou, il s'écarta et la regarda. Elle était splendide. Et dire qu'il avait failli la perdre… Joy avait eu beaucoup de mal à lui pardonner le départ de Simon. Cela les avait séparé un temps puis le destin s'acharnant, ils s'étaient à nouveau retrouvés. Il détourna les yeux avant qu'elle puisse remarquer sa tristesse et regarda le sapin qui éclairait une partie de la pièce de ses petites lumières scintillantes.

- Simon te manque, n'est-ce pas ? Demanda-t-elle en lui posant une main sur l'épaule.

Il ne répondit pas, il se contenta de l'enlacer et de nicher sa tête dans le creux de son épaule. Elle avait raison. Le Suisse lui manquait énormément, jamais il ne se pardonnerait ce coup de folie.

- Largo… Je sais que tu ne veux pas en parler mais tôt ou tard, il faudra bien que tu le fasses. Tu ne peux pas continuer à tout garder pour toi, cela va finir par te détruire à petit feu.
- Je t'en prie, Joy, pas ce soir, murmura-t-il.

Joy soupira. Chaque fois qu'elle abordait le sujet, elle avait l'impression de parler à un mur. Le milliardaire refusait obstinément de discuter de Simon comme si le simple fait de prononcer son nom le blessait.

- Ecoute-moi, je sais qu'il te manque. Il me manque à moi aussi. Qui aurait cru qu'un jour, j'en viendrai à regretter son humour à deux sous et ses chemises bariolées ? Mais arrête de te torturer ainsi.
- Je ne peux pas ! Tu ne comprends pas, Joy ? S'exclama-t-il en la lâchant et en se tournant vers la baie vitrée pour qu'elle ne puisse pas voir son trouble. Je lui ai dit des choses que j'étais loin de penser. J'étais tellement en colère. Comment ai-je pu croire un seul instant qu'il m'avait trahi ?
- L'affaire était trop bien montée, tu ne pouvais que le croire.
- Non ! J'aurais dû le croire, lui. Il était mon ami, mon frère.
- Je sais. Laisse-lui du temps, il reviendra quand il se sentira prêt.
- Non, Joy, il ne reviendra pas. Si tu avais vu son regard… On aurait dit que je venais de lui arracher son âme. Je ne pense pas qu'il puisse un jour me pardonner de lui avoir fait autant de mal.
- Je suis sûre moi que vous vous retrouverez, dit-elle en déposant un léger baiser sur sa joue. Allez, viens maintenant ou nous allons être en retard. Kerensky doit déjà nous attendre et tu sais comme il peut être " patient ".
- Tu peux me dire pourquoi j'ai accepté d'aller à cette soirée ?
- Parce que tu m'aimes et que je ne t'ai pas vraiment laissé le choix.
- Ah oui ! J'oubliais que tu étais une fiancée tyrannique.
- En avant ou tu vas goûter de ma canne, dit-elle en riant, soulagée de voir Largo recouvrer une partie de sa bonne humeur.

***

Daniel terminait de se préparer pour aller travailler en ce 24 décembre. C'était la seule solution qu'il avait trouvée pour ne pas penser. Travailler… Non, plutôt s'abrutir d'alcool toute la soirée pour ne pas revoir dans sa tête ces images qui le hantaient. C'était toujours les mêmes, elles lui collaient à la peau et il ne pouvait s'en débarrasser. Les fêtes avaient eu sur lui un effet étrange. Il se sentait déconnecté. Il avait l'impression que cette année, il n'y avait pas de réveillons et que Noël, et la Saint Sylvestre, étaient des jours tout à fait normaux et non pas des occasions de retrouver les êtres aimés. Les êtres aimés…. Il ne put s'empêcher de penser à Raf. Il était presque 19h, et elle n'était pas encore rentrée de son travail. Elle lui avait dit qu'elle passerait son réveillon chez sa meilleure amie ce qui l'avait soulagé. Il se sentait un peu coupable de ne pouvoir rester avec elle. Mais surtout, il ne voulait pas qu'elle voit à quel point il avait honte de lui, quelle épave il était en train de devenir. Il restait convaincu que personne ne pouvait le sauver. Il avait essayé de rompre avec elle plus d'une fois, pour l'épargner et lui faire le moins de mal possible. Pourtant, dès qu'il se trouvait devant elle, il ne pouvait se résoudre à le faire tant son sentiment pour elle était fort. Il était réciproque, il le savait mais était-il assez fort pour supporter sa déchéance ? Il buvait beaucoup trop et il en avait conscience mais il n'avait pas encore trouvé suffisamment de forces pour lutter contre cette dépendance. Il savait très bien que ce n'était pas pour Raf qu'il devait le faire, mais pour lui. C'était en lui qu'il devait trouver les raisons de remonter à la surface mais pour le moment, il trouvait qu'il ne méritait pas encore un tel cadeau. Il lança un dernier regard à la glace, ferma la porte de la salle de bain, prit ses clés et claqua la porte. Il était temps de laisser tomber le masque.

Quand Raf rentra, il était presque 20h, elle avait travaillé toute la journée à remplir les rayons du magasin. Toute l'équipe administrative avait été réquisitionnée pour donner un coup de main. Elle se sentait vidée et épuisée. Elle traversa la cour intérieure et lança un regard vers les fenêtres de Daniel. Tout était plongé dans l'obscurité. Tout semblait endormi. Cela voulait dire qu'il était déjà parti et ne découvrirait pas son petit mensonge. Rafaela savait que Daniel se sentait coupable de ne pas passer la soirée avec elle, aussi lui avait-elle dit qu'elle dînait chez Val. A Valérie, qui s'inquiétait de la savoir seule en ce soir de réveillon, elle avait raconté qu'elle dînait avec Daniel pour la rassurer. Elle s'en voulait de lui mentir mais elle n'était pas d'humeur très sociable et ne voulait gâcher la fête de personne. Elle monta avec lenteur les marches. Elle n'avait qu'une seule envie, enlever ses chaussures, se glisser sous la douche et se mettre au lit pour regarder la TV en grignotant des friandises. Pourtant elle était si fatiguée qu'une fois au lit, elle s'endormit tout en regardant un film romantique, une histoire d'amour impossible qui finissait bien. Elle se réveilla le lendemain à l'aube. Elle éteignit la TV, se recoucha et s'endormit de nouveau. Ce ne fut que quand le téléphone sonna vers midi qu'elle se réveilla. C'était Valérie qui voulait savoir si elle voulait venir dîner le soir même avec Ilia, son mari, Cassandra, sa fille, et elle. Elle fut tentée de refuser pour les laisser en amoureux mais, connaissant sa meilleure amie, elle était sûre que cela lui mettrait la puce à l'oreille. Elle accepta tout en se disant qu'elle n'avait nulle envie de bouger de dessous sa couette. L'après-midi passa vite et à 18h30 Ilia vint la chercher. En passant devant la porte de Daniel, elle se demanda où il avait bien pu passer. Elle ne l'avait pas entendu rentrer ce matin. Peut-être que… Des images lui vinrent en tête et elle ferma les yeux. Elle le voyait dans une ruelle, ensanglanté, mort peut-être.

- Ca va ? Demanda Ilia s'inquiétant de sa pâleur.

Il trouvait que la jeune femme travaillait beaucoup trop. Il en avait déjà touché un mot à sa femme qui était d'accord avec lui. Ils avaient décidé d'un commun accord de veiller sur la santé de Rafaela puisque celle-ci ne le faisait pas.

- Oui, oui juste un peu de fatigue, c'est de la folie au magasin en ce moment, répondit-elle en baissant les yeux pour ne pas qu'il remarque son trouble.
- Je m'en doute, mais essaye quand même de te reposer. Depuis deux mois, on t'a à peine vue à la maison.
- Cela ne doit pas être fait pour te déplaire, tu as Val pour toi tout seul, dit-elle avec sarcasme.

Elle regretta aussitôt ses paroles. Elle monta dans la voiture en baissant la tête. Ilia la regarda avec surprise. Jamais il n'aurait imaginé que Raf puisse penser cela. Bien sûr, au début, il avait été jaloux. Il ne comprenait pas ce besoin qu'avaient les deux amies de communiquer à tout moment, de se parler presque continuellement et de passer de nombreuses heures ensemble, parfois à ne rien faire, sinon à partager un film. Il s'était senti menacé quelque part de voir sa femme passer plus de temps avec Raf qu'avec lui. Par la suite, il ne put que convenir que cette relation était bénéfique pour toutes les deux, l'une aidant l'autre à surmonter les petits ennuis de la vie quotidienne. Il s'était habitué à la présence de Raf dans leur vie et avait développé pour elle une grande tendresse. En un mot, elle faisait partie de la famille. Ils avaient eu du mal à le lui faire comprendre et il pensait que cette histoire était réglée depuis longtemps. Alors à quoi était due cette remarque acerbe ?

- Raf ?
- Désolée, ne fais pas attention à ce que je dis, la fatigue me fait dire des bêtises.
- Mauvaise excuse, tu peux trouver mieux que cela. La vérité, par exemple ?

Raf ne répondit pas tout de suite. Elle se maudissait d'avoir laisser échapper cette remarque. Il était vrai que depuis qu'elle avait entendu un début de dispute, entre son amie et son mari, pendant laquelle il lui reprochait le temps passé avec elle, Raf faisait très attention à ne plus envahir leur intimité autrement que par ordinateur interposé. Elle limitait ses visites au domicile de sa meilleure amie le plus possible, préférant que ce soit Val qui se déplace.

- Laisse tomber ok ?
- Hors de question ! Dit Ilia d'un ton ferme. Alors d'où te viens cette idée absurde ?
- Pas si absurde que cela. En fait, je ne fais que réaliser un de tes souhaits, passer plus de temps avec ta femme sans avoir de témoin.
- Pardon ?
- Si je me souviens bien, il y a à peu près deux mois, tu as reproché à Val tout le temps qu'elle passait avec moi mais surtout, tu me trouvais… comment as-tu dit ? Ah oui, envahissante…. J'ai fait en sorte de ne plus l'être, termina-t-elle avec une colère à peine contenue.

Ces paroles l'avaient blessée mais elle n'en avait soufflé mot à personne. En fait, elle n'aurait même pas dû les entendre. Apres une après-midi à discuter sur le nouveau travail de Raf, elle était partie à l'arrivée d'Ilia qui, étant d'une humeur massacrante, lui avait à peine dit bonjour. Arrivée en bas, elle s'était rendue compte qu'il pleuvait à verse et qu'elle avait laissé son parapluie dans le couloir. Apres une brève hésitation, elle s'était décidée à aller le récupérer. Quand elle était arrivée sur le palier, elle avait entendu des éclats de voix. Val et Ilia étaient en train de se disputer. Elle avait renoncé à sonner. Avec discrétion, elle avait ouvert la porte avec son trousseau de clés et prit son parapluie au moment même où Ilia reprochait à sa femme son lien avec elle. Les larmes aux yeux, elle était sortie de l'appartement. C'est à partir de ce moment là, qu'elle avait décidé de ne plus aller chez Val sauf si elle n'avait pas d'autre choix.

- Je ne t'ai jamais dit cela, affirma Ilia.
- Oh pas à moi, non mais à Val…

Le visage d'Ilia se figea. La dispute avec sa femme lui revenait en mémoire. Il était en colère et il ne savait même plus pourquoi. La seule chose qu'il se rappelait, c'était que la présence de Raf à son arrivée n'avait fait que l'exacerber.

- Val t'en a parlé ?
- Non, elle ne m'a rien dit. Je vous ai entendu vous disputer quand je suis remontée chercher le parapluie que j'avais oublié. Cela a été très instructif de savoir enfin ce que tu pensais vraiment de moi.
- Attend, je…
- Tu n'as pas besoin de te justifier et d'ailleurs, si ma présence te dérange ce soir, je peux tout aussi bien rester chez moi. Tu n'auras qu'à inventer une excuse.
- Rafaela, veux-tu bien m'écouter ? Je suis désolé de t'avoir blessée, je ne voulais pas, expliqua-t-il d'un air contrit. J'étais furieux, d'ailleurs je ne me souviens même plus pourquoi. Ca n'avait rien à avoir avec toi ou Valérie. Il fallait que j'évacue la pression, et votre relation était une proie facile. La colère fait dire des choses que l'on ne pense pas. Excuse-moi, je ne voulais vraiment pas te faire de la peine.
- Il n'y a pas de fumée sans feu, murmura la jeune femme qui s'obstinait à fuir son regard.
- J'admets qu'au début votre amitié m'a dérangé. Valérie et toi vous partagiez tellement de choses, je me suis senti exclu. Mais j'ai appris à te connaître, et j'en suis venu à te considérer comme un membre de la famille à part entière.

Raf ne répondit pas, trop de sentiments se bousculaient en elle. Elle avait du mal à croire ce que venait de lui dire le mari de Valérie. Elle était sûre qu'il ne le pensait pas vraiment.

- Regarde-moi Raf, je suis sincère quand je te dis que je regrette mes propos.

Rafaela était toujours silencieuse. Une boule lui nouait la gorge. Il y avait eu trop de choses ces derniers temps, elle savait que si elle répondait, elle se mettrait à pleurer, et elle ne voulait pas pleurer devant Ilia. Elle soupira, visiblement il attendait qu'elle dise quelque chose mais elle avait du mal à trouver ses mots.

- Raf ?
- Ca va, n'en parlons plus, répondit-elle d'une voix qui disait tout le contraire. On pourrait y aller ? J'ai faim et j'ai encore rien mangé, continua-t-elle avec un entrain feint.

Il tendit la main vers le contact mais la baissa aussitôt, il y avait plus. Quelque chose tourneboulait la jeune femme assise à coté de lui.

- Raf ?
- Quoi encore ? Rugit-elle sur la défensive.
- Tu es vraiment sûre que c'est tout ce qui te contrarie ?
- Que vas-tu encore chercher ? Tout va très bien dans le meilleur des mondes ! Dit-elle avec un brin d'exaspération.
- C'est cela et la marmotte met toujours le chocolat dans le papier aluminium, soupira-t-il. Je commence à bien te connaître et je peux dire que c'est très loin d'être la pleine forme. C'est ton fameux voisin qui te fait des misères ?
- Et moi, je te dis qu'à part la fatigue, il n'y a rien. J'ai trop travaillé, et me suis peu reposée et si tu continue ainsi je rentre chez moi. Je déteste qu'on mette le nez dans mes affaires !
- Excuse-moi de m'occuper de toi.
- Mais je ne t'ai rien demandé ! Cracha Raf en descendant de voiture et en claquant brutalement la portière. Cette fois-ci la coupe était pleine.
- Et merde, fit Ilia en descendant à son tour pour la rattraper.

S'il ne revenait pas avec elle, Val allait le tuer. Il traversa la rue à la suite de la jeune femme qui était en train de composer le code pour rentrer chez elle. Elle poussa la porte mais Ilia la retint par le bras.

- Lâche-moi, fit Raf en essayant de se dégager de l'emprise du mari de Valérie.
- Pas avant que tu ne me dises ce qui ne va pas. Je ne suis pas ton ennemi ! Cria Ilia tout en la prenant dans ses bras.

Rafaela se débattit un instant mais il ne la relâcha pas. Au contraire, il la retenait de toutes ses forces et lui murmurait des mots qui n'avaient pas beaucoup de sens. Elle sentit la fatigue l'envahir et se laissa aller, des larmes coulant sur son visage. Cela faisait des semaines qu'elle tenait bon pour ne pas se laisser déborder. Raf frissonna, la nuit était venue depuis longtemps et le froid devenait mordant.

- Tu ne veux vraiment pas me dire ce qu'il y a ? Demanda le mari de Val en prenant le menton de la jeune femme pour la regarder dans les yeux. A tout garder pour toi, cela va finir par te miner. Raf secoua la tête. Non ? Tu ne veux pas en parler à tonton Ilia ? Fit-il avec un air mutin.

Elle ne put s'empêcher de rire à travers ses larmes. Elle commençait à comprendre pourquoi son amie en était complètement folle malgré leurs cinq années de mariage. Ilia soupira, il avait au moins réussi à la faire sourire.

- Tu ne veux vraiment pas m'en parler ?
- Je crains que ce ne soit pas le moment, et puis Val nous attend. Elle doit se faire un sang d'encre. Tu ne crois pas ?
- Si, mais ceci est plus important. Tu ne veux pas m'en parler, libre à toi mais parles en au moins à Val. Tu as confiance en elle, non ?
- Là n'est pas la question. Il y a seulement que se sont des choses très personnelles. J'ai peur qu'elle ne comprenne pas, toi non plus d'ailleurs.
- Laisse-nous une chance, on pourrait te surprendre…
- D'accord, je vais y réfléchir.
- Comme tu voudras, mais promets-moi une chose.
- Quoi ?
- Que tu vas recommencer à venir à la maison… Finalement, c'est beaucoup trop calme depuis que tu ne viens plus nous envahir, fit-il avec une grimace comique tout en se dirigeant vers la voiture.

Raf soupira et secoua la tête. Ce mec était complètement dingue mais elle commençait à l'apprécier. Ce qu'il venait de faire et de dire l'avait beaucoup touchée. Caché sous un porche de l'autre coté de la rue, Daniel regardait Rafaela et Ilia. Il avait passé la nuit à boire et avait fini dans l'arrière salle où le patron avait installé un lit de camp pour ce genre de situation. Il était trop soûl pour rentrer et puis il avait honte, il ne voulait pas que Raf le voit dans cet état-là. Il avait dormi toute la journée, ne se réveillant qu'à la nuit tombée. Il avait enfin décidé de revenir chez lui. Il voulait voir la jeune femme qui occupait ses pensées. En arrivant près de l'immeuble, il l'avait vu sortir en compagnie d'un homme blond, aux cheveux mi-longs et d'une carrure imposante. Il s'était caché dans l'ombre, cet homme il le connaissait. C'était l'une des personnes qu'il fuyait depuis un an déjà. Il eut un moment de panique. Ce n'était pas possible, il avait tout fait pour effacer ses traces. Et puis comment se faisait-il que Raf eut une attitude aussi familière avec lui ? C'est alors qu'il entendit celle-ci l'appeler par un autre prénom que celui qu'il connaissait. L'homme ressemblait comme un jumeau à cet ami qu'il avait tenté d'effacer de sa mémoire. Si ce n'était pas lui, qui était-ce alors ? Un autre nom fut mentionné, celui de la meilleure amie de la jeune femme. C'était très obscur tout cela mais il était trop fatigué pour y réfléchir et sa tête menaçait d'exploser à tout moment. Il poussa un soupir de soulagement quand enfin ils montèrent en voiture et s'en allèrent. Qui que fut cette personne, il ne s'agissait pas de son ami même si la ressemblance était plus que troublante. Celui-ci n'agirait jamais aussi amicalement, ni ne sourirait, ni jouerait les clowns pour consoler une demoiselle en détresse. Il eut une pointe de jalousie. Raf était à lui et à personne d'autre, même si, selon lui, il était bien loin de la mériter. Il sortit de l'ombre et se dirigea vers l'immeuble où, après avoir composé le code d'entrée, il monta dans son appartement. Il prit une douche et s'allongea sur son lit. Il n'avait qu'une seule envie : dormir mais il savait que le sommeil ne viendrait pas. L'obscurité menaçait de le faire disparaître et il ne voulait pas cesser d'exister. Il voulait encore vivre, il voulait encore sentir et ressentir des choses. Il déboucha la bouteille de bourbon qui trônait sur sa table de nuit et en but une longue rasade puis une autre jusqu'à ce que la bouteille fut vide et que, soûl et épuisé, il se laisse glisser dans un sommeil sans rêves.

***

La soirée se passa sans encombre pour Raf même si, au goût de Val, la jeune femme paraissait trop calme, absente même par moments. Elle n'avait pas manqué de remarquer les yeux rouges de celle-ci à son arrivée, elle avait voulu la questionner mais Ilia lui avait fait comprendre que ce n'était pas le moment. Quand celui-ci alla coucher Cassandra, Valérie en profita pour interroger son amie. Son mari avait pris l'habitude de passer une demi-heure avec sa fille tous les soirs, rien qu'eux deux, tout seuls, ils jouaient et lisaient, il répondait aux questions de la petite fille et celle-ci lui racontait sa journée d'école avec animation.

- Tu es sûre que ça va ? Demanda doucement Valérie en regardant Raf se poster devant la fenêtre qui donnait sur le parc.

Celle-ci soupira mais resta silencieuse. Elle savait qu'elle ne parviendrait pas à cacher plus longtemps son état d'esprit mais elle aurait voulu avoir plus de temps pour analyser la situation.

- Je n'aime pas quand tu fais cela, soupira Val à son tour tout en s'approchant de son amie.
- Quand je fais, quoi ? s'enquit Raf d'un air innocent, bien sûr elle savait très bien à quoi elle pensait.
- Quand tu gardes tout pour toi et que tu ne me dis pas ce qui ne va pas. Je ne suis pas aveugle et sourde, je sais bien qu'il y a quelque chose de grave dont tu refuses de parler. Combien de temps encore vas-tu nous fuir ? Me fuir ! Dit-elle avec une teinte de reproche dans la voix. Raf, cela fait près de deux mois que tu ne me dis plus rien. Cela fait deux mois que tu refuses, sous divers prétextes, de venir à la maison. Qu'y a-t-il ? Il y a un problème avec Daniel ?

En entendant le prénom de celui qu'elle aimait, elle sentit une boule lui enserrer la gorge. Une larme coula le long de son visage. Sentant la détresse de son amie, Valérie la serra fort contre elle, comme pour effacer la peine et la souffrance de Raf. Elles restèrent ainsi un long moment, Rafaela puisant la force qu'il lui fallait pour expliquer la situation à ses amis. Celle-ci se dégagea doucement de l'étreinte de Val et alla chercher un mouchoir dans son sac à main.

- C'est Daniel, il…souffla Rafaela en s'asseyant sur le canapé tout en prenant l'un des coussins contre son ventre. Val s'assit à coté d'elle.
- Il quoi ?
- Il est différent de ce que je pensais. Il… Elle avait du mal à trouver les mots pour expliquer la situation à son amie. Ilia entra et s'assit en silence sur le fauteuil en face de sa femme.
- Comment cela différent ? Demanda-t-elle.
- Il a de graves défauts qui peuvent nous faire du mal à tous les deux.
- Raf, il va falloir que tu me trouves un traducteur universel si tu continue à parler comme les Vorlons, dit-elle en faisant allusion à Babylon 5 l'une de leur série télévisée préférée.
- Laisse-la aller à son rythme, fit Ilia en prenant les mains de Rafaela dans les siennes. Il sentait qu'elle besoin de ce contact physique pour trouver la force de parler.
- Il a un problème avec la boisson et avec une certaine substance prohibée, avoua-t-elle doucement.
- Attends, tu es entrain de nous dire que Daniel est un alcoolique et un drogué ? Demanda Ilia estomaqué par les révélations de la jeune femme.
- Oui, acquiesça Raf en hochant la tête.
- Tu en es sûre ?
- Pour la drogue ? Oui j'en ai trouvé le premier jour, tu sais celui où je lui ai fait son ménage après son agression. Quant à l'alcool, je n'ai aucune certitude mis à part mon intuition.
- Et malgré cela tu as continué à le voir ? Demanda Valérie.
- Je n'y peux rien si quand je me retrouve face à lui, je me sens comme enveloppée dans un cocon de douceur et d'attentions. Je l'aime, tu comprends. Et je peux te dire que cela m'effraye.
- Tes dernières crises d'angoisses venaient de là ?
- Je suppose. Je n'ai jamais su pourquoi, par moments, cette peur m'étreint au milieu de la nuit, me mettant sens dessus dessous.
- Tu lui en as parlé ?
- Non j'attendais qu'il le fasse. Je pensais qu'avec le temps il me ferait assez confiance pour se confier à moi, pour me dire pourquoi il en est arrivé là. Mais il continue à se taire et à se faire du mal. Par moments, je vois dans ses yeux tellement de souffrance que j'ai mal pour lui.
- Je sais que tu ne vas pas aimer ce que je vais te dire mais… Fit Val doucement.
- Je sais, je sais, je devrais le laisser tomber ? C'est cela ? Mais je ne peux pas ! Tu crois vraiment que je n'ai pas essayé de le faire ? Je me sens si bien avec lui !
- Tellement bien ? C'est vrai ? Mais regarde dans quel état cela te met ? Depuis quand tu n'as pas dormi une nuit complète ? Depuis quand n'as-tu pas mangé convenablement ? Je t'ai observé, tu as à peine touché à ton assiette et….
- Val ! la coupa-t-il en lui lançant un regard noir. Raf avait pâli de manière inquiétante.
- Je suis désolée, souffla-t-elle en se rendant compte qu'elle s'était laissée emporter par la colère mais elle ne supportait de voir son amie dans un état pareil.
- Je sais bien que ce serait la chose la plus raisonnable à faire mais je ne peux pas ! Je… Je ne sais pas comment l'expliquer mais je sens qu'il a besoin de moi, besoin que quelqu'un l'aide sinon il va finir par sombrer définitivement et cela je ne le veux pas ! Il est tellement… je ne sais pas… les mots me manquent pour vous dire ce que je ressens quand je suis avec lui.
- Que comptes-tu faire ? Demanda Valérie.
- Je vais attendre la fin de ces maudites fêtes. Je suis trop fatiguée en ce moment pour avoir la tête assez froide pour ce genre de conversation.
- Tu veux que je lui parle ? proposa Ilia.
- Non merci, c'est gentil, je devrais pouvoir m'en tirer.
- N'hésite surtout pas, n'oublie pas ce que je t'ai dit tout à l'heure.
- Promis, dit Raf en regardant sa montre. Mince, je n'avais pas vu qu'il était aussi tard. Demain je commence tôt, faut que j'y aille.
- Tu n'as qu'à dormir ici, et Ilia te déposera à ton bureau en allant faire les courses.
- Vous êtes sûrs que cela ne vous dérange pas ?
- Pas le moins du monde, tu sais où est ta chambre ? Il doit même encore rester quelques affaires à toi dans le placard.
- Merci, fit Rafaela en déposant un léger baiser sur la joue du couple.
- Fais de beaux rêves, ma puce.

Ils restèrent encore assis dans le salon sirotant un dernier café avant d'aller se coucher. Val finissait de se déshabiller quand Ilia vint l'embrasser dans le cou. Il adorait sa femme. Sa peau si douce dégageait une odeur sucrée. Ses cheveux longs couleur de feu retombaient sur ses épaules. Un instant, il revit leur première rencontre.

Flash-back

- Mesdames et messieurs je suis ravie de vous accueillir ce soir à l'inauguration de la bibliothèque de Bois-Colombes. J'aimerai avant tout remercier le cabinet d'architectes Bertin et Soleri, pour leur travail. Le résultat est remarquable et la ville est fière de pouvoir accueillir ses concitoyens dans un bâtiment aussi magnifique…

Des applaudissements vinrent couronner la fin du discours du maire, Arlette Boulan, avant que les invités ne se dispersent dans la salle qui avait été mise à leur disposition pour la réception. Ilia, l'architecte qui avait conçu et supervisé la construction, se mêla à la foule tout en maugréant que ce genre de soirée était la pire partie de son travail qu'il adorait. Il n'eut guère le temps de se morfondre car son collègue, et meilleur ami David Bertuis, vint le rejoindre.

- Encore une réussite, mon grand ! Le félicita-t-il en lui donnant une tape sur l'épaule. Le grand Ilia a encore frappé !
- Vas-y, moque-toi !
- Il me semble bien que c'est ce que je fais. Ça devient lassant de te voir réussir tout ce que tu entreprends, tu sais.
- Serait-ce parce que ce n'est pas ton cas ? Répliqua Ilia avec un sourire taquin.
- Je ne vois pas de quoi je pourrais me plaindre : j'ai une femme adorable, deux enfants superbes, un boulot que j'adore et une maison dont je finirai de payer les traites dans une dizaine d'années.
- Pourtant, à t'entendre, on a l'impression que quelque chose te manque.
- Tu me connais trop bien, râla David.
- Si tu t'épanchais sur mon épaule, vieux frère ?
- Tu ne peux pas comprendre.
- Vraiment ? S'étonna Ilia.
- Oui. Tu es célibataire, libre de butiner de fleurs en fleurs alors que moi…
- Ne me dis pas que Julie et toi vous allez vous séparer, s'inquiéta-t-il car il appréciait la jeune femme et trouvait le couple merveilleusement bien assorti.
- Non, non, pas du tout mais… comment dire… il n'y a plus vraiment la magie des premiers temps. On s'est un peu laissé engluer par la routine et…
- Bravo ! S'exclama une voix derrière eux, interrompant la conversation des deux amis.
- Monsieur Soleri, le salua Ilia en serrant la main tendue.
- Vous avez encore fait du bon travail, constata-t-il.
- Merci mais je n'aurai rien pu faire sans une bonne équipe à mes cotés.
- Vous dites cela chaque fois, Ilia, mais s'il n'y a pas un bon meneur à la barre, le bateau n'arrive jamais à destination. N'oubliez pas notre conversation du mois dernier, cela pourrait arriver plus vite que nous ne le pensions. Sur ce, passez une bonne soirée, messieurs, conclut Soleri avant de fendre la foule.
- Quelle discussion ? S'enquit David intrigué.
- Un partenariat. Ils envisagent de me faire devenir associé.
- Tu plaisantes ? Cela fait des années qu'ils n'ont pas prit d'associés et toi, tu débarques et quatre ans plus tard…
- Arrête ton char, David, rien n'est fait et il n'est pas dit que j'accepterai.
- Si tu refuses, tu seras la plus grande bourrique de cette ville, et même du pays tout entier !
- Cela fait plaisir d'être soutenu, plaisanta Ilia avec un sourire amusé. Tu veux boire quelque chose ?
- Moi, non, mais cette charmante jeune femme, près du bar…
- David, je te rappelle que tu es marié !
- Et cela doit m'empêcher de contempler les beautés du monde terrestre ?

Ilia secoua la tête. Il adorait David mais par moments ne le comprenait pas. Ils s'étaient connus près de dix ans plus tôt à l'université où ils étudiaient l'architecture. Ils étaient toujours en compétition, du moins pour les études car David n'avait aucun problème avec les filles, contrairement à Ilia qui était beaucoup plus réservé. Leur amitié n'avait pas faibli après le mariage de David avec Julie qui était en passe de devenir avocate. Elle avait aussi survécu à la crise d'identité d'Ilia qui avait appris, huit ans plus tôt, qu'il n'était pas le fils légitime de Suzanne et René Dupuis mais un enfant adopté. Le jeune homme avait eu du mal à leur pardonner de lui avoir caché la vérité aussi longtemps. Il avait tout quitté du jour au lendemain pour partir à la recherche de ses racines. David l'avait aidé du mieux qu'il avait pu, lui envoyant un peu d'argent tandis qu'il recherchait ses parents en Russie. Hélas pour lui, il n'avait découvert que très peu de chose. Le nom de ses parents ainsi que leurs prénoms : Anton et Svetlana. Il était allé sur leur tombe avant de rentrer en France, le cœur brisé de ne pas avoir pu en savoir plus. Il avait fait une demande afin de changer son nom de famille, expliquant à ses parents adoptifs que c'était important pour lui mais que cela ne changeait pas ses sentiments pour eux. Sa mère avait plus facilement accepté cette décision que son père. Elle lui avait montré les vêtements qu'il portait quand ils l'avaient accueilli, lui avait avoué que son prénom avait été choisi par sa mère biologique et qu'ils n'avaient pas eu le cœur de le lui changer. Ilia avait beaucoup mûri après la quête de ses racines. David l'avait informé que le cabinet où il travaillait depuis quelques mois recrutait. C'était ainsi, qu'après avoir été camarades de chambre, ils étaient devenus collègues de travail.

- Tu ne changeras donc jamais ?
- J'espère bien que non. Tu ne vas quand même pas me dire qu'elle n'est pas ravissante ?
- David, il y a plusieurs femmes à l'endroit dont tu parles.
- Celle qui a une robe bordeaux.
- Tu ne vois que son dos ! S'exclama Ilia avec amusement. Comment peux-tu savoir qu'elle est jolie ?
- Jolie… qui a dit jolie ? J'ai dit charmante mais je pourrais rajouter magnifique, somptueuse, splendide… et pas pour toi. Pas ton genre de femme.
- Ah ? Et d'après toi, quel est mon genre de femme ?
- Mmmm… si j'en juge par tes dernières conquêtes, des femmes splendides mais qui ont autant de répartie que la porte de mon réfrigérateur ?
- Tu es injuste !
- Pas du tout. Repense donc à Cynthia, Lucie et Catherine.

Ilia se remémora rapidement les femmes que son ami évoquait. Des créatures de rêves, sorties tout droit de magazines féminins, qu'il avait croisé lors de réceptions telles que celle-ci et ramené chez lui pour un soir, une semaine ou au mieux un mois.

- Tu es certain qu'elle est parfaite ?
- Si tu pars du fait qu'elle est rousse, on peut supposer qu'elle a un caractère volcanique. Rajoute à cela le dos décolleté de sa robe qui suggère qu'elle est célibataire, car je connais peu de femmes mariées dont le mari accepterait qu'elles mettent ce genre de chose et aussi…
- C'est farfelu comme explication mais elle a un dos superbe, admit Ilia qui ne quittait pas l'inconnue des yeux.
- Je crois que je connais la femme avec qui elle discute… Sonia Bellivon, s'écria David quand il eut retrouvé son nom.
- Cela devrait m'évoquer quelque chose ?
- Le cabinet passe souvent par la boîte de déco dans laquelle elle travaille. J'ai bossé sur un projet avec elle il y a quelques mois.
- Et ?
- Et rien du tout, sauf que je peux te présenter afin que tu vérifies si notre rousse est aussi incendiaire que je le crois.
- Je ne pense pas que…
- Aller, courage, mon pote, le stimula David en le poussant dans le dos.
- Mais…
- Ecoute, tonton David, c'est pour le bien de ton avenir, mon grand. Tu n'auras qu'à me remercier le jour de ton mariage.

Ilia ne put échapper à l'emprise de son ami qui se tenait derrière lui. Arrivés près des deux femmes, David le dépassa d'un pas et capta le regard de Sonia, une superbe blonde aux yeux bleus.

- Cela faisait longtemps, s'exclama David en lui faisant un baisemain.
- Beaucoup trop, répondit Sonia avec un sourire ravi.
- Je voudrais te présenter un ami, Ilia
- Ravie de vous connaître. C'est à vous que nous devons ce bâtiment si je ne me trompe.
- A moi et à une dizaine de collaborateurs, fit-il avec modestie.
- J'aime beaucoup, avoua Sonia avant de s'apercevoir qu'elle n'avait pas encore présenté son amie. David, Ilia, voici Valérie Beaumont, une amie.

Ilia eut l'impression que le temps s'était arrêté tandis que la jeune femme déposait son verre vide sur le buffet avant de se tourner vers eux. Son visage apparut et il sentit une bouffée de chaleur envahir tout son être. Deux yeux émeraudes se posèrent sur lui tandis que des lèvres parfaites ébauchaient un sourire timide.

- Enchanté de faire votre connaissance, bredouilla Ilia à la suite de David.
- Tu prends toujours des cours de danse ? Demanda Sonia à ce dernier.
- Hélas, ma femme m'impose toujours cette corvée, se plaignit-il avec exagération.
- Ne dis pas de mal de Julie sinon je me ferais un plaisir de le lui répéter, le taquina la jeune femme avant de l'inviter sur la piste de danse aménagée au centre de la salle.

Valérie et Ilia les regardèrent évoluer sur la piste un long moment, en silence. Un vieux monsieur vint saluer la jeune femme. Elle expliqua rapidement qu'il s'agissait d'un ami de ses parents avant de baisser les yeux, incapable de soutenir le regard céruléen de l'homme qui était près d'elle.

- Est-ce que… vous voulez danser ? Proposa Ilia après un long silence.
- Je… oui, murmura-t-elle avec douceur.

Il lui tendit la main et la guida au milieu des autres couples. Les premières notes d'une valse retentirent. Ilia posa l'une de ses mains sur le dos nu de sa compagne, déclenchant des frissons chez cette dernière qui tenta de les cacher. Ils évoluèrent en silence, les yeux dans les yeux. Chacun avait la sensation d'avoir trouvé ce qu'il cherchait depuis des années. Ils ne s'aperçurent pas que la musique avait cessé et que les autres couples évoluaient maintenant sur un tango argentin. David, qui avait suivit toute la scène depuis qu'il les avait quittés avec Sonia, donna un discret coup de coude à son ami en passant près d'eux.

- Je crois que nous ne sommes plus dans le rythme, murmura Ilia légèrement troublé par la proximité de la jeune femme.
- Oui. Je… merci pour cette danse.
- Attendez, fit-il avant qu'elle ne s'éloigne trop de lui. Il n'avait pas envie, maintenant qu'il avait fait sa connaissance, de la perdre. C'était un sentiment étrange pour lui mais son instinct lui interdisait de la laisser partir. Je voudrais vous montrer quelque chose.
- Mais… la réception… les invités, balbutia la jeune femme tandis qu'il l'entraînait vers le fond de la salle.
- Eh bien, primo, ce ne sont pas mes invités mais ceux du maire et secundo, je déteste cet aspect de mon travail.

Elle eut un sourire étonné mais ne protesta plus tandis qu'ils longeaient des rayons encore vides de livres jusqu'à un ascenseur. David les suivit du regard quand ils montèrent dans la cabine et se félicita intérieurement. Si son ami avait décidé de lui montrer son endroit préféré de la bibliothèque, c'était bon signe, songea-t-il en entraînant Sonia près du bar. Ilia appuya sur le dernier bouton et attendit que les portes se referment. Il prit conscience qu'il tenait toujours la main de Valérie dans la sienne et qu'elle ne semblait pas s'en plaindre. Arrivés au dernier étage, il la conduisit jusqu'à un escalier, à droite de l'ascenseur, et lui fit gravir les quelques marches qui menaient sur le toit.

- C'est magnifique, souffla Valérie en découvrant la vue qu'ils avaient sur Bois-Colombes et La défense.
- Bien moins que vous, murmura Ilia qui se tenait derrière elle.

Avec lenteur, elle se tourna et plongea dans ses yeux bleus. Elle sentit son souffle sur ses lèvres avant qu'il ne capture sa bouche pour lui donner un baiser passionné. Valérie perdit complètement pied, elle dut se raccrocher à lui pour ne pas tomber et poussa un gémissement de plaisir quand il dépose un chapelet de baisers dans son cou offert.

- Oh mon dieu, souffla-t-elle d'une voix rauque quand il posa son front sur le sien.
- C'est à peu de chose près ce que je ressens aussi, répondit-il avec un sourire.
- Je… vous…, commença Valérie avant de renoncer à parler pour l'embrasser de nouveau.

Ilia la serra un peu plus contre lui, son corps puissant s'ajustant parfaitement à celui de la jeune femme. Ils semblaient être les deux parties d'un tout, être deux mais ne faire qu'un et partager une telle osmose que Valérie recula de quelques pas quand ils cessèrent de s'embrasser.

- Je suis navré si…
- Non, c'est moi. Cela va un peu vite, expliqua-t-elle brièvement en tentant de refaire prendre un rythme normal aux battements de son cœur.
- Je comprends mais j'avais… j'ai envie de vous embrasser, avoua-t-il avec un air de gamin pris en faute.
- Moi aussi, murmura Valérie avant de se rendre compte de ce qu'elle venait de dire.
- Et si nous nous asseyions ? Nous pourrions discuter un peu.

Elle hocha la tête pour lui dire qu'elle était d'accord et repéra un muret à quelques pas d'eux. Malheureusement pour elle, la coupe étroite de sa robe de soirée ne lui permettait pas de s'y asseoir sans aide. Ilia la prit machinalement dans ses bras et la souleva comme si elle n'était pas plus lourde qu'un fétu de paille. Il vint s'asseoir près d'elle et ils se plongèrent dans un profond silence tout en observant les lumières de la ville. Au bout d'un long moment, mus par une impulsion qu'ils ne contrôlaient pas, ils se retrouvèrent à nouveau dans les bras l'un de l'autre. Ils se racontèrent leur vie, leur passé, leur famille. Chacun se confiant plus qu'il ne l'aurait fait en temps normal. Ilia ôta sa veste pour la poser sur les épaules de sa compagne quand il la sentit frissonner dans la fraîcheur de la nuit. Ils assistèrent en silence au lever du soleil, contemplant le spectacle de l'astre céleste qui inondait la ville de ses rayons.

- J'aimerai que cette nuit ne se finisse jamais, murmura Ilia à l'oreille de la jeune femme.
- Je préfère penser qu'il y aura d'autres nuits, souffla celle-ci avant de l'embrasser tendrement.
- Tu es libre pour le dîner ?
- Aie, non, je dîne avec un client mais on pourrait se retrouver après. A moins que tu ne…
- Oui.
- Oui, tu seras occupé ou oui, tu auras envie de me voir ?
- C'est assez étrange mais je crois que je vais avoir du mal à me passer de toi. Ou plutôt, je vais me pincer tout au long de la journée pour être sûr de ne pas avoir rêvé.
- Il y aurait sûrement un moyen moins douloureux, suggéra Valérie avec un sourire amusé.
- Mmmm… tu pourrais m'accompagner, je te cacherai dans un placard de mon bureau, proposa-t-il d'un ton taquin.
- Ou alors tu pourrais me téléphoner chaque fois que tu as un doute, dit-elle en sortant une carte de visite de son sac.
- C'est vrai que cela serait moins douloureux, acquiesça-t-il avec humour.
- Et puis, tu pourrais garder ceci jusqu'à ce soir pour être sûr que cela n'était pas un rêve, rajouta Val en ôtant une bague, qui avait la forme d'une tête de dragon, de sa main droite.

La grande horloge de la mairie fit résonner sept coups tandis qu'Ilia contemplait le bijou finement ciselé. Valérie vérifia l'heure sur sa montre et se laissa glisser au sol.

- Il faut vraiment que je file. J'ai rendez-vous avec mon boss à 8h30 et il a horreur du retard.
- Tu veux un mot d'excuse ? Suggéra Ilia malicieux.
- Non mais un baiser d'adieu ne serait pas refusé.

Il la rejoignit et l'enlaça tendrement. Il avait du mal à croire que seulement quelques heures s'étaient passées depuis leur rencontre. Il avait la sensation de la connaître depuis des années, de l'avoir espérée si longtemps qu'il n'avait plus aucune envie de la laisser partir, même s'il savait que cela n'était que pour quelques heures. Ils se séparèrent haletants, souriants et heureux de cette nuit blanche passée ensemble.

Fin Flash-back

- Un penny pour tes pensées, murmura-t-elle en se blottissant contre lui.
- Oh je pensais simplement à la chance que j'ai d'avoir trouvé une merveilleuse femme telle que toi.
- Ahhhhh et que me vaut ce beau compliment ?
- J'en ai envie, j'ai le droit non, lui susurra-t-il au creux de l'oreille avant de lui en mordiller le lobe .

Elle se sentit fondre, son mari savait comment éveiller le feu en elle. Avec douceur, il termina de la déshabiller et l'étendit sur le lit, la rejoignant après avoir quitté ses vêtements. Avec une passion renouvelée, il la fit sienne doucement, faisant monter la jouissance jusqu'à son paroxysme où enfin leurs âmes se réunirent pour n'en faire plus qu'une. Haletants, ils retombèrent sur l'oreiller. Ilia fixait sa femme, tout en caressant sa chevelure rousse. Il voyait bien que malgré leur bonheur intime, elle restait préoccupée.

- Qu'y a-t-il mon ange ? Demanda-t-il dans un souffle.
- Je suis inquiète pour Raf. Elle semble si fragile par moments et puis il y a ce silence. C'est pas dans son habitude de tout garder pour elle.
- C'est vrai qu'elle a l'air fatiguée. Tu crois qu'on devrait…
- Qu'on devrait quoi ? dit-elle en haussant un sourcil.
- Elle est fatiguée, non ?
- Oui et alors ?
- J'ai jeté un coup d'œil dans la chambre, elle dort comme un bébé. On pourrait peut-être oublier de la réveiller.
- Elle risque fort de ne pas apprécier…
- Elle râlera et après ?
- Après ? Devine contre qui elle va se mettre en colère ?
- Je sais, fit-il en souriant, mais tu sais très bien qu'elle ne peut pas te résister très longtemps. Alors ?

Elle réfléchit un instant. Il était vrai qu'un week-end prolongé ne ferait aucun mal à son amie. Bien sûr elle serait furieuse, mais si elle réussissait son coup, elles pourraient passer une fin de semaine ensemble et elles pourraient essayer de rattraper un peu du temps perdu. Ilia ne lui avait pas encore tout dit, de cela elle en était convaincue.

- Ça marche. J'appellerai le magasin demain matin. J'espère réussir à la convaincre de passer le week-end à la maison si cela ne te dérange pas.
- Aucunement, mais à une condition, murmura-t-il avec un sourire coquin.
- Laquelle ?

Il l'embrassa avec passion, remontant les draps sur leurs corps affamés de caresses. Il serait bien temps de parler plus tard. Pour le moment, tout ce qui comptait c'était sa merveilleuse femme et le bonheur simple de la serrer dans ses bras.

***

Une bonne odeur de café et de pain grillé se dégageait de la cuisine. Ilia et Valérie prenaient leurs petits déjeuners tout en discutant du programme de la journée.

- On devrait peut-être rester tout simplement à la maison, disait Valérie en jetant un coup d'œil à la pendule accrochée au-dessus de la porte.
- Une sortie entre filles vous fera le plus grand bien et puis quand vous rentrerez, je vous aurais concocté un dîner à faire pâlir d'envie tout les plus grands cuisiniers de la planète.
- Humm, c'est appétissant comme programme et qu'est-ce qu'il y aura pour le dessert ? Demanda-t-elle alléchée.
- Ah ça, c'est une surprise, lui répondit-il tout en lui faisant un clin d'œil coquin.

Ils entendirent des petits pas venant du couloir. Une petite frimousse encore embrumée par le sommeil fit son apparition au seuil de la porte. Cassandra avait tout juste quatre ans. Ses cheveux roux coupés en carré et sa petite bouille ronde en faisait une adorable fillette. Mais au grand dam de ses parents qui, par moments, avaient du mal à la suivre, elle était pourvue d'une énergie inépuisable.

- Bonjour ma petite puce, fit Val en prenant sa fille dans ses bras. Elle se blottit contre sa maman.

Ilia s'affaira, il prépara un biberon avec un peu de cacao et du lait chaud. Puis s'adossant contre l'évier, il contempla pendant un moment ce charmant petit tableau. La petite fille embrassa son père et alla s'asseoir sur les genoux de sa mère pour boire son cher biberon.

- Qu'est-ce que tu dirais si on s'habillait et si on allait au magasin tous les deux, proposa Ilia avec un sourire enjôleur à sa fille.
- Et maman ?
- Elle va aller travailler avec tata Raf, dit-il. Si tu es bien sage, on ira louer un joli film cet après-midi.
- Celui avec les chiens ?
- Encore ? Tu l'as vu au moins une dizaine de fois, tu n'en veux pas un autre ?
- Non, je veux les chiens.
- Ok. Marché conclu ? Fit-il avec sérieux tout en tendant sa main.
- Maché conclut, dit jovialement la petite fille ravie de jouer les grandes personnes. Ils scellèrent leur accord par une poignée de main et Cassandra alla en courant dans sa chambre pour se préparer.
- Tu es incorrigible, commenta Valérie en secouant la tête tout en étouffant un éclat de rire.
- Oui mais c'est pour cela que tu m'aimes, répondit-il avec malice en volant un baiser à sa femme avant d'aller dans leur chambre se préparer.

Une demi-heure plus tard, ils partaient laissant Valérie seule dans l'appartement avec Raf endormie. Elle regarda sa montre, il était presque 9h30. Elle alla dans la pièce qu'ils avaient aménagés en bureau, pour se connecter à Internet et consulter ses mails et faire quelques recherches en attendant que son amie se lève. Vers 10h, elle entendit la porte de la chambre voisine s'ouvrir, Raf venait enfin d'émerger.

- Salut ma puce, fit-elle en s'appuyant sur le montant de la porte.

Rafaela ne répondit pas se contentant de grommeler quelque chose d'inintelligible. Elle se précipita dans la salle de bain pour faire une toilette rapide, elle était très en retard. Tout cela était de la faute de Val qui ne l'avait pas réveillée et qui avait coupé la sonnerie de son portable qui lui servait de réveil. Elle ressortit quelques minutes plus tard en marmonnant toujours des choses incompréhensibles.

- J'ai dit bonjour, répéta Val en entrant dans la chambre qu'occupait son amie.
- Et moi j'ai pas envie, répondit-elle avec une fureur à peine contenue.
- Ah bon ? Et pourquoi cela ?
- Tu me le demandes ? Je te signale que je devrais être à mon travail depuis deux heures. Tu sais très bien qu'avec les fêtes, je ne peux pas me permettre d'être absente !
- T'inquiète pas, je les ai appelés pour leur dire que tu ne viendrais pas aujourd'hui parce que tu étais malade.
- Tu as fait quoi ? Hurla Raf. Non mais pour qui tu te prends !
- Tu étais fatiguée et…
- Et quoi ? Tu ne me crois pas capable de m'occuper de moi ? Je vais t'en apprendre une bonne, je suis majeure et vaccinée.
- Je le sais mais…
- Mais quoi ? Tu as vraiment envie que je perde mon boulot après tout le mal que j'ai eu à le décrocher ?
- Raf, calme-toi voyons. Ils n'en mourront pas si tu n'es pas là une journée.
- Ah oui ? C'est toi qui va me payer cette journée perdue ? Je ne roule déjà pas sur l'or mais si en plus mon salaire est amputé à cause de l'une de tes fantaisies !

Raf savait qu'elle exagérait quelque peu mais elle était furieuse. Elle détestait qu'on la manipule ainsi. Elle avait passé la moitié de sa vie sous la coupe de sa mère qui, même si elle l'adorait, l'étouffait et maintenant Val se permettait de décider pour elle si elle était capable d'aller travailler ou pas.

- Je t'en prie Raf, calmes-toi et écoutes-moi.
- Non ! Cracha-t-elle en prenant son sac et son manteau.
- Où vas-tu ?
- Là où je devrais être depuis un moment ! A mon poste de travail ! Quant à toi, je te conseille de ne plus recommencer ce genre d'idioties si tu tiens un tant soit peu à notre amitié !
- Mais c'est du délire ! Fit-elle en attrapant la jeune femme par le bras.
- Lâche-moi !
- Pas avant que tu ne m'aies écoutée ! Tu es au bord de l'épuisement ! Tu ne manges pratiquement rien, tu ne dors quasiment pas non plus, tu travailles presque dix heures par jour, si ce n'est plus. Où crois-tu que tout cela va te mener ? Le soir, tu es tellement fatiguée que tu n'as même plus envie de discuter avec moi et le WE tu le passes avec Daniel. Et je suis censée te laisser faire jusqu'à ce que tu te retrouves à l'hôpital ? C'est cela que tu veux ?
- Tu dramatises !
- Ah oui ? Tu t'es regardée dans une glace récemment ? Tu as des cernes tellement grand que même tes lunettes n'arrivent plus à les cacher. Tu es tellement pâle qu'on croirait que tu vas avoir un malaise d'un moment à l'autre. Tu as au moins perdu 5 à 10 kilos, je me trompe ? Combien de repas as-tu sauté ces deux derniers mois ?

La jeune femme ne répondit pas, elle était surprise par la colère de son amie. Raf savait que Val n'avait pas tort, elle s'était laissée aller d'une manière alarmante depuis deux mois, elle en était consciente. Même Daniel avait remarqué le changement. Il avait essayé de lui en parler mais sans succès, elle avait fait la sourde oreille. C'était la seule solution qu'elle avait trouvée pour ne plus penser… Ne plus penser aux doutes qui l'assaillaient continuellement, aux mots blessants prononcés par Ilia, à Daniel qu'elle imaginait constamment mort d'une overdose dès qu'elle était loin de lui et à ce maudit recommandé qu'elle avait reçu quinze jours auparavant. Raf commença à trembler incontrôlablement, elle s'appuya contre le mur. Elle sentait le peu de contrôle qui lui restait se briser net. Elle glissa le long du mur et ramena ses genoux contre sa poitrine. Tête baissée, elle laissa enfin sortir toute cette souffrance contenue.

- Pourquoi ? Sanglotait-elle. Pourquoi ça ne marche jamais ? Pourquoi il faut toujours que je tombe sur des gens qui me font du mal ? Je suis si mauvaise que ça ? Est-ce que je ne mérite pas un peu de bonheur ? J'en ai assez d'avoir mal !

Son corps était agité de soubresauts tant elle pleurait avec force. Valérie ne sut quoi faire l'espace d'un instant. Puis s'asseyant à coté de son amie, elle la prit dans ses bras et attendit que la crise passe. Elle savait que c'était le meilleur remède pour que la jeune femme retrouve un semblant d'équilibre. Après ce qui parut une éternité, les sanglots se tarirent et Raf releva la tête du chemisier trempé de sa meilleure amie.

- Je suis désolée, fit Raf en reniflant.
- Et de quoi ?
- De te gâcher la matinée. Je vais rentrer à la maison et…
- Hors de question ma puce. Tu vas de ce pas prendre un bon bain, cela te délassera un peu et après on va faire des folies.
- Val… Je ne peux pas, murmura-t-elle presque honteuse.
- Pas grave j'en ferais pour deux.
- Mais…
- Pas de discussion ! Pour une fois, laisse-moi le plaisir de te dorloter un peu tout ce week-end.
- Tu veux que je passe le week-end ici ?
- Oui pourquoi ? Cela te gêne ?
- Non mais je ne suis pas sûre que ton cher et tendre soit d'accord.
- Là dessus tu te trompes, parce que l'idée de te laisser dormir n'est pas de moi, comme tu pourrais le croire, elle est de lui.
- Mais je pensais… enfin je croyais que..
- Que quoi ? Demanda Valérie avec curiosité.
- Non, rien. Y a juste un petit ennui à ton plan. Je n'ai rien pour me changer.
- Faux.
- Comment cela ?
- Ilia a pris mon jeu de clés et il va te ramener quelques affaires pour que tu te sentes plus à l'aise. Alors maintenant tu me fais le plaisir d'aller prendre ce bain pour que nous puissions aller dépenser cet argent que j'ai durement gagné.
- A vos ordres chef ! Dit la jeune femme en faisant un semblant de salut militaire et en regagnant la salle de bain.

Valérie soupira, la crise était passée. Pourtant il y avait quelque chose qui n'allait pas mais elle ne réussissait pas à savoir ce que cela pouvait bien être.

***

Daniel se réveilla l'esprit embrumé par l'alcool. Il se leva en titubant. En entrant dans la salle de bain, son reflet le contempla dans le miroir. Il avait l'impression que c'était une personne différente qui le regardait, un double maléfique avec tous ses défauts et ses travers. Il poussa un long soupir. Combien de temps pourrait-il encore supporter cette situation ? Et puis il y avait Raf. La jeune femme l'inquiétait. Depuis deux mois environ, elle était distante, travaillait toute la journée parfois même les WE. Il avait tenté de la faire parler mais en vain. La seule chose qu'elle faisait quand il l'interrogeait, c'était de se blottir contre lui en lui demandant de la serrer fort, désir auquel il accédait volontiers. Peut-être devrait-il en parler avec sa meilleure amie ? Il savait qu'elle ne l'aimait pas beaucoup mais Daniel était certain qu'elle lui viendrait en aide s'il s'agissait de Raf. Les deux jeunes femmes avaient une relation par moments presque fusionnelle. C'était comme des sœurs perdues qui, maintenant qu'elles s'étaient retrouvées, ne voulaient plus se quitter. Il avait peur de cette relation, il connaissait l'influence que Val avait sur la jeune femme. Si jamais celle-ci découvrait la vérité nul doute qu'elle pousserait Rafaela à le quitter. Après avoir pris une douche pour se rendre un peu plus présentable, il monta voir la jeune femme. Il trouva porte close, de toute évidence celle-ci n'était pas rentrée de sa soirée. Elle a dû passer la nuit chez Valérie, se dit-il tout en sentant la jalousie l'envahir. Il prit le téléphone et appela le portable de Raf en espérant pouvoir parler avec elle. Malheureusement ce fut Val qui répondit et qui lui annonça d'une voix glaciale que la jeune femme passerait tout le week-end en leur compagnie parce qu'elle avait besoin de calme et de repos. Le message était clair, il n'était pas le bienvenu. Il soupira et s'assit sur le vieux fauteuil. La " douleur " qui l'avait laissée un peu tranquille tant que Raf était auprès de lui revenait avec force. Il lui fallut toute sa volonté et une bouteille de whisky pour ne pas céder à la tentation de la poudre d'ange.

***

De leur coté, les filles avaient enfin réussi à sortir. Valérie avait pris la direction des opérations : un petit détour par leurs boutiques préférées de gadgets en tout genre, les Grands Magasins du boulevard Haussmann, puis les Champs Elysées pour un déjeuner bien mérité. Quelques boutiques de vêtements et de chaussures étaient aussi au programme avant de passer aux choses sérieuses : les DVD et les C.D. dont elles étaient très friandes toutes les deux. Valérie était contente de ne pas être obligée, pour une fois, de regarder à la dépense. Son travail marchait bien. Elle n'avait jamais eu autant de clients réclamant ses compétences de décoratrice d'intérieur et n'ignorait pas qu'elle le devait aux premiers clients d'Ilia qui lui avaient fait confiance et qui avaient parlé d'elle à leurs connaissances. Elle avait décidé de se laisser aller d'autant plus qu'elle avait la bénédiction de son cher mari. Toutefois ce bonheur était assombri par la volonté que mettait Raf à ne rien dépenser. Elle n'avait rien pris dans aucune des boutiques qu'elles avaient visitées, même si elle en mourait d'envie. Elle examinait avec attention ce qui lui ferait plaisir puis, avec un air désolé, le remettait sagement à sa place. Valérie n'y comprenait rien, la jeune femme n'était pourtant pas dans le besoin. Elle ne roulait pas sur l'or, certes, mais elle gagnait assez bien sa vie pour, de temps à autre, se permettre de petits extra. A la fin de la journée, les deux femmes rentrèrent enfin, épuisées et contentes. Val posa sur le lit la montagne de sacs contenant les petits trésors qu'elle avait déniché durant la journée. Raf s'était contentée de regarder sa meilleure amie faire des folies, elle avait toutefois acheté un DVD de manière à ce que Valérie ne soupçonne rien. Elle avait remarqué les regards qu'elle lui jetait chaque fois qu'elle reposait l'article envié. Val l'avait discrètement interrogée pendant le déjeuner. Rafaela avait expliqué qu'elle avait oublié sa carte bleue et son chéquier à la maison et qu'elle devait se contenter du peu d'argent liquide qu'elle avait sur elle. Elle avait soupiré de soulagement quand Valérie n'avait pas insisté. Celle-ci embrassa avec passion Ilia qui sortit de la cuisine, affublé d'un tablier sur lequel on pouvait lire " Silence, le génie travaille ". Raf s'éclipsa discrètement dans la chambre, laissant sa meilleure amie discuter avec son cher et tendre. Soudainement elle se sentit seule au monde, un vide immense envahit sa poitrine et un poids énorme la lui enserra. Quelques larmes perlèrent au coin de ses yeux, larmes qu'elle s'empressa d'essuyer quand elle entendit la porte s'ouvrir derrière elle.

- Tout va bien ma puce ? Demanda Val en entrant dans la pièce.
- Oui. Pourquoi cela n'irait pas ? Répliqua-t-elle en haussant les épaules. Je suis juste fatiguée. Ca va ? Ilia n'a pas piqué de crise en voyant tes achats ?
- Même pas. Tu admettras tout de même que je suis restée raisonnable dans ma folie. Et puis, il n'a pas encore vu les dessous très affriolants que j'ai acheté pour agrémenter notre " dessert " quand nous serons seuls…
- Miam, je voudrais bien voir sa tête quand il te verra ainsi vêtue ou devrais-je dire dévêtue ?
- C'est prêt ! Cria Cassy en entrant dans la pièce. Papa il a dit qu'il faut aller manger.
- Oui mais avant il faut se laver les mains, hein tata ? Dit Valérie en faisant un clin d'œil à son amie.
- Oui, oui, fit Raf en souriant devant la mine réjouie de la petite fille.

Le dîner fut un vrai délice. Ilia avait mis les petits plats dans les grands. Il avait de vrais talents de cuisinier quand il prenait la peine de se mettre aux fourneaux. Apres avoir mangé le dessert, un énorme gâteau au chocolat avec de la crème chantilly, Val disparut dans la chambre et revint avec deux sacs.

- Comme vous avez tous été très sages, je vous ai ramené quelques petites choses de notre aventure d'aujourd'hui.

Elle posa un sac devant Cassandra qui trépignait d'impatience et l'autre devant Raf qui la regarda avec étonnement.

- Et moi ? Demanda Ilia en regarda sa femme s'asseoir de nouveau et manger un morceau de gâteau. Je n'ai pas été sage, moi ?
- Si, mais toi ton cadeau… il est… comment dire… très privé, répondit-elle en lui faisant un clin d'œil.

Ilia avala sa salive et sentit une envie irrésistible de prendre sa femme et de s'enfermer avec elle dans la chambre pour le découvrir. Il voulait la couvrir de baisers, la caresser et l'emmener vers l'extase jusqu'à ce qu'elle demande grâce. Il fut tiré de sa rêverie par les cris de Cassy qui avait enfin réussi à déballer son paquet.

- Babie !

La petite fille regardait avec ravissement, une poupée Barbie habillée en princesse, un livre d'images et une cassette vidéo avec cette même poupée sur la jaquette.

- Oh montres moi ca ! S'exclama Ilia en souriant. Elle est très belle. Tu en as de la chance ! Faut dire merci à maman.

Cassandra courut faire un bisou à Val et sa tata.

- Peux regarder ? Demanda-t-elle en montrant la cassette.
- Pas ce soir ma petite puce, il est tard et tu dois aller au dodo. Mais si tu veux papa va te lire le livre.
- Peux dormir avec Babie ?
- Oui bien sûr.
- Papa, tu lis l'histoire ?
- D'accord mais il faut vite mettre le pyjama et dire bonne nuit à maman et tata Raf.

Cassy embrassa les deux femmes et courut dans sa chambre. Elle voulait se mettre en pyjama très vite, elle savait le faire seule depuis peu et en tirait une grande fierté. Elle avait hâte que son papa lui lise son histoire.

- Tu ferais mieux d'aller surveiller les opérations. La dernière fois, elle a mis le haut à l'envers, dit Val en embrassant tendrement son mari.
- A vos ordres chef, répondit-il avec un salut moqueur avant de sortir de la pièce.

Raf était tellement absorbée par ce petit tableau de famille qu'elle sursauta quand son amie lui posa la main sur l'épaule.

- Eh bien tu ne regardes pas ce qu'il y a à l'intérieur du paquet ?
- Pardon ? Ah si…. Tu ne sais pas la chance que tu as d'avoir une aussi belle famille, murmura-t-elle tout en ouvrant le sac en papier.
- Si, je le sais, mais n'oublie pas une chose.
- Laquelle ?
- C'est que, que tu le veuilles ou non, tu en fais partie.

Raf ne répondit pas, les paroles de Val lui étaient allées en plein cœur. Une boule se forma dans sa gorge et elle lutta de toutes ses forces pour ne pas laisser tomber les larmes qui mouillaient ses yeux, larmes qui finirent par tomber quand elle vit le contenu du sac. Il y avait là, le tailleur bleu pastel qu'elle avait essayé pour faire plaisir à Valérie mais qu'elle avait remis, bien à regret, à sa place avec une blouse d'un rose très pâle. Une petite broche en forme de nounours ainsi qu'un foulard bleu et rose venaient compléter le tout. Elle ouvrit le deuxième paquet et y trouva les deux coffrets de DVD qu'elle avait envie de s'offrir depuis des mois et qu'elle avait, la mort dans l'âme, laissé encore une fois sur les étagères du magasin.


- Tu es complètement folle, tu sais cela ? C'est trop je ne peux pas accepter !
- Tu n'as pas le choix. Le tailleur ne m'irait pas, ce n'est pas ma taille et en plus ce ne sont pas les couleurs que je porte, je préfère les couleurs plus vives !
- Mais…
- Mais rien du tout. J'ai bien le droit de te faire un cadeau de temps à autre ! Me regardes pas avec cet air ahuri, je ne suis pas encore entièrement folle !
- Comment as-tu fait ? Je n'ai rien remarqué.
- Ce n'était pas difficile, tu as été dans les nuages toute la journée, déclara-t-elle avec malice. D'ailleurs, je me demande si…
- Si, quoi ?
- Si cela n'a rien à voir avec un certain voisin, la taquina-t-elle.

Raf rougit légèrement. Elle devait admettre que Daniel lui manquait, surtout en voyant à quel point son amie était heureuse en ménage. Val, de son coté, se méfiait de celui-ci mais devait admettre qu'il n'avait rien fait, du moins intentionnellement, pour faire du mal à son amie. Elle savait que Rafaela en était très amoureuse et qu'il serait difficile de les séparer sans mettre en danger leur amitié, ce qu'elle ne voulait à aucun prix.

Le lendemain après-midi, Ilia déposa Raf chez elle. La jeune femme était silencieuse et renfermée sur elle-même. Même si son attitude avait changé quand elle était en sa compagnie et celle de Val, dès qu'ils se retrouvaient seuls celle-ci s'enfermait dans un mutisme qui avait l'art de l'exaspérer. Elle le salua du bout des lèvres et entra dans l'immeuble sans un regard en arrière. Elle se sentait exténuée. D'un pas lourd, elle traversa la cour intérieure. Alors qu'elle arrivait au palier du premier étage, la porte s'ouvrit. Daniel la regarda avec tendresse et passion. Elle se sentit fondre. Il ouvrit ses bras et elle se précipita à sa rencontre. Comme il lui avait manqué ! Ils s'embrassèrent avec passion, plus rien ne semblait avoir d'importance. Tout était, à cet instant précis, en parfaite harmonie. Il n'y avait plus ni tristesse, ni doutes, ni rancœurs, ni regrets, il n'y avait que la joie et la plénitude d'être enfin dans les bras l'un de l'autre.

- Tu m'as manqué, murmura-t-il à son oreille en l'entraînant dans son appartement.

Ils s'embrassèrent de plus belle, leurs mains couraient sur le corps de l'un et de l'autre.

- Je ne suis pas sûr de grand chose en ce bas monde, dit-il d'une voix rauque, mais je suis certain d'une chose, c'est que je t'aime. J'aime ce que tu es, ton visage, ton corps, ton cœur et surtout ton âme. Je te veux auprès de moi pour toujours.

Il ne la laissa pas répondre, assaillant de nouveau ses lèvres pour un autre baiser passionné. Le cœur battant, elle se laissa aller à ce désir qu'elle avait réprimé depuis le début de leur relation. Elle avait envie de lui mais elle ne s'était pas sentie prête à se livrer tout de suite. Le moment était venu d'abandonner toutes ses peurs, et ses doutes, pour ne faire plus qu'un avec la personne aimée. Daniel la regarda et elle sut qu'il pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert. Il sourit et, tendrement, la guida vers le lit. Vêtement par vêtement, il dévoila le corps de la jeune femme à sa vue. Il était attentif à chaque frisson, chaque tremblement, provoqué par une simple caresse ou par une guirlande baisers qu'il posait çà et là sur son corps hurlant de désir. Raf se sentait brûler à l'intérieur. Un feu sacré et ancestral avait pris possession d'elle et demandait à être éteint. Les mains tremblantes, elle déboutonna timidement la chemise de Daniel, laissant apparaître son torse musculeux. Elle déposa une traînée de baisers dans le creux de son cou et remonta vers son oreille. Elle s'arrêta, haletante, quand celui-ci s'attaqua à la fermeture de son soutien gorge qu'il dégrafa avec agilité. Daniel embrassa les deux petites pointes fièrement dressées par le désir puis s'agenouilla pour explorer le bas de son ventre. D'un doigt tremblant, il joua un instant avec l'élastique de la dernière barrière qui le séparait de son but ultime : sa toison d'or. Quand enfin celle-ci tomba, il ne put retenir un gémissement rauque de victoire. Il remonta doucement, couvrant le corps de Raf de baisers ardents, puis, arrivé à hauteur de son visage, leurs yeux se croisèrent, leurs regards se fondirent en une seule flamme. Il la fit doucement basculer sur le lit. Après avoir quitté les vêtements qui le couvrait encore, il s'allongea près d'elle, ne cessant d'admirer ce corps qui, même s'il était loin d'incarner la perfection, était la chose la plus merveilleuse qu'il ait jamais vu.

- Je t'aime, lui murmura-t-il au creux de l'oreille.

Il reprit possession de ses lèvres et attisa le feu intérieur qui les dévoraient en caressant chaque parcelle de peau de sa compagne. Raf n'était pas en reste, ses mains exploraient sans cesse ce corps désiré depuis des mois. Ses doigts dessinaient des arabesques sur son torse qui s'élargissaient pour enfin atteindre le but ultime. Quand elle se saisit timidement de son membre fièrement dressé, il laissa échapper un grognement rauque. Enhardie par sa réaction, elle le caressa doucement, faisant monter leur excitation encore d'un cran. Il l'embrassa fougueusement tout en jouant avec les seins opulents de la jeune femme puis il insinua un doigt dans le triangle d'or de celle-ci. Caressant, encore et encore, son petit bouton rose, il la faisait gémir de plaisir, ses plaintes était une douce musique à ses oreilles qu'il ne se lassait pas d'entendre. Quand leurs yeux se retrouvèrent, l'invitation était là, l'invitation à se fondre en une seule entité pour que, pendant un court instant, leurs âmes se retrouvent entières comme cela avait été le cas au début de l'humanité. Emu du cadeau qu'elle lui faisait, il s'agenouilla entre ses jambes pour la regarder une fois encore. Après leur union, plus rien ne serait jamais pareil. Elle serait à jamais gravée au fer rouge dans son cœur. Raf tendit ses mains vers lui en souriant. Malgré l'excitation, la passion, il pouvait voir dans ses yeux un tel amour que sa gorge se noua. Comme au ralenti, il se pencha vers elle et la fit sienne avec une telle lenteur qu'elle crut ne pas avoir la patience d'attendre pour le sentir entièrement en elle. Il entamèrent une danse sensuelle pendant laquelle leurs corps et leurs âmes se fondirent en une seule entité. Plus rien n'existait à l'extérieur, à part eux. Il atteignirent la jouissance ensemble, murmurant les noms l'un de l'autre et quand il voulut quitter son intimité, elle noua ses jambes autour de lui pour l'en empêcher. Elle voulait que leur union dure encore et encore. Puis, à force de caresses et de baisers, elle le sentit reprendre vie en elle et de nouveau la danse de la vie reprit, pour ne se finir que très tard dans la nuit.

***

31 décembre…. Encore un réveillon, encore une occasion de se réunir avec les êtres aimés. Seulement Raf était loin de partager cet enthousiasme. Après sa nuit passionnée avec Daniel, elle avait senti une peur panique s'emparer d'elle. Elle se rendait compte qu'elle ne savait pas vivre à deux. La solitude était sa compagne depuis si longtemps. Seule, elle savait comment faire, elle ne devait pas rendre de comptes, il n'y avait personne d'autre en cause qu'elle-même. Avec Daniel, elle s'aventurait en terrain inconnu et cela lui faisait une peur bleue. Elle ne savait pas si elle était capable de le rendre heureux, de faire suffisamment de concessions pour que cette relation dépasse le stade d'une simple aventure. Alors Rafaela avait fait ce qu'elle savait le mieux faire, elle avait pris la fuite. Elle avait évité Daniel et Val pendant toute la semaine en prétextant un surcroît de travail. Elle avait utilisé le même stratagème que pour la veille de Noël pour être tranquille et ne pas répondre aux questions qui allaient immanquablement être posées. Raf rentra d'une journée épuisante, passée à mettre des petits fours en boîte, se doucha, mangea un morceau et se mit au lit devant la télévision.

Daniel se sentait frustré. Il pensait qu'après la nuit qu'ils avaient passés ensemble, ils avaient scellé un pacte qui les liait pour toujours. Pourtant il avait vu la jeune femme rentrer dans sa coquille à son grand désarroi, le fuyant comme s'il était le diable en. Il soupira. Que pouvait-il bien se passer dans la tête de Raf ? Il remit son manteau, après avoir pris ses papiers, son solde de tout compte et les quelques effets personnels qu'il gardait dans un casier qui ne fermait plus, pour rentrer chez lui. Le bouge dans lequel il travaillait venait d'être fermé pour des raisons de sécurité. Il se retrouvait sans travail à la veille de cette nouvelle année. Loin de prendre cela comme un drame, il se disait que les Dieux venaient de lui offrir l'occasion de recommencer sa vie et de se trouver un emploi respectable. Il ne savait pas encore quoi mais il trouverait. Pour la première fois depuis son arrivée en France, il voulait avoir une vie comme tous les autres, il voulait fonder une famille, aimer et être aimé, il voulait que Raf soit fier de lui. Daniel savait qu'il avait bon nombre de problèmes à régler avant d'arriver à son but mais, avec son aide, il se sentait capable de soulever des montagnes. Il savait aussi qu'elle était paniquée. On ne restait pas seule pendant des années sans avoir de séquelles. Il le savait, il l'avait vécu jusqu'au moment où il avait fait la connaissance de Largo…. Tiens, il pouvait à présent penser à lui et même prononcer son nom sans que cela ne lui fasse mal. Il sourit. Daniel prit son téléphone et tenta d'appeler la jeune femme, il tomba sur sa boîte vocale. Connaissant la phobie qu'avait Raf du téléphone, il se dit qu'elle l'avait sûrement débranché pour être tranquille. Il fouilla dans son portefeuille et en sortit un petit bout de papier. C'était le numéro de Valérie que Rafaela lui avait donné pour les cas d'urgences. Lui déclarer sa flamme était pour lui, à ce moment-là, une question de vie ou de mort. Avec un peu de chance, il pourrait les rejoindre pour le dessert et lui donner la petite boite qu'il avait caché dans sa poche droite depuis la veille.

- Allô, fit une voix masculine.
- Bonsoir, est-ce que je pourrais parler à Rafaela, s'il vous plaît ?
- Je suis désolé mais Raf n'est pas là.
- Comment cela ? Elle m'a pourtant affirmé qu'elle dînait chez vous pour le réveillon ! S'inquiéta Daniel qui imagina aussitôt mille scénarios catastrophiques dans son esprit.
- Je peux savoir qui la demande ?
- Daniel… Je suis Daniel, son voisin.
- Ah oui… Attendez un moment…

Daniel entendit une discussion dont il ne comprenait pas la teneur, puis une voix féminine reprit la conversation.

- Daniel ? C'est Valérie… Je suis désolé mais Raf n'est pas là. Elle m'a dit que vous deviez dîner ensemble ce soir. Je lui ai même proposé de vous inviter aussi mais elle m'a dit qu'elle voulait être seule avec vous.
- C'est à n'y rien comprendre. A moi, elle m'a dit que, puisque je travaillais les deux réveillons, elle les passerait avec vous.
- Les deux réveillons ? Vous voulez dire que vous n'étiez pas avec elle à Noël ? S'étonna la jeune femme.
- Non, pourquoi cette question ?
- Je vous expliquerais plus tard… Je crois, mon cher, que nous nous sommes fait avoir en beauté.
- Que voulez-vous dire ? Demanda Daniel qui ne comprenait pas où elle voulait en venir.
- La connaissant telle que je la connais en cet instant elle doit être seule chez elle.
- Non elle n'aurait tout de même pas, fit Daniel en comprenant enfin le subterfuge utilisé. Si c'est le cas, elle va m'entendre !
- Oui, et moi aussi ! Et pas plus tard que tout de suite. Où êtes-vous ?
- A la gare Saint Lazare, le train va partir, je serais à Bois Colombes dans une dizaine de minutes, répondit Daniel.
- D'accord, je vais vous y attendre. Cela ne va pas se passer comme ca !

Val raccrocha stupéfiée. Raf avait osé lui mentir ! Elle expliqua brièvement la situation à Ilia, prit son manteau et fila rejoindre Daniel à la gare. Elle ne comprenait pas pourquoi Rafaela avait fait cela. Elle pensait qu'elles étaient amies et que si quelque chose n'allait pas, celle-ci n'hésiterait pas à se confier à elle. Elle aperçut Daniel qui l'attendait. Son visage était fermé, il faisait les cent pas sur le trottoir avec nervosité. Elle se gara près de lui et lui fit signe de monter.

- Bonsoir, dit-il en grimpant dans le siège du passager.
- Bonsoir.
- Je suis désolé d'avoir interrompu votre soirée.
- Ce n'est pas votre faute mais j'aimerai bien savoir ce que Raf a dans la tête par moments ! Fit la jeune femme en se réinsérant dans la circulation.
- Vous n'êtes pas la seule, plus je la connais et moins je la comprends, murmura-t-il avec un haussement d'épaules.

Val le regarda un instant avant de se garer en double file devant l'immeuble où habitait son amie. Ensemble, ils traversèrent la cour intérieure et, aussi silencieusement que possible, montèrent jusqu'au second. Val sonna, attendit un instant mais Raf ne répondit pas. Elle sonna de nouveau et n'obtenant aucune réponse elle sortit son jeu de clé. Au moment où elle allait s'en servir la porte s'ouvrit sur une Raf en pyjama, le visage creusé par la fatigue.

- Qu'est-ce que vous faites là ? Murmura-t-elle.
- A ton avis ? Fit Val en entrant.
- Vu vos têtes, vous ne venez sûrement pas me souhaiter la bonne année, dit-elle en s'installant sur le lit et en tirant les draps.
- Non, on voudrait juste savoir à quoi tu joues ? Demanda avec impatience Valérie.
- A rien du tout.
- Alors pourquoi ce mensonge ? S'enquit Daniel en s'asseyant sur le lit.
- Parce que je suis fatiguée et que je n'ai pas très envie de faire la fête. C'était le meilleur moyen pour ne pas vous inquiéter.
- Ce n'était pas plus simple de le dire ? S'emporta sa meilleure amie.
- Non, Val, parce que te connaissant comme je te connais, tu te serais sentie coupable de me laisser seule et tu n'aurais pas profité de ta soirée.
- Et c'est bien ce qui va se passer alors tu vas m'éviter cela en t'habillant et en venant à la maison. Ilia a fait la cuisine y compris son merveilleux fondant au chocolat.
- Valérie ! Soupira Raf. Je suis fatiguée, je n'ai pas très envie de voir du monde, pas ce soir.
- C'est ca et je vais te laisser te morfondre ici pendant qu'on fait la fête ? Pas question !
- Voilà pourquoi je n'ai rien dit. Voilà pourquoi je t'ai menti parce que je savais que tu n'accepterais pas un non comme réponse.

Valérie fulminait, il était hors de question que Raf s'en tire à si bon compte. Bon sang, depuis deux mois elle ne se confiait plus à elle, elle faisait comme si tout allait bien alors qu'elle savait très bien que c'était loin d'être le cas. Son regard se posa sur l'appartement où régnait un joyeux désordre. La vaisselle n'avait pas été faite depuis un ou deux jours, une fine pellicule de poussière couvrait les meubles. Du linge suspendu était sec depuis longtemps et n'attendait que d'être rangé. Tout cela tendait à prouver qu'elle avait raison, quelque chose n'allait vraiment pas. Bien sûr, Raf était bordélique mais pas à ce point. Son regard se posa ensuite sur une lettre recommandée posée sur la table basse, émanant de la banque de la jeune femme. Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose…

- Tu peux me dire pourquoi il y a inscrit ici que tu ne peux plus émettre de cheques ? Demanda-t-elle en prenant la lettre.
- Non ! Ca ne te regarde pas, s'empourpra Rafaela en espérant qu'elle change de sujet.
- Si tu as des problèmes, on peut t'aider, dit doucement Daniel.
- Je n'ai aucun problème, dit-elle au bord des larmes. C'est un malentendu que je n'ai pas encore eu le temps de régler.
- Un malentendu de près de 4000€, c'est un peu beaucoup, non ? Comment comptes-tu le régler ?
- Je…
- Raf ? Fit Daniel soudain inquiet.

La jeune femme avait pâli. Il la prit dans ses bras et remarqua qu'elle tremblait. Avec douceur, il lui caressa les cheveux tandis que Raf laissait couler ses larmes. Elle avait gardé tout cela pour elle depuis plus d'un mois, n'osant pas en discuter de peur d'être prise pour une irresponsable. Val se sentit coupable, elle n'avait pas voulu la faire pleurer.

- Je suis désolée ma puce, je ne voulais pas te faire de la peine, s'excusa-t-elle à voix basse.
- Je sais… Ce n'est pas ta faute. J'ai tendance à me transformer en fontaine ces derniers temps.
- Si tu nous racontais tout…
- Je le ferais mais pas ce soir. Je ne m'en sens pas capable.
- D'accord. Alors fais-moi plaisir viens passer ce réveillon avec nous. Daniel vous êtes le bienvenu, bien entendu. Si tu es trop fatiguée, tu pourras, non vous pourrez même coucher à la maison. Ne reste pas seule.

Son regard passa de l'un à l'autre. Daniel souriait, signe qu'il ne lui en voulait pas de l'avoir fui toute cette semaine.

- D'accord, acquiesça-t-elle en reniflant. Trouves-moi quelque chose à me mettre pendant que je fais une petite toilette, je dois ressembler à une sorcière.
- Faux, dit Daniel avec malice, tu es la plus belle pour aller danser et je suis sûr que tu vas avoir tous les hommes à tes pieds à mon grand désespoir, termina-t-il avec un geste tragique.
- Tu sais très bien qu'il n'y a que toi qui compte, murmura-t-elle en le faisant taire d'un baiser langoureux
- Euh… dites les amoureux, ce n'est pas que je m'ennuie mais j'aimerai bien pouvoir goûter au moins au dessert que mon cher mari a fait.
- Oui, chef ! Dit Raf avant de disparaître dans la salle de bain.

Daniel soupira de soulagement en passant une main dans ses cheveux. Ils avaient frôlé la catastrophe. Valérie trouva un ensemble en laine de couleur verte qui faisait " habillé ". Elle frappa à la porte de la salle de bain pour le lui donner.

- Vous étiez au courant de ses problèmes d'argent ? S'enquit Val doucement.
- Non, elle ne m'a rien dit. Et je n'en suis pas surpris. Depuis deux mois, elle s'est repliée sur elle-même. J'ai bien tenté de la faire parler mais cela ressemblait fort à une mission impossible.
- Je vois ce que vous voulez dire. Elle est aussi têtue qu'une mule. Elle sembla hésiter un instant puis reprit. Daniel, je peux vous poser une question ?
- Allez-y.
- Est-ce que vous l'aimez ? Je veux dire réellement, profondément.
- Que voulez-vous dire par-là ? Demanda-t-il avec méfiance.
- Ce que j'aimerais savoir c'est ce qu'elle représente pour vous. Est-ce juste une passade ou quelque chose de beaucoup plus sérieux ?
- Je peux vous assurer que Rafaela est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis longtemps. Elle est loin d'être une passade. Elle est la femme que j'ai espérée toute ma vie. Je sais que vous vous méfiez de moi mais je vous promets, sur ce que j'ai de plus sacré, que je ferais tout pour qu'elle soit heureuse.

Val n'eut pas le temps de répondre, mais elle savait dans son fort intérieur qu'il ne lui avait pas menti. Elle avait senti la flamme de son amour dans sa très courte déclaration.

- Alors vous parlez de moi ? Demanda Raf en sortant de la salle de bain.
- Oh oui, on disait des choses affreuses à ton sujet, répondit Daniel en souriant. Je lui disais à quel point je suis amoureux de toi et figure-toi qu'elle a trouvé cela horriblement… comment dire… ah oui… choquant, continua-t-il sur un ton snob.

Raf éclata de rire en voyant l'air outragé que prit son amie. Elle prit son manteau, son sac et ils partirent tous trois rejoindre les invités qui les attendaient toujours. Quand enfin ils arrivèrent à destination, ils furent reçus en triomphateurs. Ils avaient vaincu toutes difficultés pour venir passer cette soirée ensemble. Daniel prit une coupe de champagne que lui offrit gentiment la mère de Valérie tandis que Rafaela se rabattait sur le Coca. Daniel pâlit et faillit lâcher son verre quand le mari de Val entra dans la pièce, portant un plateau emplit de victuailles. Cet homme, il ressemblait comme deux gouttes d'eau à… Non, ça ne pouvait pas être lui… Lui ne se serait jamais affublé d'un tablier portant " Je suis le maître dans la cuisine ". Comment diable était-ce possible ?

- Tout va bien ? Demanda Raf qui s'était aperçu de son trouble.
- Oui, oui, répondit-il en avalant une gorgée de champagne, c'est juste que le mari de ton amie ressemble comme deux goutte d'eau à…
- A qui, mon chéri ?
- A quelqu'un que j'ai bien connu autrefois…
- Ils sont peut-être parent ? Tenta Rafaela avec un sourire.
- Il n'a jamais dit qu'il avait un frère.
- Aller, il est temps de passer à table ! Fit Val en s'asseyant. Sinon je crains que mes plantes ne fassent office d'amuse-gueule.

La suite de la soirée se passa dans l'allégresse et, malgré sa fatigue, Raf se sentit pour la première fois depuis longtemps à sa place. Elle goûta avec joie à toutes les bonnes choses, y compris le fameux fondant au chocolat. Daniel était heureux même si, par moments, il se sentait mal à l'aise sous l'œil inquisiteur du mari de Valérie. Il se retrouva nez à nez avec lui en sortant des toilettes.

- On peut parler ? S'enquit-il d'un ton grave qui donna des frissons à Daniel, lui rappelant une voix qu'il n'avait plus entendu depuis plus de un an.

Ilia le conduisit jusqu'à la cuisine et ferma la porte.

- Je n'ai pas pour habitude de tourner autour du pot. Je sais que Raf vous aime, la question est : est-ce que vous l'aimez, vous aussi ? Et jusqu'où êtes-vous prêt à aller pour elle ?
- Bien sûr que je l'aime, quelle question ! Répondit-il indigné.
- Alors qu'allez-vous faire pour régler vos petits travers ?

Daniel pâlit sous l'effet de la surprise. Il avait l'impression d'entendre et de voir… Il avala sa salive et se passa nerveusement la main dans les cheveux.

- Comment savez-vous ? Murmura-t-il, honteux.
- Raf nous a mis au courant, répondit Ilia avec calme.
- Elle sait pour l'alcool ? Demanda-t-il au bord de la panique. Mais comment ? J'ai toujours fait très attention de…
- Pas assez visiblement, siffla Ilia d'un ton glacial. Mais il n'y a pas que cela, il y a aussi une certaine substance que vous gardez enfermée sous votre évier.

Daniel s'appuya contre le mur. Il sentait ses jambes le trahir. Elle savait… Elle savait tout et pourtant elle était restée, jour après jour, malgré les doutes et les angoisses qui l'assaillaient.

- Pourquoi ne m'a-t-elle rien dit ? Murmura-t-il.
- Parce qu'elle vous aime et qu'elle considère que c'est à vous de faire le premier pas. Ce sont vos problèmes pas les siens, même si elle se sent concernée par tout ce qui peut vous arrive. Alors que comptez-vous faire ?
- Je… Je ne sais pas. Tout est si confus…
- Ecoutez, vous pouvez vous détruire si vous le souhaitez mais je ne permettrais en aucun cas que vous lui fassiez du mal.
- Jamais je ne lui ferais du mal ! Protesta Daniel avec véhémence. Vous ne comprenez donc pas ? C'est elle qui me permet de ne pas sombrer sinon je crois que j'en aurais terminé depuis longtemps. C'est grâce à elle que j'arrive à remonter la pente.
- Vous avez décidé de vous en sortir alors ?
- Je le souhaite, oui. Rien n'était clair dans ma tête avant ce soir. Je veux pouvoir de nouveau me regarder dans une glace sans avoir honte du reflet qu'elle me lance. Je veux que Raf soit fière de moi, pour que je puisse un jour en faire ma femme et fonder une famille. Oui, je veux tout cela et même plus encore, déclara-t-il avec ardeur.
- Si vous le voulez, je peux vous aider, répliqua Ilia d'une voix radoucie. J'ai des amis qui peuvent vous tendre la main et vous aider à sortir de votre enfer. Mais il faut que vous réalisiez une chose. Ce n'est pas pour Raf qu'il faut que vous fassiez tous ces efforts, ni à cause de ce qu'elle peut penser de vous. C'est pour vous qu'il faut que vous le fassiez, toute autre raison n'est aucunement valable. Quand vous serez prêt, appelez-moi, termina-t-il en lui tendant une carte.
- Je vais y réfléchir, merci.

Ils allèrent retrouver le reste des invités ainsi que Val et Raf qui commençaient à s'inquiéter de la longue absence de leurs hommes.

- Vous comptiez faire bande à part toute la soirée ? On commençait à se sentir bien seules. Nous avons failli draguer tous les hommes de la soirée pour nous consoler.
- J'espère que tu ne me l'as pas abîmé, fit Raf très sérieusement, je vais avoir besoin de lui tout à l'heure pour me réchauffer, conclut-elle avec malice.
- Promis, je ne lui ai rien fait. Il est entier, ta bouillotte est en état de marche, répondit Ilia en faisant un clin d'œil à sa femme en voyant Daniel rougir.

Aux douze coups de minuit, Raf et Daniel s'embrassèrent avec passion et furent concurrencés par Ilia et Val qui n'en mettaient pas moins de cœur à l'ouvrage. La soirée se termina dans la bonne humeur tard dans la nuit. L'aube de la nouvelle année trouva Rafaela et Daniel endormis dans les bras l'un de l'autre, leurs corps repus et apaisés de caresses et de passion.

***

Janvier s'était écoulé sans que Daniel ne prenne une décision quelconque sur son avenir, ni que Raf ne parle de son problème d'argent à qui que se soit, ce qui l'aurait pourtant soulagée. Elle se sentait honteuse de sa mésaventure. Pour le moment, Daniel savourait les petites choses du quotidien : faire les courses, le ménage, ou tout simplement préparer le dîner. Le moment qu'il préférait dans la journée était celui où il allait chercher la jeune femme à son travail. Tous les soirs, il l'attendait dans la galerie marchande, une fleur à la main.

- Bonjour toi, dit-elle en lui déposant un léger baiser sur les lèvres.
- Bonjour, tu as passé une bonne journée ? Demanda-t-il en lui tendant la rose rouge sang qu'il tenait dans la main.
- Je dirai moyenne, répondit-elle an grimaçant. Je vais déposer cette enveloppe au coffre et après je compte sur toi pour me faire oublier tous mes soucis.
- Pas de problème. Au fait, n'oublie pas que ce soir Val et Ilia viennent dîner.
- Je n'ai pas oublié mais je suis sûre que nous aurons au moins le temps de prendre une bonne douche ensemble, tu pourras me frotter le dos et même plus si tu es sage, dit-elle en l'embrassant de nouveau avec malice. Je reviens tout de suite.

Elle se dirigea vers l'accueil du magasin puis prit une porte latérale. Daniel la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse de sa vue. Trois autres hommes prirent la même direction et Daniel sentit son sixième sens se mettre en alerte. Depuis son plus jeune âge, il pouvait sentir les ennuis de loin et là, il était évident que quelque chose se tramait. La jeune femme à l'accueil était devenue pâle tandis qu'elle parlait avec un homme grand, tout de noir vêtu. Daniel s'approcha doucement. Il vit le canon d'une arme dépasser du manteau que l'inconnu tenait sur son avant-bras. Daniel alerta discrètement un vigile et passa la porte empruntée par Raf quelques minutes plus tôt. De son coté, la jeune femme ne se doutait pas du drame qui était entrain de se jouer quelques mètres plus loin. Elle était en train de penser à la soirée qui s'annonçait fort plaisante. Elle tourna à gauche, puis à droite. Soudain les lumières s'éteignirent. Le cœur battant, Raf chercha un interrupteur, n'en trouvant pas, elle continua de longer le couloir. Le coffre n'était plus très loin. Elle entendit des pas derrière elle et se plaqua contre le mur.

- Qui est là ? Demanda-t-elle la voix tremblante.
- Le Père Noël, fit une voix grave près de son oreille.

Elle hurla et tenta de s'échapper mais déjà deux mains l'agrippaient, l'empêchant de prendre la fuite.

- Tais-toi ou je mets une jolie balle dans ta petite cervelle, continua la voix masculine en pressant le canon de son arme contre sa tempe. Maintenant, tu vas nous conduire bien gentiment au coffre et nous y faire entrer.
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, tenta-t-elle d'éluder.
- Ne nous prends pas pour des imbéciles ! Je sais que tu y as accès… Allez, avance maintenant !

Raf tremblait, elle sentait le canon de l'arme contre son dos. Son estomac était noué, ses jambes flageolaient. Son cerveau ressemblait à de la marmelade, paralysé par la peur, il semblait incapable de prendre une quelconque décision. Soudain la lumière se ralluma, Raf se sentit bousculée avec une telle force qu'elle se cogna contre le mur et tomba à terre. En relevant la tête, elle vit, à sa grande frayeur, Daniel aux prises avec l'un des hommes qui l'avait attaquée, un deuxième étant déjà à terre, visiblement assommé.

- Daniel ! Hurla-t-elle en le voyant prendre un coup dans l'estomac qui lui coupa le souffle.
- Reste pas là ! Va-t-en !
- Mais…
- Va-t-en, je te dis !

Raf hocha la tête et se leva à contrecœur. Avant qu'elle eut pu atteindre le bout du couloir, elle sentit un bras l'arrêter net dans sa course et lui encercler le cou.

- Tu ne croyais tout de même pas que j'allais te laisser m'échapper aussi facilement ? Murmura une voix à son oreille.
- Lâchez-moi ! Hurla Raf en proie à la panique.
- Dans tes rêves ! Nous avons une petite chose à finir, tu ne t'en souviens pas ?

Daniel leva la tête en entendant les hurlements de la jeune femme. Il sentit la colère le submerger. D'un coup de poing, il mit KO son adversaire et ramassa l'arme que celui-ci avait laissé tomber pendant la bagarre.

- Lâchez-la, ordonna-t-il d'une voix menaçante.
- Pas question le héros, nous avons un petit travail à finir elle et moi. C'est toi qui va lâcher ton joujou et qui va te tirer très gentiment enfin… si tu ne veux pas que je lui mette une balle dans sa jolie petite tête.
- Daniel, supplia Raf en agrippant le bras autour de son cou pour tenter de se dégager.
- Ne t'inquiète pas, ça va aller. Reste calme.
- C'est cela, nous allons tous rester très calme. Vous ne voudriez pas qu'il lui arrive quelque chose de fâcheux ?

Raf s'accrochait désespérément au bras de son assaillant pour essayer de desserrer son étreinte. Elle était au bord de l'asphyxie, de petites tâches lumineuses dansaient devant ses yeux.

- Police ! Lâchez vos armes ! Hurla une voix derrière elle.
- Pas question ! Laissez moi sortir ou je la tue !
- Le bâtiment est encerclé, vous n'avez aucune chance de vous échapper ! Relâchez votre otage !
- NON ! Je vais la tuer ! Menaça l'inconnu d'une voix froide.
- Lâchez vos armes ! Hurla de nouveau l'un des policiers.

L'homme se tourna vers l'endroit d'où provenait la voix. Daniel profita de cette diversion pour sauter sur l'homme. Sous l'effet de la surprise, il lâcha Rafaela qui glissa à terre, cherchant à reprendre son souffle. L'esprit embrouillé, elle ne songea même pas à s'enfuir, elle regardait avec intensité les deux hommes se battre. L'un des coups projeta Daniel contre le mur, lui faisant lâcher son arme. Il se retrouva à la merci de son adversaire qui le visa à la tête.

- NON ! Hurla Raf

La police choisit ce moment pour intervenir, plaquant le criminel au sol tout en le désarmant. Daniel se précipita vers Raf et la prit dans ses bras en lui murmurant des propos rassurants. Un policier s'agenouilla près d'eux pour leur demander si tout allait bien. Deux pompiers arrivèrent et les examinèrent, donnant quelques soins sur place. Ils furent libres de rentrer chez eux après avoir fait une déclaration sommaire à la police. L'inspecteur en charge de l'affaire les avertit qu'il viendrait les interroger plus longuement le jour suivant. Alors qu'ils rejoignaient la galerie marchande, entourés par des policiers et des équipes de secours, une personne les arrêta. Il s'agissait du directeur du magasin qui, alerté par les vigiles, avait fait évacuer une partie du magasin pour ne pas mettre en danger sa clientèle tandis que la police intervenait.

- Tout va bien Rafaela ?
- Oui, Monsieur. Je…
- Tant mieux, prenez le reste de la semaine vous allez en avoir besoin. On parlera de tout cela à votre retour. Quant à vous, continua-t-il en tendant la main à Daniel, je vous dois une fière chandelle. Non seulement vous nous avez évité une catastrophe humaine mais financière aussi.
- Ce n'est rien.
- Non, ce n'est pas rien. J'aimerai bien vous revoir pour discuter de ce qui c'est passé.
- Pas de problème, vous pourrez me joindre chez Rafaela. Allez, viens ma chérie, on rentre.

Ils eurent la surprise de voir Val entrer dans la galerie marchande alors qu'ils prenaient congé des policiers.

- Rafaela ? Daniel ? Tout va bien ? Demanda-t-elle en les prenant tour à tour dans ses bras. Je passais dans le coin et j'ai vu tout ce remue-ménage. Je me suis inquiétée et à juste titre à ce que je peux voir.
- Ca va, répondit Daniel. Juste très secoués. Tu pourrais nous ramener ? Le médecin a donné un léger sédatif à Raf et j'aimerai bien rentrer avant qu'il ne fasse complètement effet.
- Bien sûr ! Tu es sûre que ca va, ma puce ?

Celle-ci hocha la tête, serrant plus fort contre elle la couverture de survie qu'un pompier lui avait mis sur les épaules. Elle ne voulait qu'une seule chose, rentrer chez elle et tenter d'oublier cette pénible affaire. Le chemin du retour se fit en silence. Arrivés à destination, Daniel eut toutes les peines du monde à dissuader Val de rester. Il promit que tous les deux viendraient les rejoindre le lendemain après le passage des policiers. Pour l'instant, il voulait juste avoir Raf pour lui. Ils montèrent doucement l'escalier jusqu'à l'appartement de Daniel. Aussitôt arrivés, il entreprit de la déshabiller pour lui passer un grand tee-shirt avant de l'allonger sur le lit, en compagnie de l'une des peluches dont elle ne séparait jamais. Le sédatif aidant, elle ne tarda pas à s'endormir. Daniel s'effondra dans le fauteuil à coté du lit. Il se passa la main dans les cheveux et jeta un coup d'œil nerveux à Raf. Il commençait tout juste à réaliser ce qui s'était passé cette après-midi-là. Il aurait pu perdre la jeune femme. Ses mains commencèrent à trembler et des larmes coulèrent sur son visage. Si jamais il lui arrivait quelque chose, il en mourait, il en était certain. Il regarda avec envie le placard où il rangeait sa réserve d'alcool, un verre ne lui ferait sûrement pas de mal, au contraire. Il ne pouvait pas Raf ne le lui pardonnerait pas s'il se laissait aller alors qu'elle avait besoin de lui.

***

La nuit était tombée depuis longtemps quand Rafaela se réveilla. Elle chercha des yeux Daniel qu'elle trouva assis dans le fauteuil, près du lit, contemplant une bouteille de whisky ouverte mais non entamée. Elle devinait sans peine la bataille qu'il était en train de mener. Il tendit la main vers la bouteille, geste qu'elle arrêta net quand elle prononça son prénom.

- Ce n'est pas la bonne solution…, murmura-t-elle.
- Je sais mais…
- … Tu en as besoin… Ca va finir par te détruire.
- Je le sais…
- Alors pourquoi ?
- Parce que…. Les mots lui coûtaient. Il était face au moment de vérité. S'il mentait maintenant, il savait qu'il la perdrait. Parce que je suis un alcoolique, Raf. Je le suis depuis l'âge de 20 ans. C'est la solution de facilité quand on veut oublier ses problèmes.
- Ca et ce que tu caches sous l'évier ?
- Oui, mais cette habitude a été facile à perdre parce que depuis que je t'ai rencontré…
- Mais pas l'alcool, n'est-ce pas ?
- Non. C'est presque un besoin physique. Il m'aide à…
- L'alcool ne t'aide à rien du tout Daniel, si ce n'est à t'éloigner et à t'isoler des autres. En outre, tu te détruis à petit feu. C'est une mort douce et programmée.
- Tu as l'air de bien connaître le sujet pour quelqu'un qui n'en boit jamais.
- Disons que c'est un sujet qui me touche personnellement. Daniel, tu ne peux pas continuer ainsi.
- Je sais…
- Alors qu'est-ce que tu attends ?
- De trouver le courage de faire face à…
- De faire face à quoi ? De quoi as-tu peur ?
- De moi, Raf. Je fais du mal à tous ceux qui m'aiment, avoua-t-il à mi-voix.
- Ce n'est pas vrai. Que je sache, tu ne m'as fait aucun mal, affirma-t-elle d'une voix tremblante.
- Et c'est pour cela que tu t'es réfugiée dans ton travail ? Tu ne sais pas mentir sur certaines choses. Je sais que tu as mal à cause de moi. Je sais que tu es inquiète dès que tu es loin de moi. Tu as peur que je ne fasse une bêtise, que tu doutes de mon engagement envers toi, que tu as peur de donner et de ne rien recevoir en échange.

Rafaela baissa les yeux. Comment se pouvait-il que Daniel la connaisse aussi bien ? Comment pouvait-il savoir tout ce qui la tourmentait depuis des mois ?

- Tu te demandes comment je sais…. Je le sais parce que je ressens la même chose que toi. J'ai peur quand tu es loin de moi, je suis paniqué à l'idée de te perdre. J'ai déjà aimé dans ma vie mais jamais à ce point.
- Alors pourquoi toutes ces cachotteries ?
- Parce que j'ai honte, honte de ce que je suis devenu. Je suis tombé si bas que j'ai peur de ne plus jamais pouvoir me relever, fit-il en baissant la tête. Tu mérites tellement mieux que moi.
- Regarde-moi Daniel, dit-elle en prenant son visage entre ses mains. Je t'aime, avec tes peurs, tes angoisses, tes défauts et tes qualités. Je t'aime pour ce que tu es et non pour ce que tu voudrais être.
- Je t'aime tellement, murmura-t-il en la rejoignant sur le lit.

Il l'embrassa fougueusement tout en laissant couler des larmes de bonheur. Ils restèrent ainsi l'un contre l'autre un long moment, chacun puisant la force et le courage en l'autre. Puis sans qu'ils ne sachent comment leurs corps et leurs âmes se mêlèrent en une danse sensuelle. Les caresses d'abords douces se firent brûlantes et passionnées. Daniel parsema le corps de Raf de baisers, jouant avec la pointe de ses seins durcis par l'excitation, jusqu'à ce qu'il arrive à son but ultime, le triangle d'or où il souhaitait se perdre. Agenouillé entre les jambes de la jeune femme, il la pénétra d'un, puis de deux doigts, sans pour autant jamais la quitter du regard. Il la sentait frémir à chaque fois qu'il caressait son bouton de plaisir. Il se pencha pour embrasser le nombril de Raf tout en continuant de bouger en elle. Il la sentait au bord du précipice. Il accéléra la cadence de ses caresses, la poussant dans un tourbillon d'extase, de jouissance et de plaisir. Quand elle retomba sur l'oreiller, elle était à bout de souffle. Elle n'avait jamais ressenti une telle sensation de bonheur. Il l'embrassa passionnément. Il était bien décidé à faire perdre la tête à sa compagne. Il positionna son membre à l'entrée toute chaude de la jeune femme qui ferma les yeux quand elle le sentit la pénétrer. Tous ses sens étaient exacerbés par sa jouissance antérieure, et elle le sentit entrer en elle, centimètre par centimètre, jusqu'à ce qu'il fut totalement en elle. Il marqua un temps d'arrêt, avant se mettre à bouger, avec un rythme presque frénétique. Il voulait la posséder totalement, se fondre en elle. Il sentit les ongles de Raf lui griffer le dos quand ils basculèrent ensemble dans la jouissance. Daniel retomba, sans pour autant se retirer, sur sa compagne en faisant attention à ne pas lui faire du mal. Tous deux se sentaient tellement bien qu'ils s'endormirent dans cette position.

***

Ils furent réveillés le lendemain par des coups donnés à la porte. Daniel se leva avec précaution, enfila sa robe chambre et alla ouvrir. l se trouva nez à nez avec une factrice qui le détailla du regard avec envie.

- Bonjour, je cherche Mme Sanchez. C'est M. Alfredo qui m'a dit que je pourrais peut-être la trouver ici.
- Qu'est-ce que c'est ? Demanda Raf en entendant son nom.
- Ce n'est rien, c'est le facteur, elle a un recommandé pour toi.

Apres avoir signé l'accusé de réception, elle ouvrit la lettre et sentit la colère monter en elle.

- Les ordures….
- Qu'y a-t-il ?
- Rien, rien. Juste un problème à régler.
- Ce n'est pas rien si cela te met dans un état pareil, tenta de la raisonner Daniel inquiet.

Ils ne purent continuer la conversation car déjà la police sonnait à leur porte pour prendre leur déposition. Pendant près de deux heures, ils donnèrent avec force de détails leur version des événements, essayant d'être les plus précis possibles pour que les coupables ne puissent s'en sortir face à un juge.

- Vous êtes conscients que vous allez leur être confrontés devant le juge d'instruction et qu'il va falloir que vous témoigniez au moment du procès ?
- Nous savons tout cela, assura Daniel.
- Bon et bien ce sera tout. Nous nous permettrons de vous rappeler si jamais nous avons besoin de votre aide.
- Pas de problème, répondit-il, vous savez où nous joindre.

Apres un petit déjeuner tardif, ils allèrent, comme promis, voir Valérie et Ilia qui se faisaient un sang d'encre. Val embrassa son amie quand elle passa la porte, ne la lâchant que pour la laisser entrer dans le salon où Ilia la prit dans ses bras à son tour et lui murmura des paroles de réconfort.

- Tu sais que tu nous as fait peur ! Dit Val en ramenant un plateau avec café, thé et gâteaux. J'ai cru mourir quand j'ai entendu les infos hier soir. Je me doutais que c'était grave mais pas à ce point…
- Disons que j'ai eu beaucoup de chance et un preux chevalier est arrivé à point nommé sur son blanc destrier, répondit Raf avec une voix tremblante.
- J'étais seulement au bon endroit au bon moment, c'est un coup de chance, dit modestement Daniel en entourant la jeune femme de son bras.
- Et vous, ca va ? S'enquit Valérie en faisant un geste vers les bleus qui ornait la joue du jeune homme.
- Oui, oui. Et puis j'ai une infirmière hors paire. Dans quelques jours, il n'y paraîtra plus, répondit-il un peu gêné.

Le silence retomba. Chacun essayant de trouver un sujet de conversation anodin pour dissiper la tension dans la pièce. Raf triturait la lettre recommandée qu'elle avait glissée dans sa poche avant de partir. Elle ne savait pas comment aborder le sujet et se demandait si c'était bien le moment de parler de ses ennuis. D'un autre coté, elle avait éludé la question autant que possible mais là elle se trouvait au pied du mur et devait prendre une décision rapide. Elle aurait préféré en parler seule à seule avec Val mais il lui semblait déplacé de faire bande à part. Elle savait que Valérie serait en colère quand elle lui raconterait sa mésaventure mais elle ne la jugerais pas et la soutiendrait quelque fut la décision qu'elle prendrait. Elle n'était pas sûre que les deux hommes ne la traiteraient pas comme une enfant qui avait fait une faute et qu'ils ne la gronderaient pas comme telle. Elle n'avait pas besoin de remontrances mais d'aide. Les gens sont prompt à juger, ils auraient, eux, tout de suite décelé l'escroquerie et ne se seraient pas fait avoir, c'était du moins ce qu'avaient dit les personnes à qui elle en avait parlé sur son lieu de travail. Raf aurait bien voulu voir à sa place. Elle était tellement plongée dans ses réflexions qu'elle n'entendit pas Val lui parler.

- Pardon ? Dit-elle. Je suis désolée j'étais ailleurs.
- Ca je m'en suis rendue compte. Qu'est ce qui te rend si pensive ? C'est ce qui c'est passé hier qui te préoccupe ?
- Oui… Enfin non… Pas vraiment. C'est juste que…
- Que quoi ? Demanda doucement Daniel.
- Que j'ai fait une énorme bêtise et que je suis dans une impasse, lâcha-t-elle enfin avant donner la lettre à Ilia.
- C'est une plaisanterie, dit-il furieux quand il acheva de la lire.
- Non malheureusement, répondit Raf d'un air penaud. Pas besoin de me faire de reproches, je m'en fais déjà assez.
- Qu'est-ce que c'est ? Demanda Val avec curiosité, il était rare que son mari se mette en colère.
- Tiens, lis ! C'est de la pure folie ! Pourquoi avoir attendu si longtemps Raf ? Pourquoi tu n'es pas venu nous voir tout de suite ?

Rafaela ne répondit pas, elle était effrayée par la colère d'Ilia. Jamais elle ne l'avait vu ainsi, elle se colla un peu plus contre Daniel et sentit des larmes lui monter aux yeux. Val finit de lire et regarda son amie. Ainsi c'était cela qu'elle gardait pour elle et qui était en train de la miner intérieurement.

- Ilia raison, dit-elle doucement. Pourquoi tu n'as rien dit ?
- Je… Je… Je ne voulais pas vous ennuyer avec cela et puis naïvement je pensais trouver une solution toute seule.
- Tu es vraiment incorrigible. Quand vas-tu comprendre que quoi qu'il arrive tu peux toujours venir nous voir ? Demanda Val.
- Si tu nous racontais tout depuis le début, proposa Daniel en posant la lettre sur la table basse après l'avoir lue.
- Ben y a presque deux mois, ma boite à fusible a grillé. J'ai appelé une boite de dépannage.
- Et pourquoi tu ne nous as pas appelés ? Demanda Ilia.
- Parce que vous étiez en voyage en Italie et que je ne pouvais pas attendre deux semaines que vous rentriez.
- Et comment en es-tu arrivée là ? L'encouragea Valérie.
- Et bien quand ils sont venus faire les travaux, ils m'ont fait un devis qu'à mon grand regret j'ai signé. J'ai fait les chèques à leur demande pour couvrir le montant des travaux, avec leur assurance de n'être encaissés qu'un mois plus tard et que les travaux me seraient intégralement remboursés par mon propriétaire.
- Mais ?
- Ils ont été mis à l'encaissement tout de suite, d'où la lettre que tu as trouvée chez moi le mois dernier.
- Non, mais attends, le tarif appliqué est prohibitif, une telle intervention se monte tout au plus à 1000€.
- Je le sais bien. Mon patron a fait faire des devis. Il veut à tout prix que je les attaque mais selon une amie avocate, on a très peu de chance de gagner. De plus je n'ai pas les moyens d'assurer de telles dépenses. Les frais à la banque m'ont coûté presque toutes mes économies. J'ai essayé de négocier avec le directeur de la boite mais mis à part 500€ de remise, je n'ai rien pu obtenir, même pas un étalement.
- D'où tu vas sortir cet argent ?
- Ma mère est prête à m'avancer les sous mais j'ai la haine parce que se sont ses économies et qu'elle s'est privée pour avoir ce petit pécule, termina-t-elle en serrant les poings.
- C'est pour cela qu'elle vient la semaine prochaine ?

Raf hocha la tête. Elle se sentait soulagée de ne plus devoir cacher cela à ses amis et en même temps, elle se sentait honteuse de s'être laissée berner de la sorte.

- Tu permets que je prenne les choses en mains ? Demanda Ilia.
- Qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Je ne sais pas encore. A la limite, je préfère encore t'avancer l'argent, si ma femme est d'accord, que de laisser ces gens toucher aux économies de ta mère. Mais avant je vais voir une ou deux choses. Je suppose que tu n'as pas tous les documents avec toi ?
- Ben si, je ne m'en sépare pas depuis le début de cette histoire. Je peux t'en faire des copies mais sache que mardi dernier délai, j'irai les payer, je les ai déjà prévenus. J'en peux plus de cette histoire. Je veux que ca s'arrête et que tout rentre dans l'ordre.

Ilia regarda Val. Elle semblait abasourdie. Daniel lui aussi semblait sous le choc de ces révélations. Raf quant à elle se laissa retomber contre le dossier du canapé. Elle avait peur de ce que Ilia pourrait faire, peur que cela ne lui amène de nouveaux ennuis. Daniel la prit dans ses bars et l'embrassa, il la sentait trembler.

- Ne t'inquiètes pas, tout va bien se passer. On va trouver une solution.
- Je l'espère parce que je suis au bout du rouleau.
- Ca va aller, fit Ilia confiant.

Le reste de l'après-midi se passa à essayer d'élaborer une stratégie pour sortir la jeune femme de ce mauvais pas. Quand enfin ils rentrèrent, Daniel et Raf ne se quittèrent pas contrairement aux autres soirs. Elle l'invita à rester chez elle pour la nuit. Conscient qu'elle l'invitait à entrer dans son jardin secret, il lui en fut reconnaissant et prit une décision qui allait lui changer la vie. Il avait décidé que plus jamais il ne se laisserait aller, que plus jamais il n'aurait honte de lui, il appela Ilia pendant que Rafaela prenait sa douche.

- C'est Daniel, j'accepte votre proposition.

Il raccrocha, sachant qu'il venait là de franchir un pas important pour sa survie, pour son avenir. Quand Raf sortit de la salle de bain, il s'embrassa avec fougue en souriant, mais cette fois son sourire éclaira son visage et elle put enfin voir toute sa beauté cachée.

***

Ce week-end là Raf partit voir sa mère qui revint avec elle pour passer une semaine à Paris. Daniel était très nerveux à l'idée de rencontrer sa future belle-mère. Mais, malgré ses craintes, cette première rencontre se passa assez bien. La seule chose qu'elle lui demanda ce fut de bien prendre soin de sa fille parce que sinon… Elle avait laissé la phrase en suspens mais Daniel avait saisi l'étendue de la " menace ". Le mardi arriva sans que Ilia eut trouvé une solution autre que de payer. Il avait parlé à un ami policier mais selon celui-ci, même si le tarif pratiqué était plus qu'abusif, cela ne constituait nullement une escroquerie. Il avait demandé conseil à son avocat qui, après quelques recherches, lui avait affirmé que tous les papiers étaient parfaitement légaux. Ilia enrageait.
Raf et sa mère arrivèrent vers 15h00 dans les locaux de la société. La jeune femme avait prévenu par fax les responsables, par deux fois, de la date où elles se rendraient à leurs bureaux afin de les payer et de " les envoyer au diable ", selon l'expression de sa mère. Raf avait l'estomac noué, elle pressentait que les choses n'allaient pas être aussi simples. Elles furent toutes les deux reçues par le directeur commercial qui leur expliqua qu'il leur faudrait revenir parce que les fameux chèques impayés, objets du litige, étaient dans leurs bureaux de Versailles, par lesquels ils transitaient avant d'arriver dans les bureaux parisiens, et que malheureusement ils étaient fermés pour quelques jours, la responsable étant en vacances. Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase pour Raf. Celle-ci entra dans une colère noire. Elle cracha toute la haine et toute la rancœur qu'elle avait gardé pendant près de trois mois: elle tapa des pieds et des mains, hurla, pleura mais ne dévia pas une seule seconde de son idée première, régler cette affaire une fois pour toutes ! De toute manière, décréta-t-elle au directeur, à eux de se débrouiller parce qu'elles ne partiraient pas de leur bureau sans avoir obtenu satisfaction, même si elles devaient y passer la nuit. Bien décidée à prouver sa volonté de mettre en pratique sa menace, elle s'assit par terre, la seule chaise disponible étant occupée par sa mère, attendant une solution de la part du directeur commercial qui ne savait plus à quel saint se vouer car la jeune femme, soutenue par une tête de mule de mère, ne voulait rien entendre. Pour ne plus avoir à soutenir le regard glacial de Rafaela qui lui faisait face, il décida d'aller sur place avec un technicien afin d'essayer de débloquer la situation.

16h00 arrivèrent. 17h00 aussi. Il n'y avait toujours aucune trace des responsables qui essayaient d'ouvrir la fameuse porte qui, d'après eux, était blindée et munie d'une serrure de sécurité. Les autres salariés faisaient comme si de rien n'était et ignoraient les deux femmes assises à la porte du bureau de la direction et qui attendaient sans sembler perdre patience. Quand 19h00 arriva et que toujours personne ne se fut présentée, Raf sortit des locaux et entreprit d'appeler Daniel et Val, loin des oreilles indiscrètes des employés, pour qu'ils ne s'inquiètent pas.

- Allô ? Fit Val en décrochant dès la première sonnerie.
- A l'huile, répondit Raf d'un ton faussement enjoué. Elle faisait la forte tête mais intérieurement elle n'était pas loin de craquer.
- Alors, tu es rentrée ?
- Euh… ben… Non, j'ai décidé de faire du camping dans les bureaux avec maman.
- Pardon ? Attends, j'enclenche le haut-parleur, Ilia vient de rentrer.
- Je suis toujours à leurs bureaux.
- Comment cela se fait ? Demanda Ilia d'une voix neutre qui en disait pourtant long.
- Eh bien, il semblerait que malgré mes deux fax, ils ignoraient que je viendrais aujourd'hui. Résultat rien n'était prêt à notre arrivée, pire encore mes chèques sont à Versailles et j'attends depuis 15h00 qu'on veuille bien mes les ramener.
- Tu plaisantes ?
- Est-ce que j'en ai l'air ? Demanda Raf agacée. Franchement ? Tu crois que ca me fait plaisir ? Je suis sûre qu'ils me prennent tous pour une folle parce que j'ai refusé de revenir demain après-midi.
- J'arrive, annonça Ilia. Tu as prévenu Daniel ?
- Non, pas encore, j'allais le faire. Mais ce n'est pas la peine de te déplacer, je ne vois pas ce que cela va changer.
- On verra bien, j'ai deux ou trois idées et puis cela me fera du bien de leur dire ma façon de penser. Je passe chercher Daniel et j'arrive.
- Comme tu voudras, soupira Raf éreintée. Il était aussi têtu qu'une mule et il ne servait à rien de vouloir le raisonner.

Une demi-heure plus tard, les deux hommes entrèrent dans les locaux miteux de la société. Le carrelage, qui un jour avait été blanc, était gris de ne pas avoir été entretenu. Les murs et les portes portaient les stigmates d'années de laisser-aller, des traces de doigts ou des murs tellement encrassés que l'on ne pouvait plus voir leur couleur d'origine. Le comptoir où officiait un standardiste, seule personne à s'être comportée avec gentillesse avec les deux femmes, était aussi sale que le reste. Ilia fit une grimace de dégoût en voyant cela. Il repéra sans difficulté Raf et sa mère toujours assises sur leurs chaises à attendre. Elles parlaient à voix basse dans leur langue maternelle, l'espagnol.

- Est-ce que je peux quelque chose pour vous messieurs ?
- Non, merci pas pour le moment. Je viens voir ces deux personnes, annonça Ilia d'une voix glaciale en désignant les deux femmes.
- Daniel ! Ilia ! S'écria Raf en se levant et allant saluer les deux hommes.
- Ca va ? Demanda Daniel d'une voix suave.
- Oui, mais je suis fatiguée et maman aussi.
- Où en est la situation ? S'enquit Ilia en obervant les traits tirés par la fatigue et l'énervement de Rafaela.
- Eh bien, ils ont dû faire appel à un autre serrurier, le premier étant tellement doué qu'il a forcé la porte en la bloquant. Bref, si on sort d'ici pour minuit, on aura de la chance.
- Euh… ce n'est pas censé faire partie de leurs attributions d'ouvrir les portes en plus de la plomberie et de l'électricité ?
- C'est ce qui est marqué sur leur publicité mais ils n'ont pas l'air… très doué, fit Raf en haussant les épaules.
- OK, fit Ilia en réfléchissant. Daniel, prenez mes clés, vous allez ramener la mère de Raf, et rester avec elle jusqu'à ce qu'on revienne.
- Et vous allez rentrer comment sans véhicule ? S'enquit l'intéressé.
- On prendra un taxi s'il le faut.

Daniel soupira. Il n'aimait pas qu'on lui donne des ordres et encore moins par un sosie de… Il regarda un instant Raf, qui était à bout, et sa mère qui semblait ne pas être dans un meilleur état. Il acquiesça et partit accompagner de la vieille dame. Ilia s'assit à coté de Raf qui poussa un long soupir. Il lui prit la main tout en lui faisant un clin complice pour l'encourager à ne pas perdre patience. 20h passèrent et 21h00 aussi, Rafaela faisait les cent pas sous le regard inquiet d'Ilia. Il la sentait prête à exploser. Il la fit asseoir avec douceur, quand enfin vers 21h30, le gérant de la société arriva enfin.

- Quoi qu'il arrive, laisse-moi parler, d'accord ? Murmura-t-il à l'oreille de la jeune femme qui hocha discrètement la tête.
- Bonsoir, fit celui-ci en tendant la main que Raf serra avec réticence. Je suis désolé de tous ces inconvénients.
- Vous pouvez l'être en effet, commenta Ilia d'une voix calme et glaciale qui donna des frissons à la jeune femme.
- Si nous allions dans le bureau afin d'en terminer avec cette affaire, répondit nerveusement le gérant mal à l'aise devant le regard bleu acier du mari de Valérie.

Après s'être installés dans le bureau, tout aussi chassieux que le reste des locaux, le gérant farfouilla dans les papiers qu'il avait ramené de leurs bureaux de Versailles et trouva enfin ce qu'il cherchait.

- Eh bien voilà, je sais que mon directeur commercial vous a encore fait une remise de 600 euros cela nous met la facture à 3000€.
- Je peux vous poser une question ? S'enquit Ilia tranquillement. Cette mascarade était prévue ou non ? Je trouve votre attitude déplorable dans toute cette histoire. Tout de même…. Six heures pour ouvrir une porte… Cela me laisse très nettement entrevoir quel genre de professionnels vous êtes. Je comprends maintenant pourquoi vous facturez vos services aussi chers.
- Enfin, monsieur, je ne vous permet pas de…, s'insurgea le directeur.
- Et vous, vous pouvez vous permettre de faire perdre à cette jeune femme plusieurs heures de travail ? Vous pouvez vous permettre de laisser sa mère, une personne âgée de 74 ans, malade de surcroît, assise sur une chaise des heures durant ? Je suis sûr que bon nombre de vos clients " habituels " seraient ravis de savoir comment vous traitez vos clients.
- Que voulez-vous dire ? Demanda le gérant en blêmissant.
- C'est simple, je fais un métier qui me permet d'avoir des contacts avec beaucoup de personnes, des administrations en autres. Des gens qui font très souvent appels à vos services et avec qui vous avez des contrats de maintenance. Je me demande comment ils réagiraient s'ils apprenaient que, non seulement vous surévaluez vos tarifs, mais qu'en plus vous traitez vos clients de manière aussi cavalière. Je suis sûr que certaines de ces personnes ne voudraient voir leur image associée avec ce genre d'histoire.
- Vous n'oseriez pas ?
- Je vais me gêner. En plus, il se trouve que ma femme vient de refaire entièrement les bureaux de l'antenne de contrôle des services fiscaux et que le directeur est devenu un ami. Je suis certain qu'il se fera un plaisir de vous envoyer quelques contrôleurs, des impôts jusqu'aux services sanitaires il y a largement de quoi faire, quand je l'aurais mis au courant de cette affaire. Alors si maintenant nous parlions sérieusement ! Cette intervention ne coûte que 800€ au maximum, même en tenant compte du fait qu'elle a eu lieu un dimanche. Je ne saurais trop vous conseiller de bien vouloir faire un avoir de la différence. Cela couvrira avec peine les préjudices économiques et moraux dont cette jeune personne a été victime par votre seule faute.
- Mais enfin pour qui vous prenez-vous ? Se rebella le gérant. Il est hors de question de…
- A votre guise, c'était votre dernière chance avant de vous retrouver dans avec beaucoup plus d'ennuis que vous n'en avez créé à Mlle Sanchez. La prochaine fois que nous nous verrons sera devant un tribunal et ce jour-là, j'aurais toutes les preuves qu'il me faut pour que vous ne vous releviez pas, annonça-t-il d'une voix suave et menaçante. Vous feriez bien de vous trouvez un nouveau travail, acheva-t-il en se levant et entraînant Raf à sa suite qui semblait totalement abasourdie.

Ils partirent et, à leur grande surprise, Val était là qui les attendait.

- Alors ? Demanda-t-elle en voyant le visage pâle de son amie.
- On va le laisser mariner dans son jus.
- Tu veux dire que vous n'avez pas payé ?
- Tu veux rire, ma chérie ? Non, non… Mais je vais transformer sa petite vie tranquille en cauchemar, dit-il en montant en voiture.
- Que veux-tu dire ?
- J'ai contacté Edouard cet après-midi et je l'ai mis au courant. D'après ce que j'ai pu apprendre, c'est une société qu'ils ont à l'œil depuis un moment. Les premiers contrôles commenceront dès la semaine prochaine, dit-il d'un air innocent en faisant un clin d'œil à sa femme. En plus, j'ai aussi appelé les différents organismes avec lesquels je travaille et qui font affaire avec eux. A mon avis, ce cher monsieur va avoir quelques mauvaises surprises.
- Oui mais s'il m'envoie les huissiers ? Je ne n'ai plus rien sur mon compte en banque et s'ils viennent à la maison, ils peuvent prendre le peu que j'ai. Déjà que j'ai pas grand chose, murmura-t-elle au bord des larmes.
- Ne t'inquiète pas. Demain nous allons mettre en sécurité tes affaires les plus précieuses y compris ton cher ordinateur.
- Et pour mon compte en banque ?
- A mon avis, ils vont être trop occupés à répondre aux questions des inspecteurs du fisc et de l'URSSAF pour commencer. Je suis sûr nous aurons vite des nouvelles.
- Mais s'il les envoie quand même ? S'inquiéta Rafaela.
- Tu as encore de l'argent sur ce compte ?
- Un peu.
- Demain, tu vas le retirer et tu vas le garder chez toi pour le moment. Pour ton salaire, demande au service du personnel que le virement soit fait sur notre compte, Valérie te donnera un relevé de compte, et je te remettrais l'argent en main propre dès qu'il sera là. D'accord ?

Raf hocha la tête. Elle se sentait si fatiguée. Le silence retomba dans la voiture et bientôt, bercée par la musique douce qui s'élevait de la radio, elle s'endormit. Arrivé à destination, Ilia la porta jusqu'à l'appartement où sa mère et Daniel les accueillirent avec impatience. Valérie leur fit un bref résumé des événements pendant que son mari mettait la jeune femme épuisée au lit.

- Mon médecin passera demain matin pour examiner Raf, annonça Ilia à Daniel. Puisqu'elle ne veut pas se soigner, nous allons l'y contraindre. Avec tout ce qu'il s'est passé depuis deux mois, elle est épuisée et à bout de nerf. Elle a besoin de repos et d'affection. Avec vous deux, je suis sûr qu'elle n'en manquera pas.
- Vous prenez des risques, elle n'apprécie pas qu'on se mêle de ses affaires, fit Daniel en grimaçant.
- Je sais, elle va être un peu en colère mais à la fin je suis certain qu'elle me remerciera.

Daniel eut une moue dubitative, il embrassa tendrement la jeune femme sur le front et parti en compagnie du couple. La nuit lui parut durer une éternité. Son esprit dérivait sans cesse vers celle qui dormait juste au-dessus. Avant de partir, Ilia lui avait remis un papier avec une adresse, une date et une heure de rendez-vous. Daniel avait bien l'intention de s'y rendre pour commencer à mettre un peu d'ordre dans sa vie.

***


Raf se réveilla en sursaut à 9h00 le lendemain matin. Elle tenta de se lever mais sa tête se mit à tourner. Elle fut obligée de se rasseoir sur le lit pour attendre que la pièce cesse de tanguer. Sa mère sortit de la salle de bain et gentiment la recoucha en lui expliquant que tout allait bien. Curieusement Rafaela ne songea même pas à se mettre en colère. Sa mère se mit à préparer le petit déjeuner quand on sonna à la porte. C'était Daniel, accompagné du médecin d'Ilia.

- Bonjour, dit celui-ci en entrant. Alors où est notre malade ?
- Je ne suis pas malade, fatiguée tout au plus, râla-t-elle. Je ne comprends pourquoi vous en faites tout un plat !
- Eh bien, nous allons voir cela, répondit le médecin qui ne fit pas attention à sa remarque.

Il l'ausculta, écouta son cœur, ses poumons, prit sa tension qui, comme il le craignait, était basse.

- Dites-moi, est-ce que vous mangez régulièrement ?
- Oui, enfin… quand je peux.
- En clair, vous sautez des repas…
- Celui de midi de temps à autre, murmura-t-elle en jouant avec le bord de son drap. J'ai tellement à faire et pas assez de temps.
- Et votre sommeil, comment est-il ? Vous dormez d'une traite ou vous réveillez en pleine nuit ? Continua le médecin.
- Je dors à peine trois heures d'affilée, avoua Raf qui baissa la tête quand elle croisa le regard de Daniel.
- Et ensuite ?
- Je somnole plus que je ne dors, admit la jeune femme.
- Vous faites des cauchemars ?
- En ce moment, oui, cela m'arrive.
- D'accord, je vois. Et coté stress ?
- Pfff, fit-elle d'un air sombre. Ca, j'en ai plus m'en faut.
- Je vois… eh bien, jeune fille, je ne vous félicite pas, déclara le médecin avec un haussement de sourcil. On peut dire que vous vous êtes mises dans de beaux draps.
- Mais je…, essaya de dire Raf en regardant ce docteur aux allures de grand-père lui faire la leçon.
- Ecoutez, votre santé est trop précieuse pour jouer avec comme vous le faites. Vous allez commencer par vous alimenter correctement et pas seulement d'un sandwich sur le pouce quand vous en avez le temps. Ensuite, nous allons remédier à vos insomnies en vous prescrivant une bonne quinzaine de jour de congé et quelques relaxants.
- Mais je ne peux pas, s'insurgea Rafaela, je n'y ai pas encore droit aux congés. Cela ne fait pas assez longtemps que je suis dans l'entreprise.
- Ce n'est pas grave, je vais vous mettre en arrêt. Comprenez-moi bien, vous vous baladez au bord du précipice et vous êtes à deux doigts de tomber. Et cela, je souhaite l'éviter parce qu'une fois qu'on perd la santé….
- Ecoute-le Raf, il a raison, dit Daniel sérieusement.
- Comment veux-tu que je me repose avec tout ça ?
- Cela va s'arranger, fais un peu confiance à tes amis.
- Ils risquent de mal le prendre au boulot.
- Attends, on ne parle pas de travail, on parle de toi et de ta santé que tu mets en péril délibérément !
- Ecoutez-le mademoiselle, il est de bon conseil. Je ne souhaite pas vous voir échouer dans un service psychiatre quand vous craquerez sous la pression, et que vous vous retrouverez en pleine dépression. Vous en prenez le chemin, l'avertit le médecin.
- D'accord, d'accord, mais vous avez l'avantage, vous êtes deux contre un.
- Non trois, dit la mère de Raf qui était restée à l'écart de la conversation.
- Je vois, en somme, je n'ai pas le choix, fit-elle la mine boudeuse.
- Euh… Non, affirma Daniel avec un sourire charmeur.

Raf soupira, elle était si fatiguée qu'elle ne se sentait même plus le courage de protester. Ce qui l'inquiétait le plus, c'était son travail. Comment allaient-ils prendre la nouvelle ?

- Ecoutez mademoiselle, si cela peut vous rassurer, je vais appeler votre employeur.

Aussitôt dit, aussitôt fait, le Docteur Fenêtrier les appela pour expliquer la situation. Curieusement, aucun commentaire ne fut fait, au contraire, on lui souhaita un prompt rétablissement et surtout de ne pas s'en faire. Dans l'après-midi, Ilia et Val vinrent, comme promis, pour mettre à l'abris les quelques possessions de valeur de la jeune femme dans l'appartement de Daniel. Ensuite Ilia accompagna Raf à la banque pour qu'elle puisse y régler les derniers détails. Puis ils dînèrent chez Rafaela, la mère de celle-ci ayant préparé un véritable festin.

***

Une semaine passa, et Raf n'avait toujours aucune nouvelle de l'entreprise de dépannage. Loin de destresser, Celle-ci continuait à se faire du mauvais sang malgré les bons soins de Daniel qui ne la quittait pas une seconde. La mère de Rafaela était repartie, tout en rappelant à sa fille qu'elle referait le voyage si besoin était. Val et Ilia ne travaillaient pas ce jour-là, et avaient décidé d'aller faire un tour au parc Eurodisney avec Raf, Daniel et Cassandra. Mais, à leur grand regret, il tombait des trombes d'eau et ils durent remettre la sortie au jour suivant. Ils passèrent donc une partie de l'après-midi à jouer aux cartes quand le portable de Rafaela sonna. Elle répondit et écouta son interlocuteur avec attention. Elle ne dit pas un mot jusqu'à ce qu'elle en eut fini quelques minutes plus tard.

- Alors ? S'enquirent ses amis à l'unisson.
- C'était le gérant de l'entreprise de dépannage. Je ne sais pas ce que tu lui fais mais il a l'air beaucoup plus aimable et beaucoup moins arrogant. Il veut me voir dans une heure pour mettre un terme à cette affaire selon ses propres dires.
- A quelles conditions ? Demanda Val méfiante.
- Il ne l'a pas dit mais il ne veut pas que Ilia m'accompagne. Il veut que je vienne seule parce que, selon lui, cette affaire ne concerne que sa société et moi.
- Hors de question que tu y ailles seule, intervint l'intéressé, il va vouloir faire pression sur toi pour que tu payes. A mon avis, c'est pour cela qu'il t'impose un délai aussi court.
- C'est bien ce que je pense. Et puis j'ai le droit de me faire assister de qui je veux, non ?
- Tout à fait. Bon, on y va ? S'enquit Ilia avec un sourire narquois qui en disait long sur ses intentions.

Raf embrassa Daniel avec passion. Elle avait besoin d'un peu de chaleur pour tenir le coup. Une autre bataille allait commencer et elle n'était pas sûre qu'elle allait en sortir indemne.

***

Une heure plus tard, ils entrèrent dans les locaux de la société qui étaient toujours aussi misérables. Le standardiste les annonça au gérant et Raf vit avec plaisir celui-ci blêmir en voyant Ilia s'approcher.

- Bonjour, les salua-t-il d'une voix mal assurée. Je croyais que nous allions nous occuper de cette histoire entre gens civilisés.
- Le problème, répondit Raf avec une pointe de malice malgré la nervosité qu'elle ressentait, c'est que si je dois vous donner de l'argent, c'est lui qui devra ouvrir son porte-monnaie parce que, voyez-vous, vous ne m'avez rien laissé, termina-t-elle bien haut pour que les quelques clients présents puissent bien entendre, même pas de quoi finir mon mois !
- Allons dans le bureau, nous y serons mieux pour parler, dit-il rapidement.

Ilia fit un clin d'œil discret à Raf. Ils prirent place. Le gérant bougea quelques papiers sur la table de travail pour se donner une contenance mais surtout refréner sa colère devant la présence de ce dérangeant personnage. Il plaça devant lui le dossier avec tous les courriers et fax échangés, ainsi que les deux chèques litigieux.

- Alors, fit Ilia d'un ton glacial. Pourquoi tant de hâte ?
- Je pensais avoir trouvé une solution mais je ne pense pas qu'elle vous convienne, je suis désolé de vous avoir fait venir pour rien, bafouilla le gérant.
- Dites plutôt que vous vouliez qu'elle vienne seule pour augmenter un peu la pression afin qu'elle vous règle la totalité de, ce que vous osez appeler, une facture. Comme elle vous l'a dit, si vous devez recevoir un seul centime, cela sera de moi qu'il viendra. Je vais être clair, ou vous vous décidez à faire les choses correctement dans la semaine qui vient, ou nous vous attaquons devant le tribunal compétent. Je connais beaucoup de gens dans la presse régionale qui se feront un plaisir de relayer les faits au grand public.

Le téléphone se mit à sonner. Le gérant blêmit d'avantage encore après avoir décroché, visiblement, ce que son interlocuteur lui disait ne lui plaisait pas.

- Vous avez vraiment décidé de me faire fermer boutique ? S'écria-t-il avec colère en reposant le combiné.
- Moi ? Répondit Ilia avec sarcasme. Non, c'est vous-même qui vous enterrez en ne voulant pas écouter la voix de la raison. Je vous l'ai dit, j'ai toutes les preuves qu'il me faut. Nous allons devant un tribunal et nous gagnons, sans aucun doute possible, assura-t-il. Vous arnaquez les gens et profitez de leur détresse pour gonfler le prix de votre matériel et donc faire grimper la facture. Bien sûr, dans l'affolement et avec l'assurance que les propriétaires vont tout prendre en charge, ils signent et ils se mettent la corde au cou. C'est malin… Parce que la direction de la concurrence et de la répression des fraudes ne peut rien contre vous. Il est interdit de gonfler le tarif de la main d'œuvre mais rien n'interdit de le faire avec le matériel. Les prix sont libres, c'est vous-même qui nous l'avez dit.
- Que voulez-vous pour tout arrêter ? Demanda le gérant d'une voix grave.
- Je veux que cette jeune femme ne paye que ce qui est dû dans une intervention telle que celle-là, c'est-à-dire 800 euros.
- Et vous arrêterez les poursuites ?
- Si vous parlez de tous les contrôles que vous subissez depuis quelques jours, j'ai bien peur que cela ne dépende plus de moi. Car voyez-vous, une fois qu'ils ont senti le sang, ils sont comme les requins, ils ne lâchent que difficilement leurs proies, expliqua Ilia avec un sourire carnassier. Par contre, si vous parlez de notre action en justice, elle prendra fin dès que nous sortirons d'ici avec les chèques litigieux et l'attestation de paiement.

Le gérant parut réfléchir un instant. Les différents services qui étaient déjà intervenus pour fouiller dans sa comptabilité et ses différents dossiers lui valaient déjà une facture exorbitante en redressements, et autres amendes pour non-respect de certaines législations. S'il devaient encore aller au tribunal, il devrait faire l'avance de tous les frais d'huissier, d'experts et payer un avocat pour défendre sa cause. De plus, si ces adversaires gagnaient, il devrait leur rembourser les frais avancés et, si le juge était généreux, il devrait sûrement acquitter des dommages et intérêts. Il fit un rapide calcul mental du montant des dépenses qu'allait lui occasionner toute cette procédure. La conclusion était claire. Il appela sa secrétaire, lui dicta le texte de l'attestation et lui demanda de faire au plus vite. Un quart d'heure plus tard, Ilia et Raf étaient dehors, un énorme sourire sur le visage. Ils avaient enfin obtenu gain de cause.

- J'arrive pas à y croire…Merci, dit-elle les larmes aux yeux en prenant le grand échalas dans ses bras. Celui-ci plutôt surpris de la réaction de la jeune femme l'enveloppa avec chaleur.
- De rien, j'espère que cela finira de te convaincre que tu fais partie de notre famille. Alors tâche de ne plus l'oublier. D'accord ?
- Ne t'inquiète pas pour l'argent, mon propriétaire à promis de me payer dès que je le lui demanderais.
- On s'en fiche de cela, fit Ilia en balayant sa remarque d'un haussement d'épaules, l'essentiel c'est que toute cette affaire soit finie. Demain je passe chez toi de bon matin et on redéménage tes affaires et après, pour fêter cela, on fera cette sortie à Eurodisney, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, OK ?
- Ca marche pour moi, assura Raf avec un vrai sourire.

Ils arrivèrent vers 19h00 à l'appartement où Val et Daniel se rongeaient les sangs. Ils essayaient tant bien que mal de se concentrer sur le film que Cassandra regardait. Quand ils entendirent les clés dans la porte, ils battirent le chien de Val de vitesse pour aller les accueillir à la porte d'entrée. Au vu du sourire épanoui de la jeune femme, ils comprirent, qu'après une âpre bataille, ils avaient gagné. Ilia décida d'inviter tout le monde à dîner l'extérieur pour fêter l'heureux dénouement. Après un bon dîner dans un restaurant les plus chic de la capitale, Raf et Daniel rentrèrent fatigués mais heureux. Une fois rentrés chez eux, ils mêlèrent leurs corps et leurs âmes dans une danse sensuelle qui dura jusque tard dans la nuit, afin de renouveler toutes les promesses d'un avenir qui s'annonçait enfin sans nuage.


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